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Pas d’émois pour «La Disparition de Giulia»

Bruno Ganz et Corinna Harfouch dans une comédie qui parle d'un thème universel. SP

Nominé pour les Quartz 2010, mais reparti sans récompenses, le dernier film du Zurichois Christoph Schaub, qui a fait 170’000 entrées en Suisse alémanique, est sur les écrans romands. Douceur visqueuse d’une comédie sur l’âge.

Comment vit-on le temps qui passe? La question se pose dans «La disparition de Giulia». La réponse est simple. Schématisons: à 14 ans, on se croit intouchable; à 50 ans, on se sent invisible; à 80 ans, on se prend à la figure une tarte à la crème et on en conclut que finalement la vie est une grosse farce.

Mais avant d’en arriver là, commençons par suivre Giulia (Corinna Harfouch) qui traîne comme un boulet son célibat. Elle vient de prendre le bus. Direction: un restaurant chic où elle va fêter ses 50 ans avec une poignée d’amis. A côté d’elle, s’assoit une femme d’âge avancé qui se rend, quant à elle, dans une maison de repos où l’une de ses connaissances se prépare à célébrer ses 80 printemps.

D’arrêt en arrêt, le bus se remplit et les identités se noient dans l’anonymat de la foule. Ce qui n’empêche pas Giulia de remarquer deux adolescentes à l’allure excentrique, Jessica et Fatima, et d’écouter leur conversation. Elles parlent d’un cadeau à offrir à leur copain qui va avoir 18 ans.

Zapping

Trois anniversaires en vue, donc, et un entrelacs de scènes. On enjambe les lieux, on passe de couple en couple et d’individu en individu. Petit à petit, les personnalités se précisent sur fond de foule informe, comme dans le précédent film de Christoph Schaub «Happy New Year».

Il faut croire que le réalisateur zurichois affectionne le zapping, quitte à donner le tournis à son spectateur avec des va-et-vient, ici pressants, entre trois générations de citadins (l’action se passe à Zurich), les uns portés par leur insouciance, les autres par leur névrose.

Ce qui est donné à voir, ce sont des tranches de vie saisies au vol de dialogues savoureux (signés Martin Suter) qui cachent dans leurs replis le sens du film. A 80 ans, la réplique est chargée de tout le poids de l’existence. L’aigreur qu’elle contient s’évacue dans un mouvement: le lancer de tarte à la crème, dans cette maison de repos, juste avant d’éteindre les bougies du gâteau.

A 14 ans, la répartie est frivole et le geste qui l’accompagne tout autant: Jessica et Fatima voleront leur cadeau dans un magasin.

A 50 ans, le cynisme s’est fait sa petite place dans les cœurs. Il y a ceux qui choisissent de le bichonner en jouant les snippers. Leurs ripostes sont des armes qui font sauter toute illusion. Et il y a ceux qui, comme Giulia, se crispent et se réfugient dans le silence. Elle est presque muette, Giulia, en tout cas durant la première moitié du film. Et comment serait-elle douée de parole, elle qui n’a plus de consistance?

Car Giulia se sent invisible. Dans le bus, autour d’elle, les hommes n’ont d’yeux que pour une bimbo aux seins alléchants. Les idées noires aidant, la panique s’installe. Giulia quitte le bus précipitamment, les copains du restaurant attendront.

Happy end

Cap sur les magasins. Dépenser son fric et se vider de ses angoisses. Giulia se choisit des lunettes de soleil. En plein hiver, cela semble ridicule, mais non, pas du tout, «pour se faire remarquer, il faut porter des accessoires», dit-elle à l’homme qui vient d’entrer dans la boutique.

Si on était dans une pièce de théâtre, on aurait dit que cet homme-là, qui s’appelle John (Bruno Ganz, excellent), est un deus ex-machina. C’est donc par lui que le dénouement arrive. Un de ces dénouements heureux comme seul Christoph Schaub sait les inventer, avec ce qu’il faut de douceur visqueuse.

C’est un peu lourd, d’autant que le film traite d’un thème universel, souvent abordé au cinéma, dont on aurait voulu voir une approche moins sage. Ce qui n’a pas empêché «La Disparition de Giulia» de faire 170’000 entrées en Suisse alémanique lors de sa sortie en 2009.

Ce qui ne l’a pas empêché non plus d’être cinq fois nominé aux Quartz 2010 (les Prix du Cinéma suisse) qui ont eu lieu le 6 mars à Lucerne. A noter toutefois que le film est reparti bredouille.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

«La disparition de Giulia» (Giulias Verschwinden), film de Christoph Schaub.

Scénario: Martin Suter.

Avec notamment Corinna Harfouch et Bruno Ganz.

A voir dans les salles romandes.

Zurich. Christoph Schaub est né en 1958 à Zurich.

Autodidacte. Cinéaste autodidacte. Depuis 1984, il réalise des films de fiction et des documentaires pour la télévision et le cinéma.

Documentaire. Dans le domaine du documentaire, il s’est surtout distingué avec des films à thèmes architecturaux. Il est notamment l’auteur de «Bird’s Nest, Herzog & De Meuron, in China», réalisé à l’occasion des Jeux Olympiques d’été 2008 à Pékin.

Fiction. En ce qui concerne la fiction, il est surtout à l’aise dans les comédies dramatiques. On citera à cet égard son film «Jeune homme» qui eut en 2006 un franc succès. Succès également pour « Happy New Year », sorti en 2008.

Enseignant. Parallèlement à son activité de réalisateur, il a pratiqué l’enseignement. De 1996 à 2004, il fut professeur indépendant au département film/vidéo de la Haute école d’art et de design ainsi qu’à l’Ecole d’art F+F de Zurich.

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