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Pas d’absolution pour l’ancien management d’UBS

Oswald Grübel et Kaspar Villiger, face à une assemblée houleuse. Keystone

Les anciens responsables d’UBS sous l'ère Marcel Ospel pourraient se retrouver en justice. Mercredi à Bâle, les actionnaires de la grande banque ont refusé – c’est historique – de leur donner décharge pour l'exercice 2007. 2008 et 2009 ont en revanche facilement passé la rampe.

Juste avant 18 heures, une vague d’applaudissements a déferlé sur la salle St-Jacques de Bâle, ponctuée de «bravos» et de «oh!». Les actionnaires de la première banque de Suisse, UBS, venaient de refuser la décharge qui aurait presque définitivement blanchi les dirigeants de la banque pour l’année 2007.

Marcel Ospel, président du conseil d’administration cette année-là (et jusqu’au 1er avril 2008), et ses collègues de l’époque, dont Ernesto Berteralli et d’autres, sont désormais susceptibles d’être l’objet d’une plainte civile. Les directeurs généraux de 2007, Peter Wuffli jusqu’au 6 juillet puis Marcel Rohner, également.

Cette équipe-là était aux commandes lorsque la crise des subprimes a éclaté et lorsque les actions qu’on soupçonne d’avoir été illégales pour recruter des fraudeurs du fisc aux Etats-Unis fleurissaient. Aujourd’hui, les actionnaires veulent que ces dirigeants rendent des comptes.

Dominique Biedermann, fondateur et directeur d’Ethos, qui regroupe près de 80 membres, parmi lesquels une majorité de caisses de pension suisses, affichait un large sourire juste après le vote, qui a débouché sur 52,75% de non à la décharge, 45,9% de oui et 1,35% d’abstentions. Il est l’un des artisans du succès et un infatigable battant pour davantage d’éthique et de bonne gouvernance dans les grandes entreprises.

Un premier signal: les salaires

«C’est la première fois que les actionnaires d’une grande entreprise suisse refusent la décharge au management, se réjouit-il. Les actionnaires ont aussi donné un signal très fort en refusant, par une proportion record de 45% des voix, le rapport des rémunérations d’UBS.»

Ayant duré au total près de 8 heures, l’assemblée générale a vu un défilé d’orateurs venus critiquer – en grande majorité – les dirigeants de la banque. Un des rares partisans de la décharge a même été sifflé.

«Vos prédécesseurs ont fait de graves erreurs, avait lancé Dominique Biedermann aux membres du conseil d’administration actuel. Ils ont non seulement perdu l’argent de la banque, mais aussi mis en péril la place financière suisse et la stabilité sociale de la Suisse.»

Le seul moyen de redresser la barre

«Nous sommes, Ethos, actionnaires à long terme et nous avons intérêt à ce qu’UBS se redresse rapidement, déclare le directeur au micro de swissinfo.ch. Pour cela, il faut clairement que le conseil d’administration prenne ses distances avec l’ancien management.»

En revanche, les actionnaires ont accordé la décharge pour les années 2008 (77,37% de oui) et 2009 (85%). «Les recommandations de vote des USA allaient dans ce sens-là, explique Dominique Biedermann. Or les actionnaires anglo-saxons sont très importants dans UBS. Les nouveaux actionnaires, de Singapour et de Hong-Kong, ont en revanche accepté la décharge mais ils n’ont pas fait le poids.»

Lors des interventions, le député valaisan démocrate-chrétien Paul-André Roux, fiscaliste, avait aussi plaidé contre la décharge, jugée «indécente, voire immorale». Et la députée socialiste Susanne Leutenegger Oberholzer, de Bâle-Campagne, a aussi demandé, au nom de son parti, le rejet de la décharge.

«La politique, l’Etat et tous les contribuables ont payé pour les erreurs d’UBS. La Banque nationale suisse a encore pour quelque 20 milliards de francs de papiers sans valeurs repris à la banque», a-t-elle argumenté.

Une main de fer dans un gant de velours

Après le vote, Kaspar Villiger a déclaré que ce «clair signal de mauvaise humeur serait pris au sérieux». Le conseil d’administration se penchera sur la question lors de l’une de ses prochaines séances. «Nous ne pouvons contraindre le conseil à porter plainte, mais, aujourd’hui, nous l’avons fortement poussé à le faire…», sourit Dominique Biedermann.

Kaspar Villiger, qui a dirigé l’assemblée générale avec une main de fer dans un gant de velours, et avec beaucoup d’humour, avait, en début d’assemblée, exprimé sa «grande humilité»: «Nous savons à quel point UBS a déçu le peuple suisse» et «qu’il nous reste encore du pain sur la planche».

«Mais un procès n’est pas dans l’intérêt des actionnaires, a ajouté l’ancien ministre des finances, car la procédure dure des années et engloutit des millions.» Kaspar Villiger a aussi, une nouvelle fois, défendu ses prédécesseurs en affirmant qu’ils avaient pris leurs décisions «de bonne foi». «Aucun d’entre eux ne voulait nuire à UBS. Mais il leur revient de porter la responsabilité morale de leurs actions».

Avant de conclure son discours matinal par un catégorique: «Les responsables ne sont plus disposés à devoir sans cesse faire pénitence et s’excuser des erreurs du passé». Un message qui, après près de huit heures de débats, n’est manifestement pas passé…

Ariane Gigon à Bâle, swissinfo.ch

«La décharge est refusée lorsque l’on reproche au Conseil d’administration ou à la Direction de graves manquements (…). La décharge est refusée à des membres du Conseil d’administration de la Direction en cas de responsabilité personnelle.»
(Tiré du site de la Confédération)

Très rare. Le refus de la décharge est extrêmement rare. Elle a touché OC Oerlikon en 2006, Forbo en 2005 ou Arbonia-Forster en 2004. En 2001, le Gouvernement (au sein duquel Kaspar Villiger était ministre des Finances), avait refusé de donner décharge au conseil d’administration de SAirGroup (Swissair). Celle-ci avait toutefois été accordée par l’assemblée.

Outre la décharge, les salaires étaient au centre des débats de l’assemblée.

Plus de «malus». La fondation Ethos, qui regroupe près de 80 membres, essentiellement des caisses de pension suisses, s’est notamment opposée aux modifications apportées par la grande banque au système voté par l’AG en 2009. La partie «malus» a été supprimée, s’insurge la fondation.

Système opaque. Argumentant qu’il est nécessaire d’attirer les collaborateurs talentueux puis de les garder, UBS a créé un nouveau plan d’actions nommé «Incentive Performance Plan (IPP), qui complète le «Cash Balance Plan» (CBP) et le «Performance Equity Plan» (PEP) pour déterminer la partie variable du salaire et les bonus. Selon le quotidien zurichois NZZ, moins de 1000 managers du groupe, dans le monde entier, peuvent prétendre au programme IPP, lié à l’action UBS sur une période de cinq ans. En 2009, la partie IPP a représenté 28% des bonus accordés (15,7 millions de francs). Ethos critique la complexité du programme IPP, qui, selon elle, rajoute une couche d’opacité et marque un retour en arrière.

Accepté de peu. Le rapport sur les rémunérations n’a été acceptée que par 54,7% des voix, une «première» selon Dominique Biedermann, directeur d’Ethos.

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