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Argent sale: les failles de la Suisse pointées à l’ONU

Passers-by cross Paradeplatz square in Zurich, the heart of the banking district
La Paradeplatz à Zurich. La place financière suisse gère un quart de la fortune privée mondiale. Keystone

En dépit des progrès réalisés pour endiguer les flux financiers illicites, la Suisse doit faire davantage pour empêcher l'argent «sale» de pénétrer ses marchés financiers, a déclaré un expert mandaté par le Conseil des Droits de l’homme des Nations unies.

«Ces dernières années, la Confédération suisse a réalisé des progrès dans la lutte contre les flux financiers illicites», a déclaré mercredi au Conseil des droits de l’homme de Genève Juan Pablo BohoslavskyLien externe, expert indépendant des Nations unies sur la dette extérieure et les droits de l’homme.

Un progrès, c’est par exemple la loi sur les avoirs étrangers illicites, qui vise à faciliter le gel, la confiscation et la restitution de ces avoirs se trouvant dans les banques suisses. Au cours des 25 dernières années, la Suisse a restitué 2 milliards de dollars (1,88 milliard de francs suisses), affirment les autorités.

«Il reste toutefois nécessaire de renforcer la responsabilité, la réglementation et la surveillance du marché financier suisse afin d’éviter que les flux financiers illicites ne portent atteinte aux droits de l’homme et que des fonds d’origine illicite ne soient déposés en Suisse», a ajouté M. Bohoslavsky qui a passé 10 jours en Suisse (25 septembre au 4 octobre 2017) et consulté divers acteurs publics et privés.

Contenu externe

Dans son rapportLien externe, il a également critiqué la politique fiscale de la Suisse sur la base du Projet fiscal 17Lien externe, une proposition qui sera soumise au vote populaire au printemps, suite au rejet l’année dernière de la précédente proposition de réforme RIE III: «La “proposition de réforme fiscale 17” vise essentiellement à maintenir l’imposition des sociétés multinationales et d’autres entreprises en Suisse à des niveaux peu élevés afin d’attirer l’établissement de sièges sociaux et d’entreprises dans le pays (…) Toutefois, une concurrence fiscale excessive entre les pays est néfaste, car elle a entraîné une réduction spectaculaire des impôts payés par les grandes entreprises dans le monde entier et a contribué à réduire les recettes publiques destinées à l’investissement et à accroître la dette publique insoutenable dans de nombreux pays, en particulier dans les pays en développement.»

Un argument entendu 5 sur 5 par Alliance Sud, une ONG qui milite en faveur d’une meilleur coopération de la Suisse avec les pays du Sud: «Les inquiétudes de l’expert ne tombent pas de nulle part, déclare dans un communiquéLien externe Dominik Gross, expert en politique financière de l’ONG. Selon des estimations du Fonds monétaire international (FMI), les pays en développement perdent chaque année 200 milliards de dollars de recettes fiscales potentielles parce que les multinationales déplacent leurs bénéfices dans des pays à la fiscalité basse, comme la Suisse».

Recommandations

Dans la longue liste de recommandations (une trentaine) émises pas le juriste argentin figure notamment le renforcement du devoir de vigilance du secteur financier, en particulier pour les personnes politiquement exposées (PEP) et les particuliers fortunés, mais aussi l’imposition de sanctions plus sévères pour le blanchiment d’argent et la fraude fiscale. Une étude d’impact sous l’angle des droits de l’homme devrait également être réalisée pour la nouvelle réforme de l’impôt sur les sociétés proposée par la Suisse.

Il faut également doter l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) d’un personnel, de ressources et de pouvoirs «proportionnels à la taille de la place financière suisse».

Et l’expert de préciser: «La Confédération suisse est une place financière de premier plan et un lieu de référence mondial pour la gestion transfrontalière des avoirs privés, avec une part de marché mondiale estimée à 25%. Son secteur financier contribue à hauteur de 9,1 pour cent au PIB de la Suisse et les avoirs détenus dans les banques suisses par les détenteurs de dépôts de non-résidents s’élèvent à 2920 milliards de francs».

Les institutions qui ne se conforment pas à la réglementation bancaire ou qui font l’objet de sanctions devraient être identifiées dans des «rapports publics d’application de la loi», a ajouté M. Bohoslavsky.

En présentant son rapport au Conseil des droits de l’homme, l’expert de l’ONU a souligné que les risques pesant sur le marché financier suisse étaient encore très présents. Et ce en se référant au cas de plusieurs banques suisses impliquées dans le scandale Petrobras (Brésil) et dans les flux de liquidités suspects liés au fonds souverain malaisien 1MDB.

Réponse suisse

En réponse, l’ambassadeur Valentin Zellweger (qui dirige à Genève la mission suisse auprès des organisations internationales) a déclaré mercredi au Conseil des droits de l’homme que la Suisse était «pleinement engagée dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, la lutte contre l’évasion fiscale et les flux financiers illicites» et qu’elle s’efforçait de mettre en œuvre les normes internationales.

M. Zellweger a souligné qu’un examen par les pairs effectué en 2016 par le Groupe d’action financière (GAFI) et un récent rapport du Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations à des fins fiscales avaient donné de bonnes notes à la Suisse.

«Nous pensons que le rapport [Bohoslavsky] ne donne qu’une image partielle de la situation et que les critiques ne sont pas toujours replacées dans leur contexte plus large», a déclaré l’ambassadeur suisse.

Adapté de l’anglais par Frédéric Burnand

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