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Le salaire minimum en Suisse, un risque pour l’emploi

Rédaction Swissinfo

Si les citoyens suisses l’approuvent le mois prochain, la Suisse se dotera d’un salaire minimum supérieur à celui de tous ses pays concurrents sur les marchés d’exportation, souligne Beat Kappeler. L’économiste et ancien syndicaliste avertit que ce relèvement pourrait prétériter l’emploi.

Le peuple suisse votera le 18 mai sur un salaire minimum national. Demandé par une initiative populaire des syndicats, un tel seuil minimal sera une nouveauté pour le mode de formation des salaires dans le pays. Car on ne connaît, pour l’instant, que le procédé des conventions collectives, négociées par les organisations patronales et syndicales, et qui ne couvrent que des branches, des régions, ou encore des entreprises particulières.

Beat Kappeler, 67 ans, économiste, éditorialiste, écrit notamment pour l’hebdomadaire dominical NZZ am Sonntag. Il a publié plusieurs livres sur l’économie helvétique, sur des thèmes de politique sociale, sur la crise financière ou encore sur la politique européenne de la Suisse. Il a enseigné les politiques sociales à l’Institut Universitaire de Hautes Etudes en Administration Publique (IDHEAP) à Lausanne. Il a également un passé de syndicaliste, lui qui a été secrétaire central à l’Union syndicale suisse (USS).

La proposition serait ancrée au niveau constitutionnel, la seule voie ouverte aux initiatives populaires. Concrètement, le texte demande un salaire minimum de 22 francs suisses par heure, sur la base des prix et salaires de l’année 2011. Aux dires des syndicats, ceci correspond à un salaire d’environ 4000 francs par mois, douze fois par an. Il sera indexé sur l’évolution des prix et sur la moitié des augmentations des salaires réels dans l’économie suisse. Des situations particulières, comme des stages de formation ou des salaires d’apprentissage, seront exemptées de l’obligation.

Cette demande provoque des réactions fortes du côté du patronat et de plusieurs entreprises de la gastronomie, de l’hôtellerie ou de la distribution, et des petites et moyennes entreprises. Si le salaire demandé dépassait la productivité de ces branches et de l’industrie d’exportation, il ne leur resterait que le licenciement, la rationalisation ou l’externalisation à l’étranger, tel est l’argument.

Ce serait donc l’emploi qui en supporterait la conséquence. Par ailleurs, le principe d’une négociation serait préférable à une obligation étatique. On peut se joindre à ces vues, car malgré un niveau de productivité élevé en général dans ce pays, des activités d’appoint peu rationalisées sont nécessaires, même comme support dans des industries de pointe. Des négociations différenciées suivant les cas en tiennent compte.

Malgré un niveau de productivité élevé en général en Suisse, des activités d’appoint peu rationalisées sont nécessaires.

Mesures contre la sous-enchère

Il est vrai que le marché du travail suisse est réglé par un réseau assez dense de contrats collectifs qui contiennent pour la plupart des salaires minimaux. Mais ils diffèrent d’une branche à l’autre, et quelques-uns se trouvent en-dessous de la barre demandée. Les syndicats estiment que 9% environ des salariés du pays verraient leur salaire augmenter suite à l’adoption de l’initiative.

Aux contrats collectifs existants, des arrangements supplémentaires se sont ajoutés par le système dit des «mesures d’accompagnement», en vigueur depuis dix ans dans le cadre de la libre circulation avec les pays de l’Union européenne (UE).

Pour éviter une concurrence déloyale et la sous-enchère salariale, la loi impose les salaires conventionnels à toute une branche régionale, donc aussi aux entreprises non-signataires, souvent étrangères. Des commissions tripartites entre employeurs, syndicats et administration en surveillent l’application et sanctionnent des abus éventuels.

Un autre complément des conventions collectives en vigueur est la déclaration de force obligatoire par l’autorité fédérale ou cantonale. De cette façon, les salaires négociés deviennent des salaires minimaux nationaux, mais qui continuent de différer selon le résultat des négociations par branche.

On voit donc que d’une part, le marché du travail suisse connaît déjà un droit de regard officiel important. D’autre part, et malgré ceci, l’initiative cherche un changement de système. En plus, une clause générale conférerait aux autorités une obligation de promotion des salaires minimums dans les contrats particuliers régionaux, professionnels et par branche.

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Plus qu’Obama, plus que le smic

L’autre aspect est matériel. Le montant demandé de ce salaire minimum devance celui de tous les pays concurrents sur les marchés d’exportation. Le gouvernement Obama est en train de demander une hausse du salaire minimum national d’environ 9 francs suisses. Le smic, le salaire minimum en France, se monte à 9,53 euros, donc environ 11,55 francs suisses. L’Allemagne envisage un salaire de 8,50 euros à partir de 2015, soit l’équivalent de 10,30 francs. Ce n’est donc pas seulement le principe d’une «politisation» du salaire minimum, mais aussi son montant en soi qui est disputé.

L’argument des promoteurs renvoie au niveau généralement plus élevé des salaires – et des coûts – en Suisse. De plus, les deniers publics feraient l’économie d’une partie des aides sociales pour les ménages pauvres. Et finalement, les besoins d’une famille seraient difficilement couverts par des salaires en-dessous de 4000 francs par mois.

Il s’agit cependant d’une méconnaissance double de la situation des salariés en bas d’échelle. Premièrement, il est prouvé que pratiquement tous les ménages disposent de plusieurs sources de revenu d’appoint, et non seulement de ce salaire. De plus, des études de l’OCDE soulignaient déjà il y a plusieurs années que les détenteurs de bas salaires montent souvent dans l’échelle avec le temps. Les salaires bas seraient donc une passerelle pour certains, mais pas la station finale dans la vie professionnelle. Ils sont même une porte d’entrée sur le marché du travail pour bon nombre de jeunes, d’immigrés et de femmes qui commencent une deuxième carrière.

Beat Kappeler

Les bas salaires sont une porte d’entrée sur le marché du travail pour bon nombre de jeunes, d’immigrés et de femmes qui commencent une deuxième carrière.

Ras-le-bol

Le citoyen suisse qui vote devra donc se faire une religion à lui. Des considérations hors sujet peuvent intervenir alors. Il y a un certain ras-le-bol envers les salaires et les boni «garantis» des grands commis des banques. D’autre part, le marché du travail suisse est en plein-emploi et certains pourraient penser que chacun est en mesure se débrouiller seul, sans l’entremise de l’Etat ou des syndicats.

Certaines firmes d’exportations, en situation délicate lors de la réévaluation brutale du franc dès 2010, ne manqueront pas de prêcher auprès de leurs salariés de faire preuve de modération dans cette question salariale. On peut espérer que cette modération suisse prévaudra partout ailleurs aussi.

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