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La Suisse trop instable pour les exilés fiscaux?

Ce chalet de Gstaad, dans les Alpes bernoises, sert de refuge familial et fiscal au célèbre chanteur français Johnny Hallyday. Keystone

Nouveaux impôts, «chasse aux riches»: les conditions en France sont optimales pour un nouvel exode vers la Suisse. Mais l’exit tax et les incertitudes qui pèsent sur le forfait fiscal freinent le mouvement.

Vendredi, le gouvernement français lancera en conseil des ministres son plan d’économies pour 2013, qui prévoit 20 milliards d’euros de hausses d’impôts. Les riches contribuables sont dans le collimateur des socialistes au pouvoir.

Le barème de l’impôt sur la fortune (ISF) sera relevé. Les revenus dépassant le million d’euros seront taxés à 75 %. Enfin, les revenus du capital seront imposés au même barème que ceux du travail.

De quoi convaincre les derniers indécis de se délocaliser vers la Suisse ou vers d’autres pays fiscalement plus cléments? «Les projets des socialistes étaient connus de longue date et les contribuables les plus pressés ont déjà fait leurs valises», constate Éric Ginter, avocat fiscaliste au bureau parisien STC Partners.

«C’est surtout l’ISF qui énerve mes clients, témoigne Eric Desmorieux, avocat dans l’étude Aurelia. Le rythme des départs n’est toutefois pas beaucoup plus soutenu qu’au cours des années précédentes.»

La Suisse n’est pas la seule destination des expatriés fiscaux. D’autres pays sont très prisés, note Me Ginter: le Canada, les États-Unis, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, le Maroc.

Et la Belgique bien sûr: il y a quinze jours, l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault, quatrième fortune mondiale, décidait de demander la nationalité belge. Un coup de tonnerre dans l’Hexagone, qui révélait l’ampleur de l’exil fiscal en Belgique, principalement chez les entrepreneurs moyennement fortunés.

Plusieurs inconnues

La Suisse demeure attractive, notamment pour les rentiers possédant plus de 50 millions d’euros. Mais le paradis helvétique n’est plus ce qu’il était. Les projets d’exil fiscal en Suisse doivent désormais tenir compte de plusieurs inconnues.

Les conditions du forfait fiscal ont été récemment durcies par le Parlement. Le week-end dernier, le canton de Bâle-Campagne supprimait le forfait fiscal, rejoignant ainsi Zurich, Schaffhouse, Appenzell Rhodes-Extérieures et Bâle-Ville, qui y ont renoncé au cours des douze derniers mois.

Le forfait «made in Switzerland» est menacé de toutes parts: une votation aura bientôt lieu à Genève, tandis que de la gauche tente de réunir 100’000 signatures pour aboutir à une initiative populaire au niveau fédéral.

«Fuir la Suisse»

Dans le canton de Berne, les citoyens ont décidé dimanche de conserver ce dispositif favorable aux riches étrangers, tout en relevant le seuil d’entrée.

Les médias français ont largement couvert le vote bernois. Pas étonnant, quand on sait que la superstar Johnny Hallyday vit à Gstaad depuis 2006. Leurs conclusions sont peu nuancées. «Pourquoi l’exil fiscal en Suisse va devenir moins attractif pour les riches Français», titre ainsi le magazine Capital. «Pourquoi les exilés fiscaux vont bientôt fuir la Suisse», annonce même l’hebdomadaire économique Challenges.

«La Suisse, qui apparaissait jusqu’à présent comme un îlot de stabilité, est désormais atteinte de fébrilité fiscale», estime Me Ginter. «L’instabilité de la règle fiscale peut être un frein très fort à l’expatriation», ajoute Me Desmorieux.

Caducs, les fameux forfaits fiscaux? L’avocat fiscaliste français Olivier Riffaud estime que cette «imposition d’après la demande» n’est plus tout à fait adaptée au monde contemporain. Les gens fortunés sont de plus en plus jeunes, ils n’ont aucune envie de cesser leur activité, même dans leur pays de résidence, ce qu’interdit le régime du forfait. «L’image d’Epinal de Picsou sur son stock d’or, loin des siens, plus consommateur que créateur de capital, ne fait plus rêver», estime Me Riffaud.

Paris veut renégocier

Aux menaces sur les forfaits fiscaux s’ajoute la volonté de Paris de renégocier les conventions fiscales avec la Suisse. Une intention réitérée récemment par le ministre de l’Économie Pierre Moscovici.

Face à la France fiscalement oppressante, la Suisse garde pourtant ses avantages, même sans forfaits fiscaux. «Pour les contribuables aisés, l’impôt français mangera dès 2013 50% des revenus, contre au maximum 43% en Suisse», note Me Riffaud. Sans parler des 75% imposés aux revenus de plus d’un million d’euros. «Un de mes clients vient de s’installer dans le canton de Vaud, où il sera imposé au régime ordinaire. Cela lui permet de poursuivre ses activités en Suisse comme en France.»

La nouvelle tranche de l’impôt sur le revenu à 75 % incite des cadres et dirigeants d’entreprise à s’expatrier. Mais plutôt à l’intérieur de l’Union européenne – Belgique, Pays-Bas ou Royaume-Uni – qu’en Suisse, note Me Riffaud.

L’exit tax, instaurée par Nicolas Sarkozy, «est très défavorable à ceux qui choisissent la Suisse », pointe l’avocat. Ceux qui optent pour l’UE se contentent de déclarer leurs plus-values potentielles. Les Suisses d’adoption doivent à leur départ fournir une garantie bancaire, ou s’acquitter de l’impôt, qui est de 34,5%. Autant dire dissuasif.

Dimanche dernier, les défenseurs des forfaits fiscaux pour riches étrangers ont sauvé l’essentiel. Ce régime est maintenu dans le canton de Berne, même si les conditions d’octroi y seront durcies.

Maigre consolation pour la gauche qui combat ce système, les citoyens de Bâle-Campagne l’ont aboli. En acceptant une initiative socialiste par 61,48% des voix, Bâle-Campagne suit ainsi son voisin de la ville dont le parlement a décidé mercredi la suppression des forfaits fiscaux. Les conséquences du vote bâlois sont moindres, seules 16 personnes y étant imposées au forfait, payant 1,7 million de francs d’impôts.

L’abolition du système aurait eu des répercussions bien plus fortes dans le canton de Berne, où quelque 230 étrangers bénéficient d’une imposition d’après la dépense. Les citoyens bernois ont préféré opter pour un compromis, à l’image de ce qu’ont déjà fait les cantons de St-Gall, Thurgovie et Lucerne. Ils ont ainsi rejeté l’initiative de la gauche pour l’abolition des forfaits. Le souverain bernois a en revanche soutenu le contre-projet qui prévoit de porter à 400’000 francs le revenu imposable minimum pour bénéficier de ce type d’imposition. Le régime actuel ne fixe aucun revenu imposable minimum.

Ce durcissement s’observe aussi sur le plan fédéral. Le Parlement vient en effet de décider qu’à l’avenir,  la dépense minimale prise en compte pour les impôts cantonal et fédéral s’élèvera à sept fois le loyer ou la valeur locative du logement, au lieu de cinq actuellement. Pour l’impôt fédéral direct, le seuil du revenu imposable sera fixé à 400’000 francs.

Les cantons pourront définir un montant minimal de leur choix.

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