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«La Suisse, pays de haute diplomatie»

RDB

La Russie apprécie les bons offices de la Suisse dans le conflit en Géorgie. Plus généralement, à deux semaines de la visite du président Dmitri Medvedev, l'ambassadeur russe à Berne Igor Bratchikov juge excellentes les relations entre les deux pays. Interview.

Ce sera la première fois qu’un chef d’Etat de la Russie – fut-elle tsariste, soviétique ou fédérale – viendra en visite officielle en Suisse. Les deux pays sont pourtant très liés et depuis longtemps, comme le rappelle l’ambassadeur Bratchikov.

swissinfo.ch: 2009 est une année importante pour les relations entre la Suisse et la Russie. En mai, la Russie a remporté les Championnats du monde de hockey sur glace à Berne, comme elle l’avait déjà fait ici en 1990. Est-ce que la Suisse porte chance à la Russie?

Igor Bratchikov: Dois-je prendre cette question comme une proposition d’organiser à l’avenir les Championnats du monde uniquement à Berne? (rire) Non, sérieusement, il est vrai que c’est un grand moment que nous avons vécu ensemble en mai.

Et j’espère qu’en Suisse, on considère aussi ce que la Russie a fait pour le bien de ce pays. En 1815 au Congrès de Vienne, la Russie s’est engagée fortement pour la neutralité et l’indépendance de la Suisse. Et il y a 64 ans, la victoire de l’Union soviétique et des Alliés sur l’Allemagne hitlérienne a permis de garder debout ces valeurs fondamentales de la Suisse.

swissinfo.ch: Dans quelques jours, le président de la Fédération de Russie Dmitri Medvedev sera à Berne. Ce sera la première visite officielle d’un président russe en Suisse. Quel est son but?

I.B: Non seulement c’est la première visite d’un président de la Fédération, mais même d’un dirigeant russe. Ni un tsar, ni un secrétaire général, ni un président russes ne sont jamais venus en visite officielle en Suisse.

Cette visite a deux buts. Elle doit d’une part consolider les relations excellentes qui unissent les deux pays. Des relations basées sur la réciprocité et le respect mutuel, et qui se développent de manière très dynamique.

Et d’autre part, elle doit donner une nouvelle impulsion au développement de ces relations dans les années à venir.

swissinfo.ch: Il est prévu que le président Medvedev visite le monument Souvorov dans le canton d’Uri. Ce qui montre à quel point ce général russe, qui traversa les Alpes en 1799, est encore honoré en Russie…

I.B.: Souvorov est de loin la figure la plus importante de l’histoire militaire de la Russie. 200 ans après, il est encore très populaire chez nous.

De toute sa carrière, il n’a jamais perdu une bataille. Et ce qui est très important aussi, c’est qu’il était un chef très proche du peuple, pour qui la vie de ses soldats comptait beaucoup. Il était très humain également dans sa manière de traiter les ennemis vaincus. Nous sommes très heureux que la population des régions où il est passé contribue aussi à garder vivante sa mémoire.

Souvorov a aussi été un grand théoricien militaire. Aujourd’hui encore, il représente un modèle pour les soldats lorsqu’il s’agit d’amour de la patrie.

swissinfo.ch: La Suisse représente aujourd’hui les intérêts diplomatiques de la Russie et de la Géorgie dans le conflit qui oppose les deux pays. Quelle est l’importance de cette fonction pour la Russie?

I.B.: La Fédération de Russie est très satisfaite du rôle de la Suisse à Tbilissi. Nous apprécions au plus haut point l’expérience de la Suisse dans le domaine diplomatique. Nous la considérons comme un pays de haute diplomatie.

swissinfo.ch: Parlons des droits de l’homme. En Russie et à l’étranger, plusieurs militants russes des droits de l’homme, ainsi que des journalistes ont été assassinés dans des circonstances peu claires. La ministre suisse des Affaires étrangères a protesté contre ces actions et critiqué la lenteur avec laquelle les enquêtes avancent. Ces appels sont-ils pris au sérieux à Moscou?

I.B.: Naturellement que Moscou prend ces cas au sérieux. Et pas à cause des critiques de l’étranger. La population, le gouvernement et le président considèrent cela comme un défi posé à l’Etat russe. Et je ne suis pas d’accord lorsque vous dites que les enquêtes n’avancent pas.

Dans le cas d’Anna Politkovskaïa par exemple, il y a eu des progrès. On a appréhendé des suspects, et le procès a repris. Et pour les autres cas non plus, les dossiers ne sont pas clos.

swissinfo.ch: Qu’est-ce que la grande Russie et la petite Suisse peuvent apprendre l’une de l’autre?

I.B.: Nos relations bilatérales sont une illustration du fait qu’un pays immense et un autre, petit, peuvent se considérer mutuellement comme des partenaires égaux en droits et ainsi mieux comprendre leurs positions respectives. Sur la scène internationale, nous n’avons en ce moment aucun différend, ou pratiquement aucun, que ce soit aux Nations Unies ou en Europe.

swissinfo.ch: La Russie est un pays qui regroupe de nombreux peuples. Dans un certain sens, la Suisse également, avec ses quatre cultures, et même plus, si l’on compte celles des étrangers…

I.B.: Exactement. La Suisse a depuis longtemps l’expérience positive de la multi-culturalité et des religions différentes. Mais la Russie aussi fédère depuis 1000 ans des cultures et des religions différentes. Par exemple, les chrétiens et les musulmans travaillent ensemble et font bon ménage.

swissinfo.ch: Notre ministre de l’intérieur Pascal Couchepin a signé en mars 2009 à Moscou un nouvel accord sur la culture. Quelle importance a-t-elle dans la relation entre nos deux pays?

I.B.: Elle est l’un des piliers de nos relations, et ceci depuis des siècles. En Russie, toute personne cultivée connaît des architectes comme Trezzini et Le Corbusier, des écrivains comme Frisch et Dürrenmatt, le savant Euler ou les réformateurs comme Zwingli et Calvin.

Et j’espère que réciproquement, Tiouttchev, Karamzin, Tchoukovski, Pouchkine ou Tolstoï ne sont pas des inconnus en Suisse. Récemment d’ailleurs, on a inauguré à Lucerne une plaque commémorative dédiée à Léon Tolstoï, qui après sa visite dans cette belle ville, a écrit une nouvelle intitulée «Lucerne».

Si l’on pense au nombre d’artistes russes qui jouent actuellement dans de grands orchestres suisses, on peut dire que nous sommes si étroitement liés que culturellement parlant, on ne peut pas séparer nos deux pays.

Renat Künzi et Peter Schibli, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand, Marc-André Miserez)

21-22.09. La visite d’Etat du président russe Dmitri Medvedev est prévue les 21 et 22 septembre prochains.

Programme. Conformément aux usages diplomatiques, le Conseil fédéral (Gouvernement) confirmera le rendez-vous une semaine avant et donnera à ce moment le programme de la visite.

In corpore. S’agissant d’une visite d’Etat, le président russe rencontrera les sept membres du Conseil fédéral (gouvernement). Des rencontres sont également prévues avec les représentants du monde économique.

Suworow. Dmitri Medvedev visitera également le monument élevé dans le canton d’Uri à la mémoire du général Suworow, qui franchit les Alpes à la tête de ses troupes pour se porter au devant des Français en 1799.

18e. Les échanges entre les deux pays étaient intenses au 18e siècle déjà: écrivains, artistes et savants russes ont visité la Suisse alors que des Suisses ont émigré en Russie.

Neutralité. Au 19e siècle, la Russie a été l’une des grandes puissances à garantir la neutralité perpétuelle de la Suisse.

Lénine. Au début du 20e siècle, de nombreux intellectuels et opposants russes, dont Lénine, ont séjourné en Suisse.

Glaciation. 1918-1946: interruption des relations diplomatiques après la Révolution. Depuis la fin de la guerre froide, les contacts se sont rapidement intensifiés.

Echanges. La Russie est le seul membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU avec lequel la Suisse échange des visites ministérielles régulières.

Intermédiaire. Depuis 10 ans, la Suisse fournit un soutien technique et financier ainsi qu’une aide humanitaire dans le nord du Caucase. Elle représente les intérêts diplomatiques de Moscou en Géorgie et ceux de Tbilissi dans la capitale russe.

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