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«Oui aux soldats suisses, mais pas à bord !»

Le cargo vaudois «Nyon» a dû se faire accompagner par la marine indienne et la marine russe pour échapper aux pirates. Suisse-Atlantique

Le gouvernement suisse a tranché. Des soldats helvétiques prendront part au déploiement des forces européennes dans le Golf d'Aden. Président des armateurs suisses, Eric André estime pour sa part que le système Atalante est «impraticable». Interview.

Limité à 30 personnes, le détachement suisse se composera de deux équipes de grenadiers et de soldats de reconnaissance, d’une équipe médicale, d’officiers d’état-major et de juristes. Le Parlement doit encore donner son accord à cette opération, dont les coûts sont estimés à 9,8 millions de francs.

Pour Eric André, – dont l’un des navires, le «Nyon», a échappé aux pirates grâce à des bateaux de guerre indien et russe -, il serait préférable que la Suisse fasse partie des convois protégés à l’échelle européenne.

swissinfo: Le Conseil fédéral a finalement dit un oui de principe à l’envoi de soldats suisses pour lutter contre les pirates du Golfe d’Aden. Etes-vous satisfait ?

Eric André: Il faut encore connaître les modalités exactes avant de nous prononcer. Nous ne voulons pas de soldats à bord, tant que les autres bateaux européens ne le font pas. Mais dans le cas du cargo, «Nyon», qui a en vain demandé de l’aide et qui a dû être escorté par des bateaux de guerre indien et russe, il est inacceptable que notre cargo n’ait pas pu nouer des contacts avec la coalition européenne ou les autorités suisses.

Le système Atalante n’est pas réaliste. Il est impraticable. Les bateaux qui ne sont pas en convoi ou qui sont trop éloignés de vaisseaux de guerre constituent une cible idéale. Nous sommes sidérés de n’avoir pas reçu un mot des autorités suisses pour nous aider dans le transit de ce passage délicat. Merci aux Indiens et aux Russes de leur aide!

swissinfo: A l’origine, qui avait demandé l’aide de Berne ?

E.A.: C’est l’Association des armateurs suisses qui a écrit, par l’intermédiaire de son président, au Département des affaires étrangères en novembre dernier, peu avant l’alerte subie par un cargo de l’armateur zurichois Enzian Ship dont l’un des bateaux a vu les pirates de près.

Nous avons demandé que la Suisse fasse partie des convois créés à l’échelle européenne. A la base, ces convois, qui doivent se mettre en place au mois de mai, sont destinés à protéger les bateaux convoyant des denrées alimentaires en Somalie et les navires à risques avec des matériaux dangereux ou très lents. Bref des bateaux plus particulièrement vulnérables.

swissinfo: La lutte anti-pirates qui s’organise va-t-elle aider la marine mondiale à relancer les machines ?

E. A. : Cela devrait y contribuer, mais le mal est mondial. Depuis les JO de Pékin, la situation a plongé. En juillet dernier, la location des cargos Panamax (70’000 t.) coûtait 100’000 dollars par jour. En début décembre les tarifs sont tombés à 4000 dollars! Le marché mondial s’est arrêté en même temps que les marchés financiers. Les banques ne financent plus les cargaisons. On prévoyait la crise pour l’horizon 2010 en raison du nombre de bateaux neufs commandés, mais l’échéance est arrivée beaucoup plus tôt.

Les Chinois sont au cœur du problème, eux qui gèrent 40% du transport maritime mondial. Ils trouvent le prix des denrées importées trop élevé. Il ne reste plus qu’à faire le gros dos. Pour les porte-conteneurs, on en compte plus de 500 à la chaîne en Norvège, aux Etats-Unis, en Grèce… Les Chinois ont toujours dit qu’ils voulaient confier 30% des importations et exportations à des bateaux chinois. Or, on en est seulement à 7%. Pékin va donc racheter les bateaux qui sortent de chantiers et les confier à des équipages chinois.

swissinfo: Une rude concurrence pour les 35 bateaux suisses ?

A.E.: Oui, ce n’est pas l’euphorie. Les affaires vont bien repartir un jour. Le temps que le marché soit «nettoyé», que les banques aient clôturé leurs comptes et fait de l’ordre, que la confiance reprenne.

swissinfo: Ce qui frappe, c’est la diminution des équipages suisses. Pas même 1% des effectifs…

A.E.: Les marins suisses, c’est presque fini ! Il ne reste plus que six matelots et officiers sur quelque 600 en tout. Il y quand même deux jeunes officiers en formation chez Suisse-Atlantique, mais l’on n’est pas sûr de pouvoir les garder. Leur formation dure quatre ans. Les contrats vont de quatre mois sur les porte-conteneurs – où le pilotage est plus exigeant – à six mois sur les autres bateaux.

Peut-être qu’avec la récession et la montée du chômage, les marins suisses vont revenir. Mais voir le monde, c’est un peu une illusion. Les cargos restent trop peu de temps dans les ports. Avec l’automatisation, le chargement et déchargement va très vite. Les salaires des commandants ont pourtant augmenté: ils atteignent en moyenne 11’000 à 12’000 euros, sept mois par an mais sans impôts (même dans la marine suisse, les salaires sont payés depuis peu en euros, voire en dollars, ndlr.).

Il y a 18 mois, une campagne mondiale a été lancée pour attirer les jeunes. Avec le nombre de bateaux commandés, les armateurs avaient peur de la pénurie. Cette campagne a eu un succès incroyable, mais elle arrive au mauvais moment.

swissinfo: Quel est l’avantage du pavillon suisse?

A.E.: C’est un pavillon national qui n’est pas un pavillon de complaisance. Les contacts avec les syndicats et les autorités s’en trouvent renforcés. En revanche, les armateurs suisses paient des impôts – l’impôt fédéral direct – sur les revenus nets.

Le principal avantage concerne le cautionnement par la Confédération: les banques prêtent plus volontiers de l’argent et à un meilleur taux.

La Suisse ne veut pas augmenter sa flotte, elle préfère la qualité à la quantité. L’armateur suisse n’est pas un spéculateur. Il gère des bateaux qu’il va garder des années. C’est la grande différence avec le pavillon de complaisance.

Interview swissinfo, Olivier Grivat

Procédure. Jeudi 19 février, le «Nyon», un cargo de 73’000 tonnes transportant du minerai de fer d’Ukraine en Chine, s’est annoncé auprès de la coalition européenne, 48 heures avant de pénétrer dans le golfe d’Aden, comme le veulent les usages dans la région.

Pas de réponse. La capitaine d’origine ukrainienne a ensuite indiqué sa position toutes les huit heures, mais n’a pas reçu la moindre réponse des Européens ou des Suisses.

Escorte. Il était placé juste derrière un convoi indien escorté par sa marine de guerre. C’est le commandant indien qui a proposé au capitaine du «Nyon» de se joindre à eux. Le cargo vaudois a aussi bénéficié de la protection d’un navire de guerre russe et de ses hélicoptères militaires.

Méfiance. La traversée dangereuse a pris deux jours et demi. L’équipage du cargo suisse et son armateur Suisse-Atlantique, basé à Renens (VD) ont été bien inspirés de se méfier.

Pirates. Au même moment, un cargo grec battant pavillon maltais et transportant du charbon – le «Saldanha» – était capturé à 60 km de là. Malgré la présence d’un croiseur britannique mobilisé par l’Union européenne situé à une centaine de kilomètres…

La Suisse est le pays non maritime ayant la plus grande flotte marchande du monde.

35 navires, dont des cargos, des portes-conteneurs, des pétroliers ou encore des bateaux pour les produits chimiques naviguent sous pavillon suisse. Au total, ces navires peuvent transporter plus d’un million de tonnes de denrées.

Parmi les 600 marins engagés sur ces bateaux, on ne compte que six Suisses, dont 3 Romands et 3 Alémaniques.

La flotte marchande suisse a une importance économique et stratégique essentielle. En temps de paix, elle participe au transport normal de marchandises à travers le globe.

En temps de guerre ou de crise, la Confédération peut utiliser les bateaux dans l’intérêt du pays et ainsi assurer l’approvisionnement de la Suisse.

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