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«Angela Merkel n’est pas Oussama ben Laden»

Angela Merkel a la réputation d'être particulièrement accro à son portable. AFP

Comme d’autres dirigeants européens, la chancelière allemande Angela Merkel aurait été espionnée par les Etats-Unis. Ces révélations suscitent une vague d’indignation. C’est le cas de la presse suisse, qui estime que les services de renseignement américains ont dépassé les limites.

Les révélations entourant les écoutes de l’Agence nationale de sécurité (NSA) américaine n’en finissent pas de faire des vagues. Après la France et le Mexique, la polémique touche désormais l’Allemagne. Selon des enquêtes journalistiques, la NSA aurait en effet mis le téléphone portable de la chancelière Angela Merkel sur écoute.

La presse suisse de vendredi se fait l’écho de cette indignation. «L’Europe est sous le choc de l’espionnage américain», relève Le Temps. Le quotidien fribourgeois La Liberté titre pour sa part «Merkel sur écoute: gros malaise».

Cocktail hautement toxique

La plupart des commentateurs suisses sont d’avis que les pratiques des renseignements américains nuisent aux relations entre les Etats-Unis et les Européens. «Traite-t-on ainsi un partenaire? La confiance entre Berlin et Washington est ébranlée», juge l’Aargauer Zeitung.

«Cela signifie que celui qui a des amis pareils n’a pas besoin d’ennemis. Il est clair que cette dernière affaire d’espionnage menace de causer des dommages aux relations transatlantiques», renchérissent le Bund et le Tages-Anzeiger.

«Si l’on remue et l’on agite l’anti-américanisme latent et l’aversion profonde des Allemands pour les services de renseignement, cela produit un cocktail d’indignation hautement toxique», commente pour sa part La Neue Zürcher Zeitung.

Pas de naïveté

Les éditorialistes relèvent cependant qu’il ne faut pas être naïf; la plupart des Etats se livrent à des activités d’espionnage et de renseignement.

«Il serait naïf de croire que les Américains font une exception avec la chancelière allemande. En effet, ami ou ennemi, dans des négociations difficiles  – comme pour le traité de libre-échange avec l’UE – c’est un avantage d’être informé sur la stratégie et les arguments de l’autre partie», écrit l’Aargauer Zeitung.

«Il aurait fallu beaucoup de naïveté pour ignorer que tous les pays du monde ont un service de renseignement et se livrent à des activités d’espionnage. La surveillance est une tâche de l’Etat», ajoute le Quotidien jurassien. Qui précise toutefois: «Si tout le monde savait que l’Oncle Sam avait de très grandes oreilles, tout le monde est surpris par l’ampleur des écoutes américaines.»

Pas d’amis, mais des intérêts

Cependant, même si la naïveté n’est pas de mise, les journaux suisses sont d’avis que les Américains dépassent les bornes vis-à-vis de pays pourtant censés être des alliés. Ce même Quotidien jurassien poursuit: «Si l’on peut comprendre que Washington soit attentif aux faits et gestes d’individus et de pays suspects, il est choquant et déloyal que des alliés, tels la chancelière allemande Angela Merkel et d’autres dirigeants européens, aient pu être pris dans les filets du renseignement américain.»

«Angela Merkel n’est pas Oussama ben Laden, les Européens ne sont pas des terroristes et les diplomates préparent des négociations, pas des attentats», s’indigne la Südostschweiz.

Pour cette dernière, «Il y a deux explications à ces agissements. Soit la NSA agit de sa propre initiative. Obama serait alors un président qui n’a pas son appareil sous contrôle. Ou la cyber-armée marche sous ses ordres. Il se révèle alors être le dirigeant sans scrupules d’une superpuissance qui veut faire aboutir des intérêts calculés.»

«En matière de Realpolitik, Obama est à la première place. C’est pourquoi les mots du Premier ministre britannique Palmerston s’appliquent aussi à sa politique: les Etats n’ont pas d’amis, mais des intérêts», rappelle l’Aargauerzeitung.

Il faut composer

Même si les révélations crispent un peu la situation, les commentateurs jugent généralement que ces affaires d’espionnage n’auront pas de conséquences graves à long terme.

«Les émotions à court terme sont une chose, les intérêts à long terme en sont une autre, relativise la Neue Zürcher Zeitung. Les Européens savent aussi trop bien qu’ils sont dépendants de l’écran de protection des forces armées et des services de renseignement américains. Sans les drones et les satellites des Etats-Unis, l’opération militaire française du Mali ne se serait par exemple pas déroulée aussi facilement. Washington doit cependant aussi se rappeler que les capacités de calcul pratiquement illimitées et les logiciels d’espionnage modernes ne peuvent pas remplacer l’intelligence et le tact politiques.»

Et le Bund et le Tages-Anzeiger de conclure: «Les deux côtés doivent maintenant composer. Les Américains doivent reconnaître que leurs services secrets se sont retrouvés hors contrôle et que l’on n’espionne pas un pays démocratique ami. Et les Européens ne doivent pas se contenter de s’indigner. Finalement, leurs services secrets ont plus souvent qu’à leur tour collaboré avec les Américains. Mais visiblement, cette collaboration n’était pas sur un pied d’égalité.»

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