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L’Italie teste la solidarité de l’UE avec la Suisse

Franco Frattini mène une campagne européenne contre la Suisse Keystone

Tandis que l’Etat de Genève accepte de verser une indemnité à Hannibal Kadhafi pour la publication de ses photos dans la Tribune de Genève, l’Italie poursuit son offensive contre la Suisse pour contourner le blocus helvétique à la délivrance de visas Schengen aux dignitaires libyens.

Le geste suffira-t-il à faire basculer l’affaire des otages? C’est en tout cas le but visé par l’Etat de Genève qui admet sa responsabilité, et juge «hautement regrettable» que les clichés soient parvenus au journal.

Le mea culpa genevois fait un pas de plus dans le sens souhaité à Tripoli: «Si l’auteur de ce délit est identifié, le Conseil d’Etat veillera à ce qu’il soit sanctionné sur le plan administratif, sans préjudice d’une sanction pénale du ressort du pouvoir judiciaire».

Mais en attendant, l’Italie s’active. Exaspérée par le blocus suisse sur les visas Schengen aux Libyens, Rome cherche à enfoncer un coin dans la solidarité entre les Etats-membres.

Le visa italien

En visite à Tripoli le 15 mars, Franco Frattini, ministre des Affaires étrangères, a ainsi suggéré de s’appuyer sur un nouveau règlement de la zone Schengen pour proposer aux Libyens un visa leur permettant de voyager dans plusieurs pays.

Ce code entre en vigueur le 5 avril. «Si d’ici là, Berne et Tripoli n’ont pas résolu leur différend, nous proposerons ce visa à nos partenaires», a déclaré le ministre des Affaires étrangères.

Dans son article 25 , le nouveau code Schengen permet en effet, «de façon exceptionnelle» la délivrance de visa «à validité territoriale limitée» pouvant être étendu «de façon exceptionnelle au territoire de plus d’un Etat-membre, avec le consentement de l’Etat en question». Le règlement précise aussi les motifs d’un tel visa : «Pour des questions humanitaires, d’intérêt national ou pour cause d’obligations internationales.»

Une menace réelle, portée est limitée

Comme l’affirme Franco Frattini, le code offre donc bien la possibilité de visas à géométrie variable, mais cela doit rester de l’ordre de l’exception.

«La philosophie derrière cet article c’est la cause humanitaire, explique un expert européen. Imaginez un individu bénéficiant d’une protection humanitaire en Belgique, mais qu’il n’existe pas de vols entre son pays d’origine et Bruxelles. L’individu peut alors atterrir à Amsterdam Et dans ce cas, la Belgique propose aux pays- bas de délivrer un visa étendu au territoire néerlandais. C’est un processus laborieux et surtout pas systématique», précise notre expert.

Et si un Etat – disons la Suisse – estime que d’autre pays, à l’instigation de l’Italie, abusent de ces exceptions, elle peut saisir la Commission européenne qui enquêtera.

La menace italienne de contourner le blocus suisse pour les visas libyens est donc bien réelle. Mais sa portée est limitée.

Flot d’hydrocarbures et de clandestins…

Ancien commissaire européen à la justice, Franco Frattini connaît ces nuances. Mais il les ignore, volontairement. Le ministre italien œuvre depuis des années à un rapprochement de l’Italie avec son ancienne colonie riche en hydrocarbures, désireuse de rattraper son retard économiques à l’aide de méga-contrats de construction notamment.

Dans cette affaire, Rome a pesé ses intérêts et choisi son camp. Géographiquement proche, Malte lui a emboîté le pas. Ces deux pays ont aussi en commun d’être la destination première des clandestins qui embarquent en nombre de Libye vers l’Europe. Et c’est le colonel Kadhafi qui en contrôle le flot.

Malte a donc appelé les pays méditerranée à les rejoindre. Pour l’instant, en vain. L’Espagne, a démenti faire cause commune, comme l’affirmait Franco Frattini. Au Portugal, on se contente d’un «no comment».

Silence de la Commission Européenne

Mais Rome a de la suite dans les idées. Franco Frattini mettra le sujet des visas au menu des discussions du conseil des ministres de l’UE, lundi 22 mars à Bruxelles.

Pour l’instant, la Commission européenne s’est refusée à commenter les propos du ministre italien. Elle avait qualifiée de «disproportionnée» la décision de Tripoli de renvoyer chez eux des Européens munis de visas valides en représailles aux blocus sur les visas Schengen.

Berlin, qui joue discrètement un rôle de négociateur avec Tripoli, et qui recevait mardi Micheline Calmy-Rey, ne réagit pas officiellement. Mais en coulisse, on continue de qualifier «d’inappropriée» la position libyenne. A Paris, on appelle au règlement du différend helvético-libyen.

Car, c’est sûr, cette affaire embarrasse les Européens, pris entre la solidarité nécessaire avec un Etat démocratique qui cherche à sortir son otage de Libye et un régime, dictatorial certes, mais riche. Et doté, avec la question des clandestins, d’un pouvoir de nuisance certain.

Alain Franco à Bruxelles, swissinfo.ch

15 juillet 2008: Soupçonnés d’avoir maltraité leurs deux domestiques, Hannibal Kadhafi et sa femme Aline sont arrêtés à Genève. Ils sont inculpés le 17, après deux nuits en détention préventive. Le couple est remis en liberté contre une caution de 500’000 francs.

19 juillet 2008: Deux ressortissants suisses, Max Göldi et Rachid Hamdani, sont arrêtés en Libye. Tripoli leur reproche notamment des infractions aux lois sur l’immigration et le séjour.

26 juillet 2008: La Libye exige des excuses de la Suisse. Berne rejette ces exigences.

20 août 2009: En visite à Tripoli, le président de la Confédération Hans-Rudolf Merz présente ses excuses au premier ministre libyen Al Baghdadi A. El-Mahmudi pour l’arrestation d’Hannibal Kadhafi et conclut un accord.

4 novembre 2009: Le Conseil fédéral suspend l’accord passé avec la Libye. Il entend également poursuivre jusqu’à nouvel ordre sa politique de visa restrictive vis-à-vis des ressortissants libyens.

9 novembre 2009: Berne estime que les deux Suisses ont été «kidnappés».

Décembre 2009-début février 2010: Plusieurs procès contre les deux Suisses.

15 février: Tripoli, mettant ses menaces à exécution, affirme que la Libye ne délivre plus de visas d’entrée aux Européens, à l’exception des Britanniques. L’Italie accuse la Suisse d’avoir pris les autres membres de l’espace Schengen en otages.

18 février: Médiation espagnole.

22 février: Max Göldi se rend aux autorités libyennes pour être incarcéré. Rachid Hamdani quitte le pays. Il arrive en Suisse le 23.

L’Union européenne compte 500 millions d’habitants et représente plus de 25% du PIB mondial. Avec ses 27 membres, elle est un acteur fort du jeu diplomatique mondial.

L’UE fournit la moitié de l’aide au développement et 20% des importations et exportations.

L’UE a une politique étrangère commune et essaye de parler d’une seule voix, ce qui n’est pas toujours aisé, sur les enjeux internationaux.

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