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La reconnaissance timide des apatrides en Suisse

apatrides
En novembre 2013, Un réfugié syrien montre au HCR sa carte de «maktoumeen» délivrée en Syrie. Ce document accordé aux Kurdes apatrides non enregistrés ne confère aucun droit ou statut. UNHCR

En Europe, la Suisse reste particulièrement restrictive face aux droits accordés internationalement aux personnes apatrides. Une attitude documentée par une étude inédite publiée ce mardi par le bureau helvétique de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Souveraineté et lutte contre les abus y priment sur les besoins de protection de ces personnes qui «n’ont pas le droit d’avoir des droits», selon l’expression du HCR.

«Regarde-les donc bien ces apatrides, toi qui as la chance de savoir où sont ta maison et ton pays […]. Regarde-les bien, ces déracinés, toi qui as la chance de savoir de quoi tu vis et pour qui, afin de comprendre avec humilité à quel point le hasard t’a favorisé par rapport aux autres. Regarde-les bien, ces hommes entassés à l’arrière du bateau et va vers eux, parle-leur, car cette simple démarche, aller vers eux, est déjà une consolation.» Ces lignesLien externe publiées dans Voyages, un recueil d’articles écrits par l’auteur autrichien Stefan ZweigLien externe, lui-même déchu de sa nationalité par les nazis, témoignent de cette figure tragique du XXe siècle qu’est l’apatride.

C’est avec l’établissements de nouvelles nations sur les ruines des empires disloqués par la Première Guerre mondiale qu’apparaissent les apatrides. Une période violente et instable à laquelle répond la délivrance de passeport et le contrôle aux frontières.

Malgré les conventions internationalesLien externe sur les réfugiés et les apatrides établies au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le monde compterait aujourd’hui quelque 10 millions d’apatrides dont 1/3 d’enfants, selon le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Une réalité apparue au grand jour après les tueries de masse des Rohingyas, une minorité privée de nationalité par un Etat birman aujourd’hui accusé de génocide à l’encontre de cette communauté majoritairement musulmane.

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Mettre fin à l’apatridie

En 2014, le HCR a lancé la campagne #IBelongLien externe  / #JappartiensLien externe pour mettre fin à l’apatridieLien externe dans le monde à l’horizon 2024. C’est dans ce cadre que le bureau suisseLien externe de l’agence onusienne publie une étude spécifique au pays. Ce pour encourager les autorités suisses à mieux reconnaitre une réalité qu’elles ont tendance à sous-estimer. C’est aussi l’avis de la juriste Barbara von RütteLien externe de l’Université de Berne interrogée par swissinfo.ch.

Pays de provenance L’étude du HCR fournit quelques précisions sur les pays de provenance des apatrides ou des personnes qui risquent de le devenir: «Les autorités cantonales ont mentionné la Syrie, la Chine, la Russie et l’ex-Union soviétique. Les Palestiniens et les Roms ont également été mentionnés. Des informations similaires sur les pays de provenance ont été fournies par les avocats et le Centre de conseil juridique pour demandeurs d’asile.»

L’étudeLien externe permet en effet d’évaluer à la hausse le nombre de personnes qui peuvent être considérées comme apatrides en Suisse. En cinq ans, le nombre d’apatrides reconnus comme tels par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEMLien externe) a augmenté d’environ 150% à plus de 600. Or, selon le HCR, plus de 1000 autres personnes sont concernées. Elles sont cataloguées comme «sans nationalité» ou ressortissantes d’un «Etat inconnu» par les autorités suisses. Or selon le HCR, une partie au moins de ces personnes seraient probablement éligibles au statut d’apatride et aux droits qui leur sont conférés par plusieurs conventions Lien externeinternationales.

Fermeté avant tout

Rien n’est moins sûr, cependant. L’organe habilité à accorder le statut d’apatrides en Suisse – le SEM – reconnait bien quelques lacunes en la matière. «La Suisse a soutenu la recommandation du Conseil des droits de l’hommeLien externe prévoyant notamment que la définition du statut d’apatride soit tout à fait conforme à celle fournie dans la convention de 1954 relative au statut des apatrides. La Suisse n’a pas de législation spécifique sur l’apatridie. Elle applique la définition de l’art. 1 de la convention de 1954Lien externe», précise le SEM à swissinfo.ch.

Antonio Gutterres
Lancement de la campagne #iBelong par le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres. SALVATORE DI NOLFI

Et le SEM d’enfoncer le clou, en répondant, comme l’avait déjà fait le Conseil fédéral à l’interpellationLien externe de la parlementaire socialiste Nadine Masshardt en juin 2017:  «À l’heure actuelle, le Conseil fédéral ne voit aucune raison de ratifier la Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997 et la Convention pour la réduction des cas d’apatridie du 30 août 1961, la Suisse offrant déjà une protection étendue aux apatrides reconnus par la législation en vigueur».

Parmi les recommandationsLien externe générales du HCR figure l’obtention par les enfants d’apatrides de la nationalité des pays où il sont nés. Aucun automatisme en la matière n’est prévu en Suisse, rappelle le SEM: «Selon l’art. 38, al. 3 de la Constitution fédérale, la Confédération facilite la naturalisation des enfants apatrides. L’art. 23 LN [Loi sur la nationalité] concrétise cette disposition. Aux termes de l’art. 23 al. 1 LN, un enfant apatride peut former une demande de naturalisation facilitée s’il a résidé au total cinq ans en Suisse, dont l’année précédant le dépôt de la demande».

Le privilège de la nationalité

De fait l’acquisition de la nationalité suisse reste difficile. «La Suisse est un des Etats les plus restrictifs d’Europe en la matière et l’un des derniers à appliquer essentiellement le droit du sang par opposition au droit du sol», souligne Barbara von Rütte.

Dans ce domaine, comme dans tant d’autres, la Suisse n’a pas pour habitude de brader sa souveraineté et sa juridiction nationale.

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