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Entre liberté de commerce et droits de l’homme

Montage de chars chez Ruag, l’ancienne fabrique fédérale de munitions. En 2011, la Suisse a exporté des armes pour un peu moins de 900 millions de francs. Keystone

La Suisse fait partie des pays où la législation en matière d’exportation d’armes est des plus dures. Son gouvernement est favorable au Traité international sur le commerce des armes, qui impose des mesures sévères. Toutefois, même la Suisse n’est pas au-dessus des critiques.

Chargé du contrôle des exportations auprès du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) et chef de la délégation suisse à la conférence des Nations Unies relative au Traité sur le commerce des armes (TCA), Erwin Bollinger déclare qu’un accord au niveau mondial serait le bienvenu, même s’il était en deçà des standards suisses.

La législation suisse stipule qu’on ne peut pas exporter du matériel de guerre vers des pays impliqués dans un conflit armé interne ou international, ni vers ceux qui bafouent systématiquement et gravement les droits de l’homme. Ne sont pas autorisées non plus des ventes à destination de pays qui reçoivent une aide au développement, qui risquent d’utiliser ces armes contre des civils ou encore de les revendre à d’autres pays.

«Nous espérons parvenir à un traité international contraignant avec autant d’Etats membres de l’ONU que possible», déclare Erwin Bollinger. Ce dernier ajoute que le traité devrait couvrir toutes les armes conventionnelles, y compris les armes légères.

Le traité concernerait aussi les principales formes de transactions: les exportations, les réexportations, les transferts de technologie, les importations et le courtage. Les exportations devraient se baser sur une liste de critères à la fois clairs, non discriminatoires et appliqués sur la base du cas par cas.

Le traité devrait également s’appliquer aux composants et aux pièces de rechange, à la technologie et au transfert de technologie. La Suisse considère que c’est important, afin d’assurer que le transfert de technologie ne soit pas utilisé pour passer des marchandises non autorisées par des voies détournées.

Entre optimisme et pessimisme

Membre du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), Adi Feller est plus pessimiste quant à l’issue de la conférence. Selon lui, des progrès ne sont possibles que d’une manière limitée. «S’il y a finalement un accord, il sera basé sur le plus petit dénominateur commun», dit-il. Les pays qui cherchent à contourner l’interdiction des livraisons d’armes en raison de la violation des droits humains trouveront une excuse pour le faire, selon lui.

Chef du contrôle des exportations chez Rheinmetall Air Defence (anciennement Oerlikon Bührle, puis Contraves), Andreas Meier soutient les demandes visant au respect des droits humains dans les affaires. Il est cependant convaincu qu’un traité international correspondant à l’actuelle législation suisse, très stricte, irait à l’échec.

«Il est cependant peu probable, que le Traité sur le commerce des armes ait un impact sur notre entreprise, car les lois sur les exportations d’armes existantes en Suisse sont très complètes», a-t-il souligné dans l’édition de juin de la brochure de la section suisse d’Amnesty International.

Opinion publique

Erwin Bollinger estime qu’il faut trouver le juste milieu entre deux choses: d’une part le rôle de la Suisse en tant qu’Etat champion du droit humanitaire, et d’autre part le principe de liberté économique, dans l’intérêt plus particulièrement de l’industrie de la défense.

«Le négoce des armes, y compris des composants et des pièces de rechange, devient un business de plus en plus mondial. Les entreprises sont sous pression pour exporter du matériel de guerre», observe-t-il.

Mais le chef de la délégation suisse rejette les accusations selon lesquelles le TCA affaiblirait la solide législation suisse dans le domaine. «Nous avons une société civile très critique et toute tentative pour abaisser nos standards ne passerait pas inaperçue», déclare Erwin Bollinger.

Brian Wood, responsable du contrôle des armes auprès d’Amnesty International, partage cet avis sur le rôle crucial du public. «Il reviendra au public suisse, au parlement et aux responsables politiques de s’assurer qu’il n’y a pas d’affaiblissement des standards», explique-t-il.

Le représentant d’Amnesty International se félicite au passage de la position de la délégation suisse à la conférence, qui défendra l’idée d’un traité avec un vaste champ d’application. L’ONG salue également la législation suisse en général.

«Mais le diable se trouve dans les détails, note le représentant d’Amnesty. Nous devons observer la législation suisse actuelle et la manière dont elle fonctionne». Brian Wood fait là référence à l’absence de contrôle territorial sur les armes exportées ou encore aux livraisons d’armes pour les opérations de maintien de la paix. Selon lui, certains aspects de la loi devraient être revus par le parlement.

Facteur temps

La principale préoccupation de Brian Wood n’est cependant pas tant la position de la Suisse que le facteur temps. Les trois semaines de conférence ne seront pas de trop pour parvenir à un résultat, tant les intérêts sont divergents. «Il y a 114 heures de négociation, mais 193 pays dans la salle», fait-il remarquer.

Brian Wood met donc en garde contre l’établissement d’objectifs irréalistes tels que l’interdiction pure et simple des exportations d’armes. Pour tous les gouvernements, la question est de savoir comment limiter ce commerce afin de le rendre plus responsable et de stopper le détournement d’armes par le biais de trafics illégaux.

«C’est une perspective réaliste, estime Brian Wood. Si cette porte s’est ouverte grâce à la mobilisation et des campagnes au niveau international, j’exhorte le peuple suisse à contribuer à la maintenir ouverte.»

Votes et scandales

Entre 1972 et 2009, les citoyens suisses ont refusé trois fois des initiatives populaires visant à interdire les exportations d’armes. Il y a trois ans encore, le monde des affaires et le gouvernement argumentaient qu’une interdiction généralisée menacerait des milliers d’emplois en Suisse.

L’opposition aux exportations d’armes n’a cependant pas baissé les bras. Foraus, un «think thank» consacré à la politique extérieure suisse, a récemment réclamé une plus grande transparence sur les décisions du gouvernement en matière d’exportations d’armes. Des juristes et les Eglises critiquent également les apparentes contradictions avec le rôle de la Suisse en tant qu’Etat dépositaire des Conventions de Genève.

En 2011, la Suisse a exporté pour 872,7 millions de francs de matériel de guerre. Ce chiffre représente juste 0,4% du produit intérieur brut du pays. Mais si la part est petite, il n’empêche que les fabricants d’armes suisses ont fait régulièrement les gros titres au cours des dernières décennies.

L’un des derniers cas, selon Amnesty International, concerne une livraison de gaz lacrymogène en Afrique du Sud. Ce matériel a ensuite été réexporté vers la République démocratique du Congo, un pays où la paix est fragile et où les violations des droits de l’homme sont courantes.

En 2011, la Suisse a exporté du matériel militaire – y compris des pièces de rechange – pour un montant total de 872,7 millions de francs, selon le Secrétariat d’Etat à l’économie.

L’augmentation a été de 36% par rapport à l’année précédente. Cette hausse est due principalement à la vente de 25 avions d’entraînement Pilatus PC-21 aux Emirats Arabes Unis.

Le matériel de guerre suisse a été exporté dans 68 pays. Toutes ces exportations ont été approuvées par les autorités fédérales.

Le premier scandale lié aux exportations d’armes suisses éclate en 1968. Pendant la guerre civile au Nigéria, les avions du Comité international de la Croix-Rouge sont frappés par des roquettes de fabrication suisse.

Dix ans plus tard, la presse révèle que les avions d’entraînement PC-7 de la firme Pilatus peuvent facilement être modifiés pour transporter des bombes. Baptisé «bombardier du pauvre» en raison de son coût relativement modeste, le PC-7 aurait été utilisé par la CIA au Laos en 1962, puis en Birmanie, au Guatemala, au Mexique, au Chili, en Bolivie et au Nigéria.

Plus récemment, des avions Pilatus ont été repérés en Irak, en Afrique du Sud et au Darfour.

En 1972, les milieux pacifistes lancent leur première initiative populaire pour l’interdiction des exportations d’armes. Elle est refusée de peu. Deux autres suivront sans plus de succès. La dernière, en 2009, n’a convaincu que 32% des votants.

Les exportations d’armes font à nouveau les gros titres en juillet 2011, lorsqu’il s’avère que des munitions suisses vendues au Qatar ont été utilisées en Libye. La Suisse impose alors un embargo sur les ventes au Qatar, qui sera levé six mois plus tard. Les investigations menées par le Seco ont conclu que cette livraison était le résultat d’une «erreur dans la logistique militaire».

(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)

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