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Le Gripen affronte déjà les turbulences

Des trois avions testés, le Gripen était le moins cher. Keystone

Même jugé «sobre et modeste», l’avion de combat suédois que le gouvernement veut acheter peine à convaincre les commentateurs de la presse helvétique. Alors que les Romands ironisent sur «l’avion-Ikéa», certains Alémaniques considèrent carrément que le Gripen suisse ne décollera jamais.

«Le Gripen attrapera-t-il la grippe auprès du peuple», titre le Blick avec son sens habituel de la formule. Car pour le tabloïd alémanique, il est clair que dans cette affaire, c’est le peuple qui aura le dernier mot. Conviction plus ou moins partagée par l’ensemble des commentateurs.

En choisissant de dépenser trois milliards pour 22 Gripen, du groupe suédois Saab, le gouvernement a finalement abandonné jeudi les offres du français Dassault (Rafale) et du consortium européen EADS (Eurofighter), qui auraient coûté globalement un milliard de plus.

Victoire pour les pacifistes

Pour le Bund, c’est maintenant le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), opposé à tout achat d’avion de combat, «qui peut jubiler». Ce choix «rend de moins en moins vraisemblable l’achat futur d’un avion» pour remplacer le vieux Tiger.

En effet, argumente le quotidien bernois, les partisans d’un nouvel avion «ne voulaient pas le moins cher, mais le plus moderne, le plus génial. Il sera donc difficile de trouver une majorité parlementaire en faveur du Gripen». Et d’autre part, les économies nécessaires pour cet achat, dans des domaines comme les transports ou la formation, auront de la peine à passer en référendum.

Quant à savoir si le ministre de la défense Ueli Maurer, «dont il est de plus en plus douteux qu’il veuille vraiment de nouveaux avions», a voulu cela, le Bund laisse la question ouverte…

Grounding

Plus radical, le Tages Anzeiger promet à Ueli Maurer «une plantée programmée». L’avion suédois est déjà «menacé de grounding au parlement, avant même d’avoir décollé de Suisse». Le quotidien zurichois se demande même si le ministre de la Défense n’a pas fait ce choix «afin de diminuer ses chances devant le parlement, et d’avoir ainsi plus d’argent pour les autres secteurs de l’armée».

«Parfois, le débat sur l’armée en Suisse passe les bornes de l’absurde, écrit de son côté l’Aargauer Zeitung. Le gouvernement passe commande provisoire de 22 Gripen et les partisans d’une armée bien équipée ne se réjouissent même pas de cette victoire d’étape».

Pour le quotidien argovien, «il est sûr que le GSsA et la gauche obtiendront un vote populaire sur cette question. Et alors, même le Gripen bon marché pourrait tomber dans les urnes. Les forces aériennes se trouveraient ainsi revenues à la case départ».

Révolution culturelle

Plus positive, la presse romande n’en est pas moins sceptique elle aussi. Pour Le Temps, «le choix du Gripen, l’avion le moins cher, mais aussi le moins performant, marque une révolution culturelle et mentale. L’armée ne peut pas revendiquer uniquement ce qui est le plus performant, mais elle devra admettre ce qui est suffisant pour remplir sa mission».

«En présentant un choix modeste et raisonnable, Ueli Maurer met le maximum d’atouts dans son jeu. Rien n’est gagné pour autant. Il faudra convaincre le nouveau parlement, puis le peuple, que cet achat justifie les sacrifices qui seront imposés aux transports, à la recherche ou à l’agriculture», tempère le quotidien.

Dans un éditorial commun, L’Express et L’Impartial (Neuchâtel – La Chaux-de-Fonds) et La Liberté (Fribourg) voient dans l’avion suédois «un break sans options plutôt qu’une rutilante berline. N’en déplaise aux pilotes qui rêvaient de technologie de pointe et de panache, le Gripen est un choix empreint d’une modestie toute helvétique».

Mais les trois quotidiens ne voient pas non plus la partie gagnée pour autant. «On entend déjà la gauche et les cantons se plaindre des sacrifices réclamés dans les transports, les assurances sociales, la recherche ou la formation. Le gouvernement, puis le parlement devront faire des choix. La vraie bonne nouvelle, c’est que le peuple y sera très probablement associé».

Avion-Ikéa

Reste, pour Le Temps, «à dissiper les doutes légitimes sur la capacité de la Suisse à maîtriser un projet aussi complexe, puisque le montage final et une partie du développement du Gripen devraient être effectués par l’entreprise de la Confédération RUAG. Il ne faudrait pas que le parlement ait le sentiment d’un avion suédois à monter soi-même, une sorte d’appareil de combat Ikéa».

Le rapprochement a frappé les caricaturistes. Tant La Liberté que Le Temps présentent des cartons frappés du nom de la maison de meubles, l’un avec un Ueli Maurer perplexe, l’autre avec un officier qui pleure devant ce trop peu rutilant cadeau de Noël, comme un enfant capricieux. Quant à 24 Heures, s’il n’a pas osé reproduire le nom sur les cartons, l’allusion est suffisamment claire pour que chacun lise «Ikéa» au lieu de «Saab» dans le logo bleu et jaune.

Lot de consolation

24 Heures justement, qui avec La Tribune de Genève, voit dans le Gripen «le choix qui ne satisfait personne». «Le Gripen acheté sera un développement de l’appareil qui a fini dernier des évaluations. A quoi donc a servi cette procédure, qui a coûté entre 50 et 100 millions, si à la fin, l’armée suisse prend le pari d’un modèle qui ‘n’existe encore que sur le papier’, selon Ueli Maurer?», interrogent les deux quotidiens.

«Et finalement, pourquoi doit-on acheter ces avions? Personne n’a encore prouvé la nécessité sécuritaire de cet achat. Le gouvernement, en optant pour le moins cher parce qu’il est le moins cher, envoie le message qu’il n’est pas davantage assuré de son choix. A trois milliards, c’est tout de même cher payé le lot de consolation», concluent les deux journaux lémaniques.

L’armée de l’air suisse décolle en 1914 avec neuf pilotes (dont huit romands), qui volent sur leurs propres avions. Elle ne devient une arme à parte entière qu’avec la création du Service de l’aviation en 1936.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’armée suisse dispose de 96 avions de chasse (principalement des Messerschmitt 109 allemands) et de 138 avions de reconnaissance et d’appui aérien. Les pilotes suisses sortent victorieux de quelques accrochages avec la Luftwaffe, mais pour des raisons de neutralité, Berne interdit rapidement les interceptions.

Pendant la Guerre froide, alors que la Suisse a une politique de défense mobile, les Forces aériennes participent à quelques missions hors du territoire. Dès 1995, leur mandat se recentre sur le contrôle de l’espace aérien national. En 2008, une initiative visant à interdire les vols d’entraînement au-dessus des zones touristiques est nettement refusée par le peuple.

Les 22 avions que la Suisse prévoit d’acheter doivent remplacer les 56 F-5 Tiger achetés entre 1976 et 1978. La Suisse dispose également de 33 F/A 18 Hornet, mis en service dès 1996.

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