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Nucléaire: décision courageuse et inconnues nombreuses

Les centrales suisses (ici celle de Gösgen) devraient s’arrêter les unes après les autres. Keystone

La Suisse va abandonner progressivement l’énergie nucléaire dans les 20 à 25 prochaines années. Au lendemain de l’annonce gouvernementale, la presse salue une décision aussi «courageuse» qu’«historique»… et difficile à mettre en œuvre, tant les questions ouvertes restent nombreuses.

«Et si la Suisse avait un vrai gouvernement, capable de prendre des décisons déterminantes pour l’avenir du pays sans tenir compte de l’opposition d’un puissant lobby ?», écrivent La Liberté et L’Express.

Les deux quotidiens, fribourgeois et neuchâtelois, se réjouissent de ce Conseil fédéral, «trop souvent accusé de gérer les affaires courantes pour qu’on ne salue pas la rapidité et la fermeté avec lesquelles il a tiré les conséquences de la catastrophe de Fukushima».

«En quelques semaines, les scénarios rose-verts de sortie du nucléaire, qui n’avaient jamais pu réunir une majorité sont devenus programme gouvernemental», note plus sobrement la Neue Zürcher Zeitung.

Pour La Tribune de Genève, la décision est «historique», et «fait de la Suisse un des premiers pays au monde à opter pour un avenir sans atome».

«C’est une forme de révolution, renchérit Le Matin, même si l’abandon ne se fera que progressivement. Après Fukushima, il ne pouvait en être autrement. La pression populaire rendait cet abandon inéluctable. Les 20’000 manifestants du week-end dernier ont certainement joué un rôle».

Et la majorité féminine du Conseil fédéral aussi.

Le poids des femmes

«Les femmes envoient un signal», titre le Blick. Car il semble bien que ce soient les quatre ministres Doris Leuthard, Micheline Calmy-Rey, Simonetta Sommaruga et Eveline Widmer-Schlumpf qui ont imposé cette sortie du nucléaire contre leurs trois collègues masculins.

Et le tabloïd alémanique de louer en premier celle que les médias avaient pourtant baptisé «Atom-Doris», car on ne la voyait pas «résister à la forte pression du lobby nucléaire».

Le Temps met lui aussi en avant le rôle de la ministre de l’Environnement et de l’Energie, Doris Leuthard dans ce «virage historique, raisonnable, cohérent et négocié rapidement».  Doris Leuthard dont le journal sait «de bonnes sources qu’elle a été surprise de découvrir que la nouvelle politique qu’elle annonce était déjà largement partagée par les innombrables expertises menées sur le sujet».

En suisse italienne également, le Corriere del Ticino salue un gouvernement, qui «pour une fois se montre dynamique».

Et La Regione voit dans cette décision «un signal fort, qui va obliger les entreprises électriques à investir dans la nouvelle voie tracée par le gouvernement».

Et quoi après ?

«L’approvisionnement énergétique est une affaire qui se gère à moyen et à long terme, qui peut se planifier, s’influencer, se modeler, écrit le Tages Anzeiger de Zurich. Et il en va de même de la sortie du nucléaire, qui est avant tout un signal. La question de savoir si elle débouchera sur une production d’énergie durable et respectueuse de l’environnement est encore totalement ouverte».

«Ce geste fort reste à concrétiser, confirme La Tribune de Genève. Le nouveau mix énergétique est encore au stade de l’ébauche», sans oublier qu’on ne dit pas encore qui va payer. Car à l’évidence, pour le quotidien, «il faudra des investissements importants pour rendre possible ce qui n’est encore qu’un souhait».

24 heures, lui, parle déjà d’un courant électrique 10 à 15% plus cher. Mais de toute façon, conclut Le Matin, «il faudra bien se décider et accepter des sacrifices». Car la décision gouvernementale «ne nous laisse plus le choix».

Route semée d’embûches

La partie est donc loin d’être gagnée, estiment pratiquement tous les éditorialistes. Et les obstacles restent nombreux, comme celui du réaménagement du réseau de distribution, mis en avant par la Berner Zeitung, qui y voit «le talon d’Achille» de la sortie du nucléaire. «Le courant abondant et bon marché viendra un jour des éoliennes de la mer du Nord et du solaire de la Méditerranée, explique le journal, ce qui imposera des autoroutes électriques. Et les oppositions des riverains sont d’ores et déjà programmées».

Sans oublier bien sûr les obstacles politiques. «Sa conviction faite, note Le Temps, Doris Leuthard devra encore gagner la confiance du parlement. Non pas le 8 juin prochain mais dans les mois qui suivront les élections fédérales, ce temps politique long où les logiques partisanes défont si souvent les promesses».

Reste à savoir également si la Suisse se tiendra à son scénario. La Berner Zeitung donne à cet égard l’exemple de la Suède, qui avait décidé en 1980 la sortie du nucléaire pour l’an 2000. Aujourd’hui, le pays a dix réacteurs en fonction et la sortie du nucléaire a été enterrée l’an dernier.

Les cinq centrales suisses sont entrées en fonction entre 1969 et 1984 et bénéficient d’autorisations d’opérer limitées dans le temps.

Echéances. Les exploitants considèrent que la durée de vie de ces centrales s’achèvera entre 2019 et 2034.

Accident. En 1969, la Suisse a connu un grave accident dans la centrale expérimentale de Lucens. Un élément de combustible a été détruit. Sise dans un caverne, la centrale a dû être condamnée.

Déchets. Jusqu’en 2006, la Suisse a retraité ses déchets en France et en Grande-Bretagne. Les autorités suisses examinent actuellement différents sites pour leur stockage. L’installation de dépôts en Suisse centrale a été bloquée par référendum en 1995 puis en 2002.

Moratoire. En 1990, la population a approuvé en votation un moratoire de dix ans sur la construction de nouvelles centrales nucléaires.

Relance. En 2003, trois ans après la fin de ce gel, la population a refusé l’extension du moratoire de même que la sortie progressive du nucléaire.

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