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Quand la politique d’asile bute sur la réadmission

Décembre 2008 à Lausanne. Des requérants déboutés occupent l’Eglise St-Laurent. Keystone

La récente polémique autour des requérants nigérians déboutés a mis en lumière l’épineuse problématique de la réadmission. Que faire quand certains pays rechignent à reprendre leurs ressortissants ? La Suisse et l’Europe sont confrontées à des négociations difficiles.

Les Nigérians «ne viennent pas ici comme réfugiés, mais pour faire des affaires illégalement». La phrase a fait l’effet d’une bombe. Et le nouveau directeur de l’Office fédéral des migrations (ODM), Alard du Bois-Reymond, s’est vu critiqué par plusieurs ONG, à commencer par Amnesty International.

Au-delà de la polémique, il y a cependant les intentions. En Suisse comme en Europe, face aux mouvements migratoires croissants, la tendance est en effet à vouloir accélérer les procédures de décision dans le domaine de l’asile. Un objectif qui ne peut se passer de la coopération avec les pays d’origine des requérants.

Or c’est souvent autour d’un mot clé que le bât blesse: réadmission. Pour 2010, la présidence espagnole de l’Union européenne s’est précisément fixé pour but de promouvoir les accords de réadmission avec les pays de provenance des personnes entrées illégalement ou dont la demande d’asile a été rejetée. Et ceci en mettant sur pied une politique européenne commune sur le sujet.

Le problème de l’Algérie

En Suisse aussi, le problème de la réadmission est régulièrement évoqué. Il l’avait par exemple été au printemps dernier à Genève, alors que le quartier des Pâquis connaissait une vague de délinquance orchestrée notamment par des ressortissants algériens.

Si un accord de réadmission existe bel et bien avec ce pays depuis 2006, Alger n’est apparemment pas pressé de signer le protocole additionnel qui permettait le renvoi effectif, comme l’a montré un récent reportage de la télévision alémanique.

Pour ce qui est du Nigéria, la porte-parole de l’ODM Marie Avet précise que «la coopération fonctionne très bien», mais que la Suisse «souhaite approfondir la coopération dans le domaine de la migration». Un vœu qu’Alard du Bois-Reymond a certainement notifié à l’ambassadeur du Nigéria Martin Ihoeghian Uhomoibhi qu’il a rencontré jeudi dernier à Genève.

A l’heure actuelle, la Confédération a signé 47 accords de réadmission. La majeure partie des signataires sont des pays européens liés par l’accord de Dublin. Avec trois pays africains (Guinée-Conakry, République-démocratique du Congo et Sierra Leone), Berne a en outre signé une convention technique de retour, «qui fonctionne bien», toujours selon Marie Avet.

Carotte et bâton

Reste que les partis, à gauche comme à droite de l’échiquier politique, souhaitent voir le nombre d’accords de réadmission augmenter. Lors de la session de décembre 2009, plusieurs parlementaires de droite ont ainsi déposé des interpellations pour mieux connaître la situation. Parmi eux, Jean-Pierre Grin, député UDC (Union démocratique du centre/droite conservatrice) à la Chambre basse, dont le parti tape sur le clou depuis longtemps.

«On se rend compte que certains pays ont signé ces accords, mais qu’ils ne les respectent pas, soit parce qu’ils n’acceptent pas de reprendre leurs ressortissants, soit parce qu’ils refusent de jouer le rôle de pays de transit», explique-t-il. Pour l’UDC, il faudrait donc augmenter la pression, par exemple en liant la réadmission à l’aide au développement.

A l’ODM, on se veut rassurant. «Avec la plupart des pays, la coopération en matière de réadmission fonctionne bien et des discussions préparatoires sont ouvertes avec de nombreux Etats», indique-t-on. Mais en fait, la Suisse, comme l’Union européenne, pratique déjà la politique de la carotte et du bâton. Si un accord de réadmission s’avère difficile à concrétiser, elle cherche alors à conclure des partenariats migratoires.

Officiellement, ces derniers prévoient par exemple un engagement financier destiné à soutenir des mesures de réintégration sur place ou à appuyer les autorités de l’immigration d’un pays donné. Officieusement, il arrive pourtant que des exigences plus intéressées soient formulées. Par exemple un accès facilité au marché du travail helvétique.

Dans tous les cas, les négociations ne sont jamais aisées, a reconnu le gouvernement dans la réponse à une interpellation parlementaire de la libérale-radicale (PLR/droite) Isabelle Moret. «La mise en œuvre d’accords de réadmission et d’accords migratoires requièrent un dialogue intense avec l’Etat concerné qui permet de mieux comprendre les intérêts de l’autre partie», note-t-il diplomatiquement.

Contre les renvois en masse

A ce jour, trois de ces partenariats ont été signés avec des Etats de l’ex-Yougoslavie (Bosnie-Herzégovine, Serbie et Kosovo), où Berne a un intérêt particulier à pouvoir renvoyer des ressortissants. Dans le cas du Kosovo cependant, dont la diaspora est importante en Suisse, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) a tiré la sonnette d’alarme.

Pas opposée sur le fond au principe des accords de réadmission, qu’elle juge plutôt positivement, l’ONG met cependant en garde contre les renvois en masse. «Il est très important que les procédures de renvoi restent équitables et que la sécurité des personnes vulnérables comme les femmes ou les enfants soit prise en compte, exige son porte-parole Adrian Hauser. Chaque cas doit être évalué de manière spécifique.»

A l’heure où le soutien au contre-projet destiné à contrer l’initiative de l’UDC demandant le renvoi des étrangers criminels vacille au Parlement, la question de la réadmission risque donc de faire couler encore beaucoup d’encre ces prochains temps.

Carole Wälti, swissinfo.ch

Le droit international coutumier établit l’obligation faite à chaque Etat de réadmettre ses propres citoyens.

En général, les Etats ont à ce sujet une pratique concordante.

Depuis ces dernières années, certains Etats montrent cependant quelque réticence lorsqu’il s’agit de reprendre leurs ressortissants.

Pour lutter contre la migration clandestine, la Suisse a signé dès les années 1950-1960 des accords de réadmission avec les pays qui l’entourent.

Pour répondre à l’évolution des mouvements migratoires, elle a cherché dès le début des années 1990 à appliquer cette démarche avec les pays de transit ou d’origine des migrants.

En 2009, 16’005 personnes ont déposé une demande d’asile en Suisse. Soit 601 demandes de moins qu’un an auparavant.

Pour la première fois, les ressortissants du Nigéria ont été les plus nombreux à solliciter l’asile, avec 1786 demandes. Soit 798 de plus qu’un an auparavant (+80,8%).

Les chances d’obtenir l’asile en Suisse sont minces pour les Nigérians. Sur 1808 demandes, une seule a été acceptée en 2009 et six Nigérians ont bénéficié d’une admission temporaire.

Les autres pays de provenance les plus importants en 2009 ont été l’Erythrée (1724 demandes), le Sri Lanka (1415), l’Irak (935), la Somalie (753), l’Afghanistan (751) et le Kosovo (694).

En 2009, 7272 personnes ont quitté le territoire suisse par la voie aérienne. Elles avaient pour destinations principales la Serbie, le Nigéria, l’Albanie et la Géorgie.

Au total, 1739 personnes (24%) sont parties de manière autonome. Quant aux 5533 autres (76%), leur départ s’est inscrit dans le cadre d’une procédure de rapatriement contrôlé, avec escorte policière jusqu’à l’embarquement sur un vol de ligne ou jusqu’à dans le pays de destination à bord d’un vol de ligne ou d’un vol spécial.

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