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Le négociateur en chef Michael Ambühl s’en va

Michaël Ambühl (à gauche), avec la ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf. Keystone

Le chef des négociations fiscales de la Suisse avec l’étranger quittera sa fonction à fin août. Annoncé vendredi, le départ de Michaël Ambühl intervient alors que la pression monte sur la place financière suisse.

Plusieurs medias avaient déjà annoncé la nouvelle. Vendredi, le Département fédéral (ministère) des Finances l’a confirmée: à fin août, le secrétaire d’Etat aux questions financières internationales quittera son poste pour occuper une chaire d’enseignement à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).

Une chaire qui aurait «apparemment été créée spécialement pour lui», écrit le site du quotidien zurichois NZZ. Michaël Ambühl, qui a étudié à l’EPFZ, où il a rédigé sa thèse de mathématiques appliquées en 1980, aura dès le 1er septembre le titre officiel de «Professor for Negotiation and Conflict Management».

Cette démission survient alors qu’on attend toujours un accord dans le conflit fiscal entre la Suisse et les Etats-Unis et que la pression de l’UE en faveur de l’échange automatique d’informations n’a jamais été aussi forte.

Résultat mitigé

Né en 1951, Michaël Ambühl a été le premier secrétaire d’Etat aux questions financières internationales. Le gouvernement l’a choisi en janvier 2010 pour ce poste créé en vue de sortir la Suisse de la tourmente.

Il n’aura pas chômé à cette fonction, les attaques contre la place financière helvétique et son secret bancaire n’ayant pas cessé. Premier en ligne pour trouver une solution globale avec Washington et sortir du viseur de la justice américaine une série de banques ayant encouragé des Américains à frauder leur fisc, il a aussi beaucoup dû négocier avec l’UE (fiscalité des entreprises, évasion fiscale) pour éviter l’échange automatique d’informations.

Avec un résultat mitigé pour l’instant. Pour lutter contre l’évasion fiscale, la Suisse a signé des accords dits «Rubik» avec la Grande-Bretagne, l’Autriche et l’Allemagne soldant le passé et prévoyant une retenue à la source sur les futurs fonds déposés dans les banques suisses. Mais le texte allemand a capoté au Parlement et la pression de l’UE est plus forte que jamais. Il y a dix jours, Bruxelles a en effet enjoint Berne à entamer des négociations sur l’échange d’informations.

Michaël Ambühl a toujours dit que la Suisse n’entrerait en matière que si le standard de l’échange automatique d’informations s’imposait au niveau de l’OCDE. Mais il a déjà dû céder avec les Etats-Unis.

Docteur en mathématiques de l’EPFZ, Michaël Ambühl a notamment enseigné à l’Université de Zurich, avant d’entrer en 1982 au service diplomatique du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE).

Après avoir occupé différents postes l’étranger, il est dès 1992 conseiller diplomatique à la mission suisse auprès de l’UE et il participe aux négociations des accords bilatéraux I. En 1999, il est nommé chef du Bureau de l’intégration. A ce titre, il est le négociateur en chef des Accords bilatéraux II avec l’UE.

Dès 2005, il est le secrétaire d’Etat du DFAE, et donc le numéro deux du ministère après Micheline Calmy-Rey. C’est lui qui conduit en 2009 les négociations avec les Etats-Unis dans l’affaire UBS. L’année suivante, il est nommé secrétaire d’Etat aux questions financières internationales.

Habitué aux critiques

En février, le secrétaire d’Etat a signé l’accord dit FATCA, qui prévoit un système proche de l’échange automatique entre la Suisse et Washington. «Une couleuvre à avaler» pour la Confédération mais nécessaire, avait reconnu à l’époque la ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf. Le Parlement doit se pencher sur le sujet en juin.

Michaël Ambühl n’a pas peur de s’exposer. Avant de rejoindre le Département des Finances, il était secrétaire d’Etat aux affaires étrangères et ainsi numéro deux de la ministre Micheline Calmy-Rey. C’est lui a qui a conduit en 2009 les négociations avec les Etats-Unis dans l’affaire UBS, soldée avec le payement d’une amende par la grande banque et par la livraison de données de clients américains au fisc de leur pays.

A la tête du Bureau de l’intégration jusqu’en 2005, Michael Ambühl a également été négociateur en chef des Accords bilatéraux II avec l’UE entre 2001 et 2004. En poste à la Mission suisse à Bruxelles, il avait déjà participé à la négociation des premiers accords bilatéraux. Et dirigé la section économique de l’ambassade de Suisse à New Dehli.

Réactions contrastées

La ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf a «pris acte avec regret» de cette démission, communique vendredi son Département. Elle dit cependant comprendre le souhait de Michaël Ambühl de relever un nouveau défi. La grande argentière le remercie pour les services rendus et salue le fait que le changement lui permettra de partager sa grande expérience avec les jeunes générations.

Sur le site du quotidien zurichois Tages-Anzeiger, le député libéral-radical (droite) Ruedi Noser estime que «le départ de Michael Ambühl va affaiblir la position internationale de la Suisse dans les négociations futures sur l’échange automatique d’informations à l’intérieur de l’OCDE, et également avec Bruxelles».

S’exprimant sur le même site, le sénateur et président du Parti socialiste Christian Levrat n’est pas tendre avec le démissionnaire: «lui, que l’on célèbre volontiers comme le capitaine de notre diplomatie économique, quitte un navire en train de couler. Ça manque de style, et c’est contraire à tous les usages. Car il a mené la Suisse dans deux culs de sac, aux Etats-Unis et en Europe, et maintenant, il s’en va».

Sa collègue de parti, la députée Susanne Leutenegger Oberholzer est d’un avis un peu différent. Michaël Ambühl était «le diplomate en chef et a fait son travail dans le cadre qui lui a été attribué politiquement», estime la Bâloise, membre de la commission de l’économie. Selon elle, il ne faut pas rendre le secrétaire d’Etat responsable de l’échec des négociations. Les responsabilités sont plutôt à chercher du côté du gouvernement et de la majorité bourgeoise au parlement, qui n’ont jamais considéré l’échange automatique d’information comme une option.

L’Association suisse des banquiers (ASB) apprend de son côté «avec regret» la démission du secrétaire d’Etat. La faîtière du secteur met en exergue le «gros» engagement du haut fonctionnaire à chercher une solution aux conflits fiscaux impliquant la Suisse. Dans un communiqué diffusé vendredi, l’ASB relève encore le soutien apporté par le démissionnaire à la place financière helvétique. Et les banquiers disent avoir lié avec lui au cours de ces dernières années une «collaboration bonne et constructive».

Continuité assurée

Le gouvernement nommera le successeur de Michaël Ambühl en temps utile. Selon la ministre des Finances, la continuité est assurée pour les importants dossiers traités par le secrétariat d’Etat.

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