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L’accord sur le nucléaire iranien est-il mort?

Iranian technicians work at the Arak heavy water reactor s secondary circuit.
Le 23 décembre dernier, l'Iran a commencé de nouvelles opérations 2019 dans un réacteur nucléaire à eau lourde près d'Arak, au sud-ouest de Téhéran. Cette décision semble avoir été prise pour intensifier la pression sur l'Europe afin qu'elle trouve un moyen efficace de contourner les sanctions américaines. Keystone

Selon Marc Finaud, spécialiste de la prolifération des armes basé à Genève, l’accord nucléaire de l’Iran avec les puissances mondiales n’est toujours pas caduc, malgré l’épreuve de force actuelle entre l’Iran et les États-Unis. 

L’exécution extrajudiciaire du général Qassem Soleimani ordonnée par le président des États-Unis le 3 janvier n’a rien réglé, même si l’option militaire semble pour l’heure écartée. Dans son discours du 8 janvier, à la suite de la réplique militaire de Téhéran contre des troupes américaines en Irak, Donald Trump s’en est pris une nouvelle fois au Plan d’action global commun (PAGC/ JCPOALien externe), l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien signé le 14 juillet 2015 avec le soutien de la Suisse. Un accord dont Washington s’est retiré en 2018.

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«Le JCPOA, très défectueux, expire de toute façon sous peu, et donne à l’Iran une voie claire et rapide vers une percée nucléaire, a notamment déclaréLien externe Donald Trump. L’Iran doit abandonner ses ambitions nucléaires et mettre fin à son soutien au terrorisme.  Le temps est venu pour le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, la Russie et la Chine de reconnaître cette réalité. Ils doivent maintenant se débarrasser des restes de l’accord avec l’Iran et nous devons tous œuvrer de concert pour conclure avec l’Iran un accord qui rendra le monde plus sûr et plus pacifique.»

Marc Finaud, head of arms proliferation at the Geneva Centre for Security Policy
Marc Finaud est responsable du thème de la prolifération des armes au Centre de politique de sécurité de Genève. swissinfo.ch

Ce mercredi, l’ancien diplomate français Marc Finaud, du Centre de politique de sécurité de Genève, s’est entretenu avec les journalistes accrédités à l’ONU sur l’avenir de cet accord au cœur des tensions entre Washington et Téhéran.

swissinfo.ch: Cet accord peut-il survivre à l’épreuve de force actuelle entre l’Iran et les États-Unis?

Marc Finaud: Nous sommes dans une spirale d’escalade et de représailles, mais ce n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, personne ne souhaite une confrontation totale, et certainement pas [le président américain] Trump, car il sait que pour des raisons électorales, cela ne semble pas bon, surtout s’il y a des victimes américaines. Et du côté iranien, le gouvernement ne peut se le permettre. Il n’a pas les ressources économiques ou militaires pour mener une confrontation à grande échelle.

Mais comme nous le voyons, cette escalade peut devenir incontrôlable. Les risques sont très élevés en raison de la multiplicité des acteurs dans la région – les supplétifs iraniens, les acteurs non étatiques, les groupes terroristes, mais aussi des armes qui ne sont pas précises à 100% et d’autres intérêts connexes, comme les routes et les détroits pétroliers.

L’accord nucléaire est-il toujours en vigueur?

Vous avez peut-être lu beaucoup d’avis affirmant la mort de l’accord, à la suite du retrait de l’Iran qui aurait relancé son programme d’armes nucléaires. Tout cela est faux. L’Iran a été très précis en annonçant les mesures qu’il prendrait après le retrait des États-Unis du JCPOA en mai 2018, ce qui constituait une violation de l’accord et d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.

L’Iran a attendu un an pour agir. L’ensemble de l’accord est basé sur la réciprocité. Si une partie ne respecte pas ses engagements, les autres sont libres d’agir en conséquence. C’est l’esprit de l’accord. L’Iran était tout à fait légitimé à réagir à la violation de l’accord par les États-Unis, surtout après que ces derniers ont rétabli des sanctions unilatérales majeures. 

Les cinq mesures que l’Iran a prises depuis 2018 étaient bien connues. Elles ont été clairement annoncées pour faire pression sur les autres pays signataires afin qu’elles fassent pression sur les États-Unis pour qu’ils lèvent les sanctions: à savoir, un an après le retrait, augmenter le stock d’uranium faiblement enrichi au-delà de 300 kg, commencer à enrichir l’uranium à des taux de pureté supérieurs à la limite de 3,76 %, activer les centrifugeuses de nouvelle génération pour la recherche et commencer à injecter du gaz dans une deuxième usine. La dernière étape, après l’assassinat de Soleimani, a été d’augmenter le nombre de centrifugeuses au-delà de la limite fixée par le JCPOA.

Il s’agissait là de dispositions clés de l’accord visant à restreindre la capacité de l’Iran à produire de l’uranium hautement enrichi nécessaire à la fabrication de l’arme nucléaire. Grâce à Donald Trump, elles ont pris fin beaucoup plus tôt que prévu.

Mais toutes les autres dispositions de l’accord restent intactes. C’est pourquoi il est faux de dire que le JCPOA est mort. L’Iran ne s’en est pas retiré et toutes les autres dispositions qui n’ont pas de limites de temps, comme l’interdiction de fabriquer des armes nucléaires ou le régime d’inspection sans précédent de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEALien externe), restent en vigueur.

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Quelle est alors la voie choisie par l’Iran avec le JCPOA?

C’est une arme à double tranchant. Téhéran l’utilise comme un moyen de pression pour répondre aux sanctions. Mais l’Iran continue de dire qu’il ne veut pas d’armes nucléaires, car c’est une ligne rouge. S’il annonçait vouloir s’en doter, cela justifierait toutes les actions des partisans de la ligne dure aux États-Unis à l’égard de Téhéran. 

Il est clair que les bellicistes américains rêvent du jour où l’Iran dira qu’il a des armes nucléaires, car ce serait le prétexte parfait pour faire la guerre à l’Iran, en utilisant le même prétexte que l’invasion de l’Irak – les armes de destruction massive qui en l’occurrence n’existaient pas. C’est pourquoi l’Iran est si prudent.

Mais la prophétie autoréalisatrice dont certains rêvent pourrait se réaliser si les États-Unis se lancent dans une offensive militaire majeure contre l’Iran. Téhéran pourrait alors dire: «Nous sommes attaqués ; notre seul choix est d’acquérir des armes nucléaires». C’est exactement ce qui s’est passé avec la Corée du Nord. Donc, dans un sens, la stratégie américaine de «pression maximale» finit par avoir un effet contre-productif et proliférant. Personne ne veut arriver à cette situation, c’est pourquoi l’Iran est si prudent pour ne pas aggraver les choses. Mais ils n’auront peut-être pas d’autre choix s’ils doivent faire face à une offensive militaire massive.

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Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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