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L’accord avec Berlin tombe, le différend fiscal demeure

L’accord patiemment négocié par Eveline Widmer-Schlumpf et Wolfgang Schäuble tombe finalement à l’eau. Keystone

Après l’échec de l’accord Rubik, le problème fiscal entre l’Allemagne et la Suisse garde toute son acuité. Le gouvernement allemand est invité à reprendre les négociations pour trouver un accord «équitable».

La séance de conciliation tenue mercredi soir entre les deux Chambres du Parlement allemand n’a pas permis de débloquer la situation. Malgré des heures de négociations, la gauche, majoritaire au Bundesrat (la Chambre haute), a maintenu son opposition à l’accord fiscal signé par le gouvernement et soutenu par la droite, majoritaire au Bundestag (Chambre basse). Résultat: l’accord fiscal avec la Suisse ne sera pas ratifié.

Les sociaux-démocrates, les Verts et le Comité de conciliation ont adopté une déclaration invitant le gouvernement à reprendre les pourparlers avec la Suisse afin de parvenir à un «accord fiscal équitable».

Pas avant 2014

Mais il pourrait s’écouler un certain temps avant que la Suisse ne revienne à la table des négociations, ainsi que l’a indiqué mercredi soir Eveline Widmer-Schlumpf. La présidente de la Confédération n’a pas voulu fermer définitivement la porte aux discussions en rappelant que des «voisins doivent chercher des solutions», mais elle a clairement indiqué que celles-ci n’auront pas lieu l’année prochaine.

Le jugeant inéquitable, les sociaux-démocrates et les Verts allemands avaient combattu durant des mois cet accord négocié entre le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble (CDU) et son homologue helvétique Eveline Widmer-Schlumpf. La critique portait essentiellement sur le fait que l’impôt libératoire prélevé sur l’argent allemand placé en Suisse aurait été taxé à hauteur de 21 à 41%. Ce qui aurait permis aux fraudeurs de régulariser leur argent au noir à des taux bien plus favorables que ceux pratiqués en Allemagne.

Le Bundestag avait ratifié l’accord grâce aux voix de la coalition gouvernementale libérale-conservatrice. Au Bundesrat en revanche, il avait été rejeté fin novembre par l’alliance de gauche, majoritaire dans les Länder.

Suite à cet échec, le gouvernement fédéral avait convoqué un comité de conciliation, afin de donner une dernière chance pour le sauvetage de l’accord. Ce comité, composé de seize représentants du Bundesrat et de seize du Bundestag, se réunit lorsque les deux Chambres sont en désaccord sur une loi.

La campagne électorale est lancée

La majorité gouvernementale et l’opposition étaient en désaccord dans d’autres domaines fiscaux encore à l’occasion de cette procédure de conciliation. Outre l’accord avec la Suisse, les deux camps se sont affrontés sur des allègements fiscaux pour les revenus moyens par le biais d’une réduction de la «progression à froid», ainsi que sur des incitations fiscales pour l’assainissement des bâtiments. Ils se sont mutuellement reprochés de bloquer toute avancée dans ces questions.

La campagne électorale en vue des élections législatives de septembre 2013 est donc d’ores et déjà lancée. Et à un mois des élections régionales en Basse-Saxe, l’opposition ne veut plus concéder aucun succès à la coalition gouvernementale.

Les sociaux-démocrates et leur candidat à la Chancellerie Peer Steinbrück ont placé leur campagne sous le thème de «l’équité» et déclaré la guerre aux banques et aux marchés financiers. Avec le rejet de l’accord Rubik, le SPD se positionne clairement du côté des petits et moyens revenus qui sont lourdement taxés et qui ne témoignent par conséquent pas d’une grande compréhension pour les délits fiscaux.

Aux yeux du SPD, un nouvel accord fiscal avec la Suisse aura des chances de voir le jour après les élections fédérales de 2013. Un accord qui devra être «totalement renégocié», a déclaré le chef du groupe social-démocrate du Bundestag, Thomas Oppermann, peu avant la réunion de la Commission de conciliation. «Cela n’aura probablement lieu qu’après les élections fédérale», a-t-il souligné.

Maintien du statu quo

Pour l’heure, la situation reste donc inchangée: les enquêteurs du fisc allemand pourront continuer à acheter des CD de données volées pour retrouver la trace de fraudeurs. Au début du mois de décembre, le contenu d’un CD acheté par le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie avait montré que des Allemands avaient déposé presque trois milliards d’euros auprès du géant bancaire suisse UBS.

Les banques suisses tentent de contrecarrer toute nouvelle perte de réputation due à ces vols de données. Dès le refus de l’accord Rubik au Bundesrat, les représentants des banques avaient annoncé qu’ils appliqueraient à l’avenir des mesures plus sévères à l’encontre des fraudeurs présumés, notamment en clôturant leurs comptes.

Des deux côtés de la frontière, politiciens et banquiers réclament une réglementation au niveau européen plutôt qu’une multiplicité d’accords bilatéraux.

Le gouvernement suisse n’a pas émis de jugement sur la décision allemande, mais a exprimé ses regrets.

«Nous regrettons que l’Allemagne ne ratifie pas l’accord sur l’imposition à la source. Ce refus ne permet pas de mettre fin à la peu satisfaisante situation actuelle, qui se caractérise par la découverte aléatoire de délits fiscaux sur la base de CD obtenus de façon illégale et l’assistance administrative sur demande selon le standard international», a déclaré la présidente de la Confédération Eveline Widmer-Schlumpf.

Les autorités suisses indiquent qu’il est exclu de renégocier l’accord avec l’Allemagne. Le statu quo, c’est-à-dire la procédure de la demande d’entraide, est maintenu en matière de fiscalité avec l’Allemagne.

L’Association suisse des banques (ASB) regrette le rejet de l’accord pour des «raisons de politique intérieure allemande». La place financière suisse va continuer à soutenir les accords Rubik et est «fermement décidée à n’accepter et ne gérer à l’avenir que des avoirs fiscalement conformes».

Pour la grande majorité de la presse suisse, le refus allemand enterre le modèle suisse d’imposition à la source. Elle estime que le gouvernement devra donc développer une autre stratégie.

Les accords Rubik prévoient une régularisation des avoirs non déclarés et détenus en Suisse par des ressortissants de pays étrangers.
 
Le versement d’un impôt forfaitaire unique sur le capital déposé, prélevé par un agent débiteur (en principe une banque), et versé de façon anonyme (le nom de l’épargnant n’est pas mentionné) aux autorités fiscales permet de régler le passé.
 
Les taux d’imposition sont négociés au cas par cas avec les différents pays.
 
Deux accords Rubik entreront en vigueur le 1er janvier 2013 avec l’Autriche et le Royaume-Uni.

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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