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L’ingénieur suisse qui a changé le visage de New York

The Verrazzano-Narrows Bridge
L'oeuvre ultime d'Othmar Ammann: le pont Verrazzano qui relie Staten Island à Brooklyn. Frenetic Films

Othmar Ammann a conçu et construit de nombreux ponts emblématiques de la ville de New York et redéfini la manière de les bâtir. Gateways to New YorkLien externe, un documentaire suisse primé, raconte l’histoire de «l’homme de la Suisse en Amérique».

«Tout a commencé lorsque la chaîne de télévision européenne ArteLien externe m’a demandé de rechercher des héros suisses méconnus, raconte Martin Witz, le réalisateur du film. Et j’ai trouvé un certain nombre de personnalités qui méritaient d’être mieux connues.»

Parmi elles figuraient le constructeur automobile Louis Chevrolet, le diplomate suisse Carl Lutz, qui avait sauvé des dizaines de milliers de juifs à Budapest pendant la Seconde Guerre mondiale, et le pilote Victor Hug, qui fut en 1946 le premier à poser un avion de sauvetage sur un glacier.

«J’ai également proposé Othmar AmmannLien externe», ajoute Martin Witz lors d’une rencontre avec swissinfo.ch aux 55e Journées de SoleureLien externe, où son film a remporté le Prix du public. «Je pensais toutefois qu’Othmar Ammann pourrait valoir plus que les 25 minutes prévues par Arte. J’ai alors  commencé à développer un format plus grand et je pense que j’avais raison! L’évocation de cet ingénieur tient facilement sur 90 minutes.»

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Après l’Ecole industrielle de Zurich (1894-1897) et des études de génie civil à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) entre 1897-1902, Othmar Ammann débarque aux Etats-Unis en 1904.

«Au début, il ne voulait pas émigrer en Amérique; il voulait juste effectuer des stages. Son professeur lui avait dit qu’il en apprendrait davantage en un ou deux ans en Amérique qu’en restant sa vie entière en Suisse», détaille le réalisateur. Il s’est alors décidé à partir et n’eut plus guère le temps de songer à rentrer.

Othmar Ammann s’est en effet rapidement imposé à New York, alors en pleine croissance. Plurilingue et diplômé de l’EPFZ, l’ingénieur obtient rapidement un poste stratégique en devenant dès 1912 l’adjoint de l’américain Gustav Lindenthal, considéré comme le plus grand constructeur de ponts de l’époque.

Au cœur du monde

Othmar Ammann était au bon endroit au bon moment, selon Martin Witz. Au début du 20ème siècle, New York s’imposait comme la ville la plus puissante des Etats-Unis, un pays en passe, lui, de devenir la première puissance mondiale.  

«Bien que très suisse dans son allure modeste, en retrait, voire vieux jeu, il savait exactement où ses chances se trouvaient et comment il pouvait les saisir. Il avait ces deux facettes: humble et déterminé», relève le réalisateur.

«Il a gravi les échelons, pris des responsabilités toujours plus importantes, si bien qu’en 1925, il entreprend à New York la construction de son premier ouvrage, le pont George Washington qui assurera d’emblée sa renommée», dit le cinéaste.

Inauguré en 1931, le pont George Washington enjambe la rivière Hudson pour relier le quartier de Washington Heights à Manhattan au New Jersey dans l’arrondissement de Fort Lee. Sa portée de 1067 mètres en faisait le premier pont suspendu de plus d’un kilomètre. Il est toujours le pont suspendu ayant le plus de voies de circulation (14 au total sur deux niveaux) et le plus utilisé au monde, avec plus de 100 millions de véhicules le traversant chaque année.

Othmar Ammann
Othmar Ammann devant le Verrazzano bridge, sa dernière réalisation. EPFZ

«Avec son premier pont, Othmar Ammann a réussi à doubler la longueur du plus grand ouvrage existant à l’époque, le pont Ambassador entre le Michigan et l’Ontario», confie à swissinfo.ch Tom F. Peters, professeur de génie civil à la retraite.

Un tel exploit, selon Tom F. Peters, a nécessité des choix judicieux, comme de placer le pont dans les hauts de Manhattan, plutôt que le centre ou le bas de l’ile aux prix beaucoup plus élevés. Ammann a également procédé par étape en commençant par un pont léger à un tablier et quatre voies, une structure ménageant des agrandissements futurs et la pose d’un autre tablier permettant de doubler la capacité du pont.

«Cette conception évolutive était une solution typiquement suisse liée à la formation militaire. Les officiers sapeurs, généralement de jeunes ingénieurs civils, étaient formés pour construire des ponts, mais aussi pour les détruire!», explique Tom F. Peters, soulignant que cette prise en compte de l’ensemble du cycle de vie de l’ouvrage était rare chez les ingénieurs de l’époque.

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«Le seul endroit de grâce»

Tom F. Peters relève aussi l’élégance de l’architecture choisie par Ammann. «De manière typiquement suisse, il s’est attaché à la simplicité et la clarté de son projet.»

Ce qui ne pouvait qu’emballer l’architecte d’origine suisse Le Corbusier. «Le pont George Washington sur l’Hudson est le plus beau pont du monde. Fait de câbles et de rayons d’acier, il brille dans le ciel comme un arc inversé. Il est béni. C’est le seul endroit de grâce dans cette ville chaotique. […] Quand votre voiture monte la rampe, les tours semblent si hautes que cela vous procure un sentiment de bonheur.; leur structure est si pure, si résolue, si régulière qu’ici finalement l’architecture en acier semble rire», s’enthousiasme le géant de l’architecture moderne dans ‘Quand les cathédrales étaient blanches’, un ouvrage publié en 1937 à la suite de sa tournée de conférences aux Etats-Unis.

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Carl Witz souligne que la Grande Dépression avait imposé à Ammann le style moderne et dépouillé qui ravissait tant le Corbusier. Cette crise s’est déclenchée alors que le pont était en plein chantier. Des économies ont dû être faites.  Et la coque en pierre prévue au début fut abandonnée, laissant visible le squelette en acier.

«Après cette bénédiction du Corbusier, Ammann s’est rendu compte qu’il pouvait réduire la forme en fonction des exigences techniques et des fonctions dévolues à l’ouvrage. Il était libre et n’avait plus à s’inquiéter professionnellement.»

«Ammann à New York»

Au cours des 35 années suivante, Ammann a conçu plus de la moitié des ponts reliant New York au reste des États-Unis. Ses ouvrages d’art étaient célèbres.  Ammann devint une star.

«Il est devenu quelqu’un en Amérique. Une notoriété qui a rejailli en Suisse, relève Carl Witz. Il était notre homme en Amérique, très connu et idolâtré par la génération de mes grands-parents. Il était ‘Ammann à New York’.»

«Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, raconte le réalisateur, il cesse de travailler pour rejoindre l’armée suisse et passe quelques semaines à Andermatt comme lieutenant. Lorsqu’il s’est avéré que la Suisse ne serait pas attaquée, il est retourné aux États-Unis. C’était vraiment un patriote.»

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Un projet avorté à Genève

Parmi les réalisations de l’ingénieur américano-suisse, Carl Witz a sa préférence pour le pont Verrazzano ouvert en 1964, un an avant sa mort: «Il savait que ce serait son chef-d’œuvre, l’apogée de sa carrière.»

Le maître a même failli construire en Suisse. En 1963, Ammann s’est attelé à un projet de pont suspendu long de 1430 m sur la rade de Genève. Mais il resta à l’état de projet.

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Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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