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Carlo Chatrian, un intellectuel par-delà les frontières

Carlo Chatrian est présent à Locarno depuis 2002. Keystone

Il aime le cinéma parce que c'est une machine à rêves. Loquace, désinvolte et résolu, Carlo Chatrian s'apprête à ouvrir sa première édition du Festival du film de Locarno. Sans appréhension, mais avec «une grande envie de rencontrer le public». swissinfo.ch l'a suivi tout au long d’une journée ordinaire de travail.

Nous avons rendez-vous devant son pied-à-terre, à quelques pas de la Piazza Grande. Un logement impersonnel et sans intérêt, précise l’attachée de presse, histoire de me décourager de monter. Il y dort, il y travaille jusque tard dans la nuit et il regrette la fraîcheur de sa maison montagnarde du Val d’Aoste.

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A sept heures et demie pile, il surgit de l’entrée. Un petit sac à dos sur l’épaule, un sac poubelle à la main. Pragmatique, Carlo Chatrian ne semble pas se soucier beaucoup de l’étiquette. Privilège d’artiste? Ou d’intellectuel? La presse utilise volontiers ces termes pour évoquer sa manière de parler raffinée, son diplôme de lettres et de philosophie et son style désinvolte. Il sourit, un peu embarrassé: «C’est peut-être les lunettes… Même mes enfants me taquinent.» Il ajoute aussitôt, comme pour se justifier: «Tous les mercredis, je joue au foot avec mes amis. Ce n’est pas vraiment une activité d’intellectuel, non?»

Tout en marchant d’un pas rapide vers son bureau, il s’enquiert de mes intentions: «Vous passerez la moitié de la journée à mes côtés, c’est ça? Mais il ne faudra pas me poser tout le temps des questions… j’ai du travail», me dit-il d’un ton à la fois taquin et un peu inquiet. Carlo Chatrian n’a pas de temps à perdre et, d’ailleurs, il n’est pas du genre à se tourner les pouces. Hyperactif? «Peut-être un peu nerveux.»

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«Le cinéma, c’est une machine à rêves»

Journaliste, critique et programmateur, Carlo Chatrian a été nommé directeur artistique du festival en septembre 2012, après la démission surprise d’Olivier Père. Son visage, cependant, n’est pas inconnu: âgé aujourd’hui de 42 ans il est arrivé à Locarno en 2002 déjà. De 2006 à 2009, il a fait partie du comité de sélection. Ces dernières années, il s’est occupé des rétrospectives.

Sa passion pour le cinéma remonte à ses années d’université. Enfant, il regardait les films à la télévision comme tout le monde. Et puis, pendant sa première année d’études à Turin, il a eu le coup de foudre avec Hiroshima, mon amour. Un film «bouleversant», qui a été une véritable révélation.

«Pour moi, le cinéma est une machine à rêves. Ces rêves ressemblent parfois beaucoup à la réalité, d’autres moins. Ils peuvent être une clé pour nous aider à comprendre qui nous sommes, ou de simples divagations sans signification. Et c’est cela qui me fascine.»

On n’en saura pas plus. Il souligne que toutes sortes de films l’ont touché. Quel est le genre qui le fascine en particulier? Il éclate de rire. Mauvaise question: «Je ne sais pas pourquoi vous, les journalistes, vous avez cette obsession… J’ai grandi à une époque où le concept même de genre cinématographique s’était effrité. Pour moi, la cinéphilie, terme qui fera peut-être sourire, c’est véritablement cette capacité de traverser les genres.» Et c’est pourquoi «son» festival est un peu à cheval entre le passé et le présent, entre les genres, les langues et les cultures. Ce n’est pas un hasard s’il le définit comme «par-delà les frontières».

Ce journaliste, auteur et programmateur, est né à Turin en 1971, où il obtient un diplôme universitaire en lettres et philosophie, avec une spécialisation en journalisme et communication.

Il a écrit et signé de nombreux essais et monographies sur le cinéma diaristico et sur des cinéastes tels que Errol Morris, Wong Kar Wai, Johan Van Der Keuken, Frederick Wiseman, Maurizio Nichetti et Nicolas Philibert.

Sous-directeur du Festival du film d’Alba de 2001 à 2007, il a été membre du comité de sélection du Festival des peuples de Florence et de Visions du Réel à Nyon (Suisse). Il a en outre collaboré avec divers instituts et festivals comme le Cinéma du Réel de Paris, le Musée national du cinéma de Turin et le Courmayeur Noir festival du Val d’Aoste.

En 2002 commence sa collaboration avec Locarno.

2006-2009: membre du comité de sélection et, depuis cinq ans, s’occupe de la section rétrospective (Nanni Moretti, Manga Impact, Ernst Lubitsch, Vincente Minnelli, Otto Preminger).

Carlo Chatrian a aussi été conseiller de la Cinémathèque suisse de Lausanne, mandat qu’il a dû quitter à la suite de sa nomination à la tête du Festival de Locarno, en septembre 2012.

Quelques petits détails à régler

Notre rencontre a lieu à quelques jours de l’ouverture. Le programme a été présenté, la critique semble enthousiaste. Le plus gros est fait. Il manque encore quelques noms, une surprise peut-être, et les petits détails qu’il faut soigner.

Il me demande une petite heure pour terminer ses articles de présentation: Werner Herzog, Christopher Lee, Sergio Castellitto, Anna Karina… «Parfois, il m’arrive d’écrire d’un seul jet mais, en général, j’ai besoin de tranquillité pour rassembler mes idées. Et je dois m’efforcer de freiner ma tendance à l’abstraction, à théoriser.»

J’en profite pour regarder autour de moi: un petit canapé, deux affiches du festival sur les murs, une bibliothèque avec quelques volumes épars. «Ils viennent tous de mes prédécesseurs, j’ai laissé les miens chez moi.» Ordonné, mais pas ascétique.

À neuf heures commence la valse des rendez-vous: correction des épreuves du catalogue, mise en page du magazine et aussi caser dans l’agenda interviews, cocktails de représentation et, surtout, l’essence du festival: les rencontres avec les réalisateurs, les acteurs, le public. Ses yeux courent d’un document à l’ordinateur, en passant par le téléphone mobile et l’agenda. Puis il s’arrête d’un coup et vous regarde droit dans les yeux.

Ses collaborateurs vont et viennent. Parfois, il s’échauffe, avec le ton de quelqu’un qui sait ce qu’il veut et qui n’a pas peur de le dire. «D’habitude, ça me passe vite… Je ne crois pas être un tyran, mais demandez plutôt à mes collaborateurs.»

Concours international: 20 films, dont 18 en première mondiale, sont en compétition pour le Léopard d’Or.

Parmi les films suisses: Mary, queen of Scots de Thomas Imbach, Tableau noir, d’Yves Yersin (documentaire), Sangue, du réalisateur italien Pippo Delbono, (coproduction RSI).

Sur la Piazza Grande: 16 films dont deux coproductions suisses. Jean-Stéphane Bron avec le documentaire L’expérience Blocher, et Lionel Baier avec Les Grandes Ondes (à l’ouest). A noter le retour de La variabile umana, de l’Italien Bruno Oliviero.

Le Léopard d’honneur va cette année à l’Allemand Werner Herzog, alors que la rétrospective est dédiée au cinéma de George Cukor (1899 -1983).

Tapis rouge: Christopher Lee, Victoria Abril, Anna Karina, Sergio Castellitto, Otar Iosseliani, Jacqueline Bisset, Faye Dunaway, entre autres.

En attendant le grand jour

Le hasard veut que, précisément ce jour-là soit le jour de la publication du programme de la Mostra de Venise. Un moment incontournable pour Carlo Chatrian: «Ah… j’ai vu beaucoup de ces films moi aussi», dit-il en chuchotant. Y a-t-il des transfuges? «Il y a un ou deux titres que j’aurais voulu avoir à Locarno, mais c’est le jeu. Pourtant, les gens qui travaillent pour les festivals sont peut-être plus des complices que des concurrents. Nous partageons tous la même passion pour le cinéma et parfois nous échangeons des informations précieuses. La concurrence est là, mais elle est salutaire.»

L’année dernière, Carlo Chatrian a voyagé dans le monde entier et visionné plus de mille films pour réunir les titres de son affiche. Les grandes lignes? «Probablement la problématique de la famille et de l’identité, mais aussi de la mémoire.» Pour sa première édition, il n’a pas cherché à tout chambouler. «Depuis 2001, le festival a connu quatre directeurs artistiques et, maintenant, il a surtout besoin de continuité. Il reviendra au public et à la critique de dire quelle empreinte j’ai donnée au festival. Tout le monde a le programme sous les yeux.» Mais de souligner: «Je considère que le travail d’un directeur de festival consiste à mettre les films en avant, pas lui-même.»

L’ouverture sur la Piazza Grande, le mercredi 7 août, pourrait attirer dans les 8000 spectateurs. Peur? Pas plus que ça, assure-t-il. «Pourquoi devrais-je avoir peur? Je ne veux pas me vanter, mais nous avons travaillé dur pendant une année entière pour en arriver là. A la limite, il y a un peu de tension… mais surtout une grande envie de rencontrer notre public.»

(Traduction de l’italien: Isabelle Eichenberger)

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