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«Hollande a déçu les espoirs de la gauche française»

François Hollande sur le porte-avions Charles de Gaulle, décembre 2016. Le président français s'est distingué comme chef de guerre et vendeur d'armements. Reuters

Passionné par les discours présidentiels, l’historien fribourgeois Alain Chardonnens a la fibre socialiste. Il revient sur le quinquennat de François Hollande, en décalage profond avec ses promesses initiales.

Alain Chardonnens est «tombé très jeune dans la marmite de la politique». Dans les années 1970, quand la presque totalité des communes de la Broye fribourgeoise sont dirigées par le parti démocrate-chrétien, son père est le syndic socialiste de Domdidier.

«Pour lui, François Mitterrand était une figure tutélaire, confie l’historien, qui enseigne à l’Université de Fribourg. Je dois avoir gardé quelque chose de cette admiration: j’ai sur mon chevet les «Lettres à Anne», correspondance de l’ancien Président avec sa maîtresse, Anne Pingeot».

A 20 ans, Chardonnens lit Jean Ziegler. «Je me suis approprié le conseil que lui prodigua Che Guevara: «Ton combat est chez toi, dans le cerveau du monstre». Un combat peut-être moins révolutionnaire chez le Fribourgeois. Socialiste impénitent, il se passionne pour les discours politiques: d’Alain Berset à Barack Obama, en passant par François Hollande. «Je suis en train de travailler sur les discours d’Emmanuel Macron», note l’historien.

Bientôt une dizaine d’ouvrages, tous publiés en France. Côté bestsellers, Chardonnens est encore loin de Jean Ziegler, mais certains de ses livres ont «cartonné» en librairie, notamment sa traduction des discours de Barack Obama, («La Promesse de l’Amérique», éditions Buchet Chastel) vendue à 15’000 exemplaires.

Alain Chardonnens. swissinfo.ch

swissinfo.ch: Vous avez publié le discours du Bourget de François Hollande en 2012, alors qu’il était candidat à la présidentielle. Que représente ce discours ? Le meilleur de Hollande ?

Alain Chardonnens: Je suis curieusement le seul à avoir publiéLien externe sous forme de livre ce discoursLien externe phare, qui ancre Hollande au cœur de la gauche. Certaines de ses envolées sont restées dans la mémoire collective, notamment : «Présider la République, c’est se vouer à l’intérêt général, dont toute décision doit procéder (…) Présider la République, c’est préserver l’Etat, sa neutralité, son intégrité, face aux puissances d’argent… ». Phrases qu’il répétera lors de son débat avec Nicolas Sarkozy. Il y déclare aussi que son «adversaire, c’est le monde de la finance».

swissinfo.ch: Qu’adviendra-t-il de ses promesses ?

A. Ch.: Pour tout socialiste, relire cette «bible» du hollandisme ne laisse pas indemne. Des grandes promesses de campagne n’ont pas été tenues: la remise à plat des relations franco-allemandes, la renégociation du pacte budgétaire européen, la régulation des banques avec la séparation des activités de crédit et de spéculation. Surtout, Hollande n’est pas devenu, malgré ses promesses du Bourget, le leader européen d’une politique de croissance. Comme en témoigne son ex-conseiller Aquilino Morelle dans son récent ouvrageLien externe, Hollande n’a pas même voulu entendre Barack Obama, qui le presse alors de s’engager dans une politique d’investissement et de croissance. Il préfère écouter Angela Merkel et sa rigueur budgétaire.

swissinfo.ch: Comment l’expliquez-vous ?

A. Ch.: Dans son for intérieur, François Hollande est social-démocrate. Au PS, il s’est toujours situé au centre ou à droite. Sa première erreur fut de choisir Jean-Marc Ayrault comme premier ministre. N’ayant jamais été ministres, aucun d’eux n’avait l’habitude de gouverner. Or, les décisions importantes doivent être prises dans les deux premières années du quinquennat. Quand Manuel Valls, qui succède à Ayrault en 2014, lance la réforme du code du travail, il est trop tard : la gauche est divisée, l’élan de la victoire de Hollande est retombé depuis longtemps.

swissinfo.ch: Quelles traces Hollande laissera-t-il dans l’histoire de la Ve République ?

A. Ch.: Ni pyramide, ni musée, ni grande bibliothèque, comme son prédécesseur socialiste Mitterrand mais, à l’image de cette présidence prétendument «normale», des réponses aux évolutions sociétales. Le mariage pour tous bien sûr – son plus grand succès – ou le redécoupage des régions françaises. Et cet homme si peu spartiate fut un bon «président de guerre». L’opération SERVAL de janvier 2013 au Mali fut un indéniable succès.

swissinfo.ch: Après lui, quel président voudra s’afficher «normal» ?

A. Ch.: Normal – ou anormal ? – Hollande l’est par son rapport sain à l’argent, son intégrité morale. Mais dans cette Cinquième République si présidentialiste, vouloir être «normal» est illusoire. D’ailleurs, l’élection présidentielle qui s’annonce n’a pas grand-chose de «normal». De Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen en passant par François Fillon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron, les principaux candidats à la présidentielle sont des concentrés de charisme et de testostérone. Et les Français adorent ça ! 

2012: Vainqueur de la primaire socialiste, François Hollande présente en janvier au Bourget les grandes orientations de son programme. Le 6 mai, il est élu président de la République, avec 51,64% des suffrages, battant le président sortant Nicolas Sarkozy. En décembre, son projet de loi taxant à 75% les revenus de plus de 1 million d’euros est censuré par le Conseil constitutionnel.

2013: La France devient le 14e Etat à légaliser le mariage homosexuel. Cette loi a fait l’objet d’une très forte contestation.

2014: Manuel Valls est nommé premier ministre. C’est le tournant «social-libéral» du quinquennat. Le gouvernement allège les cotisations patronales en échange de créations d’emplois, sans impact notoire sur le chômage, qui touche 3,5 millions de personnes.

2015: Face aux attentats de Charlie Hebdo puis ceux de novembre à Paris, Hollande prône la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme. Devant le tollé à gauche, il finira par renoncer.

2016: Hollande décide de ne pas briguer de second mandat.

 

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