Des perspectives suisses en 10 langues

Prisons de la CIA: nouveau rapport accablant de Dick Marty

Dick Marty dénonce une 'exportation' d'actes illégaux en Europe. Keystone

Le politicien tessinois et rapporteur du Conseil de l'Europe épingle la Roumanie et la Pologne. La CIA y a géré des prisons secrètes avec l'aval des gouvernements.

Le sénateur accuse par ailleurs l’Allemagne et l’Italie d’avoir fait obstruction à son enquête. Tous les pays rejettent les accusations.

Dans son second rapport sur les détentions secrètes de la CIA en Europe publié vendredi, Dick Marty révèle que la CIA a géré des prisons secrètes en Pologne et en Roumanie de 2003 à 2005 pour interroger des détenus dans le cadre de la guerre contre le terrorisme menée par les Etats-Unis.

Ces deux pays ont accueilli des prisons secrètes dans le cadre d’un programme de la CIA visant à «tuer, capturer ou détenir» des suspects de terrorisme importants, estime le sénateur radical (PRD, droite) tessinois qui a enquêté sur l’implication éventuelle des pays membres du Conseil de l’Europe.

Allemagne et Italie dans le collimateur

«Ces centres de détention ont bel et bien existé en Pologne et en Roumanie, et nous ne pouvons pas exclure que des détenus clandestins aient séjourné dans d’autres pays européens», a-t-il précisé depuis Paris.

Le sénateur accuse par ailleurs l’Allemagne et l’Italie d’avoir fait obstruction à son enquête.

La publication de son deuxième rapport sur ce dossier intervient alors que six organisations de défense des droits de l’Homme ont jeudi publié les noms de 39 suspects de terrorisme qui seraient encore détenus secrètement par les autorités américaines.

Citant des sources anonymes de la CIA, le rapport affirme qu’Abou Zoubaydah, intermédiaire présumé entre Oussama ben Laden et des cellules d’Al-Qaïda, et Khalid Cheikh Mohammed, cerveau présumé des attentats du 11-Septembre, ont été secrètement détenus et interrogés en Pologne.

Les opérations ont été rendues possibles notamment par un accord secret conclu le 4 octobre 2001 entre Washington et ses alliés de l’OTAN, permettant à la CIA d’enlever et d’incarcérer des personnes soupçonnées de terrorisme en Europe, ainsi que des accords bilatéraux secrets avec les pays concernés.

Accusations rejetées

Jerzy Szmajdzinski, ancien ministre polonais de la Défense entre 2001-2005, a rejeté ces accusations. «Je ne m’occupe pas de politique-fiction», a-t-il déclaré.

Le sénateur roumain Norica Nicolaï, qui a dirigé une enquête pour le Parlement roumain sur les allégations, juge pour sa part les accusations «totalement infondées» .

Même son de cloche du côté de l’Agence centrale américaine du renseignement (CIA), dont le porte-parole Paul Gimigliano a déclaré: «Je n’ai pas encore vu le rapport. Mais l’Europe est à l’origine d’allégations grossièrement inexactes sur la CIA et la lutte contre le terrorisme».

En Allemagne, le porte-parole du gouvernement, Thomas Steg, a récusé les accusations selon lesquelles Berlin aurait entravé l’enquête.

Des vols secrets

Selon le rapport, «les plus hautes autorités de l’Etat» dans les pays européens concernés «étaient au courant des activités illégales de la CIA sur leur territoire». La collaboration d’alliés de Washington était essentielle pour le programme de détention secrète de la CIA qui s’est déroulé dans le cadre de la politique de sécurité de l’OTAN.

Les preuves de vols secrets montrent le rôle crucial joué par la Pologne et la Roumanie comme points de débarquement de suspects de terrorisme, selon Dick Marty.

D’après lui, des «détenus de grande importance» ont été emprisonnés en Pologne sur la base de Stare Kiejkuty, et les Américains avaient le contrôle total des détenus.

Dans un entretien au «Figaro», Dick Marty explique qu’avec les prisons secrètes, «les Etats-Unis ont voulu imposer une guerre sans règles contre le terrorisme», qui a «débouché sur un désastre».

«La sous-traitance instaurée dans nos pays témoigne d’un manque de respect vis-à-vis des partenaires européens», conclut l’ancien procureur.

swissinfo et les agences

Né en 1945 au Tessin, Dick Marty est docteur en droit.
De 1975 à 1989, il a été substitut, puis procureur du canton du Tessin.
Après avoir été membre du gouvernement tessinois, il est sénateur depuis 1995, élu sur les listes du Parti radical (droite).
Depuis 1999, il siège à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, où il préside depuis deux ans la Commission des affaires juridiques et des droits humains.

En 2005, l’ONG Human Right Watch dénonçait l’existence en Europe de prisons secrètes de la CIA et le kidnapping de terroristes présumés.

Le Conseil de l’Europe a chargé le sénateur suisse Dick Marty – président de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – d’enquêter.

En juin 2006, Dick Marty présentait un 1er rapport: 14 pays européens ont collaboré avec la CIA sur le transfert de terroristes présumés et leur détention dans des prisons secrètes.

Le rapport accusait aussi Berne d’avoir fermé les yeux sur le transit d’avions suspects.

Dans son 2e rapport ce vendredi, Dick Marty révèle que la CIA a géré des prisons secrètes en Pologne et en Roumanie de 2003 à 2005. Un débat est prévu le 27 juin à Strasbourg pendant une session plénière.

A l’appel d’Amnesty International (AI), 100 parlementaires suisses ont signé une déclaration demandant à Washington de fermer la prison de Guantanamo.

Ce texte, qui intervient un an après la mort par suicide de trois détenus, a été signé par la totalité des députés verts et la quasi-totalité des socialistes, mais aucun de l’Union démocratique du Centre (UDC, droite dure).

Un récent rapport d’AI montre que près de 80% des 385 prisonniers sont maintenus à l’isolement.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision