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Le chômage partiel, une arme anti-crise efficace

Le secteur des machines-outils - ici l'entreprise Tornos à Moutier, dans le canton de Berne - est particulièrement sensible aux cycles économiques. En cas de crise, le chômage partiel permet d'absorber en partie le choc. Keystone

Le chômage partiel permet non seulement de sauver des emplois mais également de faire baisser les coûts de l’assurance-chômage. Telles sont les conclusions d’une étude publiée récemment par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). De quoi réjouir à la fois patrons et syndicats.

En 2009, l’industrie suisse est frappée de plein fouet par un violent retournement conjoncturel né de la crise des subprimes aux Etats-Unis. Dans le secteur des machines-outils, le chiffre d’affaires des entreprises chute en moyenne de 70%. «La situation était dramatique. En 30 ans d’activité dans le métier, je n’avais jamais connu une dégradation aussi soudaine», se souvient Rolf Muster, patron de l’entreprise bernoise Schaublin Machines SA.

Le chômage partiel, mode d’emploi

En période de crise économique, lorsqu’une entreprise fait face à de fortes baisses de commandes, elle peut, en accord avec le personnel concerné, réduire provisoirement l’horaire de travail. Les collaborateurs perçoivent alors une indemnité de 80% de la perte de revenu. Si l’employeur réduit par exemple le taux d’activité de 100% à 50%, l’entreprise verse ces 50% et la caisse d’assurance-chômage couvre 80% des 50% restants. L’employé reçoit ainsi 90% de son salaire initial.

Alors ministre de l’Economie, Doris Leuthard est pressée d’agir. Rapidement, elle décide d’assouplir les conditions d’accès au chômage partiel et de prolonger la durée d’indemnisation de 12 à 18 mois, puis à 24 mois une année plus tard. «Doris Leuthard a beaucoup insisté auprès des entreprises pour qu’elles utilisent intensément cet instrument», se souvient Daniel Lampart, premier secrétaire de l’Union syndicale suisse (USS)Lien externe. «Le monde politique s’est montré généreux et a su faire preuve de flexibilité face à l’ampleur de la crise», renchérit Pierluigi Fedele, spécialiste de l’industrie au syndicat UNIALien externe.

En 2009, plus de 90’000 employés sont mis au chômage partiel en Suisse. Du jamais vu. Dans les régions les plus industrialisées du pays, la mesure est appliquée à large échelle. Dans les cantons du Jura et de Neuchâtel, plus de 10% du total des actifs bénéficient ainsi des indemnités pour réduction de l’horaire de travail (RHT)Lien externe. Mais cela a un coût: 1,1 milliard de francs à charge de l’assurance chômage pour cette seule année-là.

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Efficace, vraiment?

Jusqu’ici, des doutes subsistaient quant à l’efficacité réelle de cet outil anti-crise. Certaines études reprochaient notamment aux programmes de réduction de temps de travail de ne pas empêcher les licenciements, mais seulement de les différer dans le temps. Autre danger: des entreprises demanderaient des indemnités de chômage pour sauver des emplois qu’elles auraient de toute façon gardé, même sans soutien de l’Etat.

«Grâce au chômage partiel, on évite de perdre un précieux savoir-faire au sein des entreprises»
Philippe Cordonier, Swissmem

Une nouvelle analyseLien externe réalisée par le Centre de recherches conjoncturelles de l’EPFZ (KOF) sur mandat du SECO permet de balayer ces craintes. Entre 2009 et 2015, le chômage partiel a durablement empêché des licenciements en Suisse et permis aux entreprises concernées de sauvegarder au moins 10% de leurs emplois, affirment Daniel Kopp et Michael Siegenthaler, co-auteurs de l’étude.

Conséquence directe: les dépenses occasionnées pour le chômage partiel ont été largement compensées par les économies réalisées dans l’assurance-chômage ordinaire.

Garder le savoir-faire

En Suisse, le chômage partiel fait généralement l’objet d’un consensus très large: il est encouragé par tous les partenaires sociaux et jouit d’un soutien tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique. Il n’est donc pas étonnant que patrons et syndicalistes applaudissent à l’unisson la conclusion de cette étude.

«C’est la preuve qu’il s’agit d’un instrument efficace et bien ciblé», réagit Philippe Cordonier, membre de la direction de SwissmemLien externe, l’association faîtière de l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux. Ce système permet aux entreprises de garder en poste des travailleurs qualifiés et de les remobiliser quand les affaires reprennent. «On évite ainsi de perdre un précieux savoir-faire, le risque étant que des personnes qualifiées quittent définitivement l’industrie en cas de licenciements», souligne Philippe Cordonier.

«Cette étude clarifie les choses et confirme les observations faites sur le terrain: le chômage partiel a bel et bien permis de sauver de nombreux emplois dans l’industrie suisse ces dernières années», se félicite quant à lui Daniel Lampart.

Un modèle encouragé par l’OCDE

Comme le soulignent les auteurs de l’étude, ce sont surtout les petites et moyennes entreprises (PME) qui ont fait un usage intensif de cet instrument. «Les grands groupes sont davantage enclins à prendre des décisions rapides et brutales lorsque leurs affaires se détériorent. La RHT n’est donc pas adaptée à ce type de management», souligne Pierluigi Fedele.

Lutte contre le franc fort

Actuellement, les entreprises suisses peuvent bénéficier des indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) pour une période maximale de 12 mois. Depuis le 27 janvier 2015, les pertes de travail résultant de la forte appréciation du franc suisse sont également prises en compte. Le maintien de cette directive est régulièrement examiné par le Secrétariat d’Etat à l’économie, comme l’a indiqué ce dernier à swissinfo.ch.

Si le chômage partiel a largement fait ses preuves durant la crise économique de 2009-2010, ce fut moins le cas dans le contexte du franc fort qui a suivi l’abolition du taux plancher de l’euro par la Banque nationale suisse en janvier 2015. «Le chômage partiel est prévu pour faire face à une baisse d’activité passagère. Or durant la crise de l’euro, les entreprises n’avaient pas forcément moins de travail; elles se sont retrouvées en difficulté en raison de la forte réduction de leurs marges. Malgré une certaine souplesse des autorités dans les critères d’attribution, la RHT fut moins utilisée à cette occasion», relève Pierluigi Fedele.

Dans un environnement monétaire défavorable, il est par ailleurs beaucoup plus difficile pour les entreprises d’entrevoir la fin de la crise et de prendre des mesures provisoires comme le chômage partiel.

Reste que l’étude commandée par le SECO vient apporter de l’eau au moulin des défenseurs du chômage partiel, en Suisse et à l’étranger. En 2009, Pascal Lamy, alors directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), déclarait au journal Le Temps que le chômage partiel, assez courant en Europe, rendait le continent mieux armé face à la crise que des pays comme les Etats-Unis qui ne le pratiquent pas.

Depuis quelques années, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)Lien externe se fait elle aussi le chantre de cet instrument de protection sociale jugé plus efficace que n’importe quelle autre mesure protectionniste. «L’étude suisse sera assurément scrutée de près par les dirigeants de l’OCDE, qui entendent bien développer le chômage partiel dans d’autres pays», affirme Daniel Lampart.

Vous pouvez contacter l’auteur de cet article sur Twitter: @samueljabergLien externe

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