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En crise, l’industrie de l’information trouve des alliés chez les scientifiques

A man rides the tram while reading a newspaper on his iPad.
Alors que 80% des Suisses s'informent sur Internet, les médias doivent continuellement s’adapter à la concurrence dans un marché numérique en rapide évolution. Keystone

Des «fausses nouvelles» à la perte de lecteurs et d'annonceurs, la liste des défis auxquels est confronté le secteur des médias est longue et décourageante. La nouvelle Initiative pour l'innovation dans les médias veut trouver de nouvelles façons d'aider les éditeurs à prospérer à l'ère numérique.

Mounir Krichane parcourt la sombre liste des difficultés auxquelles l’industrie de l’information est actuellement confrontée en Suisse et dans d’autres pays. En tant que directeur du Centre des médiasLien externe de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), il n’a pas de baguette magique, mais une conviction forte: les partenariats.

La disruption décrit une invention qui brise la structure d’un secteur de l’économie, permettant de concurrencer, voire de prendre la place des entreprises établies de la branche concernée. Cette version du principe de destruction créatriceLien externe de l’économiste allemand Joseph Schumpeter (1883-1950) est calée sur la révolution numérique en cours. Une rupture incarnée par des entreprises comme Uber, Airbnb ou Netflix. swissinfo.ch/fb

«Il est de plus en plus difficile pour les médias, grands ou petits, de relever seuls les défis», déclare M. Krichane. L’Initiative pour l’innovation dans les médias (IMI), que dirige l’ingénieur, a pour but de mettre en relation les chercheurs, les laboratoires technologiques et les éditeurs intéressés par des idées avant-gardistes pour s’attaquer aux plus grandes difficultés du secteur.

«Nous voulons que les partenaires publics et privés se réunissent, en Suisse et à l’étranger, et qu’ils se penchent sur de nouveaux éléments disruptifs permettant une innovation importante», dit-il en invoquant un concept très tendance depuis quelque temps.

Soutenue par les autorités fédérales, l’initiative lancée cet été prévoit de financer des projets avec un budget annuel de 650’000 francs suisses. Parmi les partenaires figurent la Société suisse de radiodiffusion (SSR), maison mère de swissinfo.ch, ainsi qu’un petit nombre d’instituts technologiques, dont l’EPFL.

Portrait of Mounir Krichane
​​​​​​​Mounir Krichane a obtenu son diplôme d’ingénieur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) avant de rejoindre le radiodiffuseur public francophone RTS, où il a supervisé la fusion des sites d’information et dirigé des projets innovants pour de nouveaux contenus. En mars 2018, il a été nommé directeur du Media Center de l’EPFL, le bras opérationnel de l’Initiative for Media Innovation. L’IMI regroupe l’EPFL, un réseau d’universités francophones (Genève, Lausanne et Neuchâtel), la Société suisse de radiodiffusion et le groupe de médias privés Ringier. Avec le soutien de l’Office fédéral de la communication et un fonds annuel de 650’000 francs, l’initiative financera des projets qui stimulent l’innovation dans les médias et les technologies de l’information. Le premier appel d’offres sera lancé à l’automne. ALAIN HERZOG

Faire du profit en ligne

Le premier défi préoccupe le secteur depuis la fin du siècle dernier: la recherche d’un modèle économique permettant aux organes d’information de s’inscrire pleinement dans un marché numérique en pleine effervescence, rappelle Mounir Krichane. Environ 80% des Suisses s’informent en ligneLien externe, selon le dernier sondage réalisé pour le Reuters Institute. En revanche, le lectorat de la presse écrite a diminué de huit points au cours des trois dernières années.

La question pour beaucoup d’éditeurs, dit Mounir Krichane, est donc de savoir comment gagner de l’argent si les ventes de journaux baissent: «En Suisse, nous avons beaucoup de journaux locaux et ce n’est pas facile pour eux, car ils n’ont pas un grand public. Et aller en ligne n’est pas facile, car c’est un marché avec beaucoup de joueurs.»

Au cours des dernières années, les réseaux sociaux sont devenus des acteurs majeurs de la distribution d’informations en ligne. Les grands médias ont dû adapter leur contenu et leurs schémas de distribution pour être vus et entendus sur ces plates-formes.

«Pour certaines entreprises de médias, les grands acteurs comme Facebook sont le seul endroit où ils peuvent publier leur contenu, de sorte qu’ils perdent le contrôle et sur la façon dont ils publient et le moyen d’en tirer un revenu», explique M. Krichane.

Les priorités de Facebook

Pour compliquer les choses, Facebook a décidé début 2018 de donner la priorité aux messages de la famille et des amis sur le contenu des éditeurs dans le flux d’informations des utilisateurs, ce qui constitue un revers pour les médias qui dépendent des réseaux sociaux pour générer du trafic vers leurs sites.

Face à de tels défis, les plus grands éditeurs suisses ont déployé diverses stratégies pour préserver leurs profits. Et ce, en rachetant des journaux régionaux plus petits et en centralisant la production éditoriale. Certains ont également expérimenté d’autres types de services, comme les annonces en ligne, afin de diversifier davantage leurs sources de revenus.

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Bien que cette concentration croissante des médias privés entre les mains de quelques-uns, associée à la disparition d’un certain nombre de publications imprimées, inquiète certains critiques, M. Krichane souligne une réaction positive à ce changement. Des nouveaux médias (Republik à Zurich et Bon Pour La Tête à Lausanne) ont vu le jour grâce aux opérations de financement par les lecteurs (crowdfunding) avec l’objectif de produire des articles approfondis. Leur création s’inscrit dans une tendance plus large qui consiste à cultiver un bassin d’utilisateurs et d’abonnés potentiels (payants).

S’engager, mais avec prudence

Mais si les éditeurs sont désireux de sauter dans le train de l’engagementLien externe, ils ne doivent pas le faire aveuglément, prévient M. Krichane: «Vous pouvez offrir de meilleurs services et communiquer davantage avec le public, mais vous devez le faire de manière à n’utiliser que l’information des utilisateurs dont vous avez besoin. Vous devez donner le choix aux gens, et pas les forcer à donner des informations personnelles.»

La ligne de démarcation entre la collecte de données pour personnaliser le contenu et la protection de la vie privée de l’utilisateur est mince. Les chercheurs impliqués dans l’IMI veulent aider les éditeurs à résoudre les problèmes éthiques et sociaux soulevés par le passage au numérique.

La fidélisation est aussi une question de confiance, et bien que la confiance dans les médias suisses reste relativement élevée (52% en 2018, contre une moyenne de 44% dans près de 40 pays étudiés pour le rapport Reuters), on craint qu’elle ne soit menacée par la perte de qualité, les préjugés et la désinformation. Le sondage Reuters montre que la moitié des Suisses s’inquiètent d’un mauvais journalisme et de nouvelles complètement fabriquées.

Combattre les «fausses nouvelles»

Avec le problème de la désinformation en haut de la liste des priorités de l’IMI, Mounir Krichane dit que la première étape serait pour les chercheurs de développer une typologie des «fausses nouvelles» en Suisse, afin de mieux comprendre comment elles se propagent sur les réseaux sociaux. Bien qu’il soit difficile d’évaluer l’impact des fausses informations sur les utilisateurs ordinaires, s’attaquer à l’ampleur du problème pourrait aider les régulateurs, et pas seulement l’industrie des médias, à mettre en place des contre-mesures.

L’initiative vise également à explorer l’innovation technologique dans ce domaine: «Nous pouvons examiner des solutions, comme des algorithmes pour mesurer la véracité ou la transparence des nouvelles ou leur degré d’objectivité.»

«Il n’y a pas de retour possible, estime-t-il. Malgré la tension permanente entre les grandes entreprises technologiques et les médias traditionnels sur plusieurs questions, y compris la désinformation, il faut trouver des solutions pour que ces acteurs travaillent ensemble.»

En 2017, Facebook a établi des partenariats avec des vérificateurs de nouvelles pour lutter contre la diffusion de la désinformation sur sa plateforme. Le service de messagerie WhatsApp (rachetée par Facebook en février 2014) lui a récemment emboîté le pas. Et cette année, Facebook a répondu à de multiples demandes de partage de données en annonçant un programme pour le faire avec des chercheurs qui se penchent sur la désinformation.

Reste à voir si l’autorégulation des entreprises de technologie aura un impact durable sur le problème des «fausses nouvelles», admet M. Krichane. Mais il est convaincu que, tout comme les plates-formes numériques tentent de collaborer avec l’industrie de l’information, l’IMI peut aussi jeter des ponts entre journalistes et universitaires, d’abord en Suisse et éventuellement à l’étranger.

Dans son précédent emploi au laboratoire numérique de la RTS (radio-TV publique suisse en langue française), Mounir Krichane a rencontré de nombreux professionnels des médias prêts à expérimenter de nouveaux formats: «Ce sont les personnes clé dont nous avons besoin pour commencer à construire un pont pour qu’une communauté de journalistes, d’étudiants et de chercheurs travaillent ensemble sur des projets. Ça fait partie de l’écosystème de l’innovation.»

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Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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