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Le grand écart entre la volonté du peuple et son application

Reuters

«Cacophonie», «numéro d’équilibriste», «jeu de cache-cache» ou encore «fils de parents incompatibles». Les termes utilisés par la presse suisse, pour commenter la solution «light» choisie jeudi par le Conseil national pour l’application de l’initiative sur l’immigration de masse, traduisent le malaise. La formule retenue est bien loin de l’article constitutionnel, voté par le peuple en 2014, et de nombreux médias appellent à la tenue d’un nouveau scrutin populaire.  

La solution «light» pour limiter l’immigration

Le Conseil national s’est prononcé mercredi en faveur d’une solution dite «light» pour appliquer l’initiative sur l’immigration de masse, en comparaison avec la voie proposée par le gouvernement.Elle prévoit que la Suisse doit limiter l’immigration en exploitant mieux sa main-d’œuvre résidente. Au besoin, le Conseil fédéral pourrait aussi prendre des mesures correctives enfreignant la libre circulation, mais seulement avec l’aval de Bruxelles.Le projet doit préserver la voie bilatérale et débloquer la situation politique avec Bruxelles qui n’accepte pas de remise en cause de la libre circulation. 

«La solution choisie fait le grand écart avec l’article constitutionnel visant à restreindre l’immigration Jamais une loi d’application ne s’est autant distanciée des exigences de la charte fondamentale», commente «Le Temps», qui utilise le terme de «cacophonie» pour qualifier les débats. Un sentiment largement répandue dans la presse suisse ce jeudi, qui commente la solution «light» retenue par le Conseil national pour mettre en œuvre l’initiative sur l’immigration de masse.

La «Berner Zeitung» va jusqu’à affirmer que «ce que le Conseil national a décidé hier pour mettre en œuvre l’initiative sur l’immigration de masse n’a plus rien avoir avec l’article constitutionnel». «La Chambre basse du Parlement n’a pas seulement interprété, lissé la volonté du peuple pour la rendre acceptable pour la majorité, comme elle aurait dû le faire, mais elle l’a ignorée, affirme le journal bernois. Cela est grave même pour les opposants à l’initiative et encourage la méfiance envers les politiques».

Pour «24 heures» et «La Tribune de Genève», la mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse» s’apparente à «un numéro d’équilibriste». L’éditorialiste décrit la solution du Conseil national comme «une construction juridique alambiquée, sans quotas ni plafonds, avec une préférence indigène au bon vouloir des patrons».

Les deux quotidiens lémaniques posent deux questions clés. «Le peuple peut-il se sentir floué? Oui. Faut-il jeter la pierre au parlement? Non.» Mais à qui faut-il dès lors jeter la pierre? En partie à la majorité qui n’a pas trouvé une réponse satisfaisante. Toutefois, les deux journaux mettent aussi en cause l’UDC «qui n’a jamais précisé clairement de combien cette immigration devait être réduite. La limite: les besoins de l’économie. Ce qui pourrait signifier aussi que, dans une période d’économie florissante, la Suisse devrait ouvrir les vannes et accueillir à bras ouverts des foules de travailleurs étrangers.» 

Bonne nouvelle pour les chercheurs suisses!

«On oublie toujours qui est le chef de ce pays, aussi bien dans cette maison qu’au Conseil fédéral. Le chef suprême de la Suisse, ce sont les citoyens.» Adrian Amstutz, UDC Keystone

Seule «La Liberté» met en évidence un point positif: «Le Conseil national a probablement sauvé la participation de la Suisse au programme de recherche européen Horizon 2020. Les mesures décidées sont eurocompatibles. Une fois avalisées par le Conseil des Etats lors de la session de décembre, elles permettront au Conseil fédéral de ratifier l’accord qui étend la libre circulation des personnes à la Croatie, condition sine qua non pour que les chercheurs suisses ne soient plus marginalisés».

Le quotidien fribourgeois relève toutefois que «rien n’est résolu» et que «tout cela ne sert qu’à gagner du temps», tout en rappelant que le sort des relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE) dépendent aussi du Royaume Uni. «Tant que l’UE et le Royaume-Uni ne se seront pas mis d’accord pour régler leurs relations post-Brexit, la marge de manœuvre de la Suisse sera restreinte, du moins si elle veut continuer à développer la voie bilatérale.» Pour «La Liberté», le Conseil national a donc «sauvé les meubles, mais on ne sait pas encore si la maison sera épargnée».

RASA pour remettre l’église au milieu du village

«Je renonce à qualifier de jardin d’enfants ce que vous avez montré ces derniers jours, Mesdames et Messieurs de l’UDC, car ce serait une insulte aux enseignants d’école enfantine de ce pays.» Cédric Wermuth PS Keystone

La presse suisse est presque unanime sur le fait qu’une solution doit être trouvée pour que la volonté du peuple soit réellement appliquée. Et le dernier mot pourrait justement revenir une nouvelle fois aux citoyens.

«La question de la conformité avec l’article constitutionnel doit être réglée, tonne «Le Temps». Il s’agira de trouver une solution permettant de demander élégamment au peuple, sans lui donner le sentiment qu’il s’est trompé car il déteste ça, de trancher entre la restriction de l’immigration qu’il a voulue et la sauvegarde des accords bilatéraux».

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Le quotidien édité à Genève exhorte le Conseil des Etats à élaborer «quelque chose de plus cohérent» que le Conseil national, lorsqu’il s’emparera de la question en décembre. Il souligne aussi qu’une première perche est tendue au peuple par l’initiative populaire «Sortons de l’impasse!», surnommée RASA (de son acronyme allemand), qui veut simplement supprimer l’article constitutionnel introduit avec l’initiative de l’UDC.

Même son de cloche dans l’«Argauer Zeitung», qui lance: «Finissez-en avec cette partie de cache-cache! Au plus tard avec l’initiative RASA, le Conseil fédéral devra enfin servir du vin pur. Il doit expliquer qu’une solution avec l’UE n’est pas possible et qu’il faut changer la Constitution pour sauver les bilatérales. Le gouvernement ferait donc bien d’éclairer la population au cas où elle aurait le dernier mot».

Le «Corriere del Ticino» utilise, pour qualifier la solution retenue, l’image d’un enfant aux parents incompatibles, en faisant référence à la libre circulation des personnes et aux quotas pour limiter les travailleurs européens. Le journal tessinois souligne que la décision de Conseil national n’est toutefois qu’une étape. Il convient d’attendre de voir «si le Conseil fédéral oppose une contre-initiative visant à abolir l’article 121a, si le Conseil des Etats en décembre suivra la ligne du Conseil national et surtout comment va réagir l’UDC, qui menace depuis longtemps de recourir aux urnes pour abolir la libre circulation».


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