Des perspectives suisses en 10 langues

«Nous avons vécu une vie avec le frein à main tiré»

Familie Rothenbühler vor dem Spaziergang
© Thomas Kern/swissinfo.ch

Pendant dix ans, ils ont essayé d’avoir des enfants, sans parler à personne de ce désir inassouvi. Aujourd’hui, ils sont parents de deux jumelles et veulent aider à briser le tabou.

«Quand vous déciderez-vous à avoir des enfants?», «Vous n’avez pas d’enfants?», «Pour nous, ça a marché tout de suite!»: ces phrases, Janaina et Mike Rothenbühler les ont entendues tellement souvent. Cela partait toujours d’une bonne intention, mais pour eux, c’était devenu un enfer. Aujourd’hui âgés de 38 et 49 ans, les deux Argoviens ont essayé pendant presque 10 ans d’avoir des enfants. Et ils ne sont pas les seuls: 10% environ des couples suisses qui souhaitent procréer n’y parviennent pas.

Famille
© Thomas Kern/swissinfo.ch

Ensemble, ils ont traversé beaucoup d’épreuves: traitements hormonaux, insémination artificielle, fausses couches. Aujourd’hui, ils ont des jumelles. Mais Aimara et Inaiê sont des prématurées, nées à la 28e semaine de grossesse. Aujourd’hui, elle se portent bien. Happy end? Pas si simple. Janaina et Mike racontent comment ils ont vécu tout cela.


Janaina: Nous nous sommes connus en 2006, et nous avons tout de suit été follement heureux ensemble. Tout allait bien et j’ai rapidement abordé le thème des enfants. J’ai toujours voulu avoir des enfants.

Mike: Pour moi, ce n’était pas aussi central, parce que j’ai déjà un fils d’une relation précédente. Je me disais que les deux voies étaient possibles, et donc, nous avons essayé.

Janaina: Lorsqu’après une année je n’étais toujours pas tombée enceinte, nous avons fait des examens pour tester mon statut hormonal et le sperme de Mike. Selon les résultats, nous étions tous les deux fertiles. Il n’y avait aucune raison que ça ne marche pas. J’aurais préféré que les médecins disent «il y a ceci ou cela qui ne joue pas chez vous, nous pouvons y remédier».

Mike: Et dans ton entourage, elles tombaient toutes enceintes. C’était grave.

Janaina: Oui, et puis ces conseils: «Tu dois juste te détendre, ne te crispe pas, n’y pense pas trop». Tout le monde me disait ça, mais ce n’est pas si facile.

Deux ans après leur décision d’avoir un enfant, Janaina et Mike se font aider par les médecins. Ils procèdent à plusieurs inséminations artificielles, où le sperme est injecté directement dans l’utérus. Mais Janaina ne tombe pas enceinte.


Mike: Je devais donner régulièrement mon sperme à l’hôpital. À chaque fois, je devais traverser un long couloir avec mon petit flacon à la main et répondre aux mêmes questions: «Ca fait combien de temps, Monsieur Rothenbühler?» C’était tellement pénible pour moi, c’était un peu comme d’aller à l’abattoir.

Janaina: Je te comprenais, mais pourtant c’était, oui… – de mon point de vue – pas si grave. J’ai dû endurer bien pire.

Et Janaina ne tombe toujours pas enceinte. Elle est désespérée, Mike aussi. Ils commencent à se disputer. Ne pas savoir pourquoi ça ne marche pas est une torture pour tous les deux. Noël, c’est l’enfer. Des bébés et des enfants partout. La famille ne sait pas que Janaina et Mike essayent depuis des années d’avoir un enfant.

«Je ne voulais pas de pitié. La plupart des gens ne comprennent pas ce que vous vivez» – Janaina

Janaina: Je ne voulais pas de pitié. C’était notre affaire privée. La plupart des gens ne comprennent pas ce que vous vivez. Je me suis longtemps sentie comme si nous vivions une vie avec le frein à main tiré. Parce qu’on pense toujours que ça va peut-être marcher ce mois. C’est ainsi que nous avons par exemple renoncé à des vacances, ou à d’autres choses.

Mike: Et la pression que tu m’as mise! Le sexe, c’était seulement d’après le calendrier, et seulement pour tomber enceinte… On a traversé quelques crises de couple. Mais on a tenu ensemble.

Au bout de quatre ans, les médecins suggèrent une autre voie: celle de la fécondation in vitro, avec réimplantation de l’ovule fécondé. Janaina est ouverte à l’idée, mais dans un premier temps, Mike n’en veut pas.

Famille
© Thomas Kern/swissinfo.ch

Mike: Que mon enfant soit conçu dans une éprouvette? J’étais sceptique. Mais plus j’ai compris que la nature allait faire la plus grande partie, plus j’ai pu me l’imaginer. Et c’est un médecin d’une clinique alors toute nouvelle à Olten qui m’a convaincu.

Janaina: Au début, nous devions aller souvent chez le médecin, mais ça en valait la peine. Puis est venu le premier essai: j’étais enceinte! Nous étions tellement heureux. Mais l’espoir s’est vu rapidement anéanti, parce que j’ai fait une fausse couche peu de temps après. Il s’en est suivi une période difficile. J’ai beaucoup pleuré et je me suis dit: «Maintenant, je n’aurai peut-être jamais d’enfant». Mike, à ce moment, tu as été comme mon roc dans la tempête, et j’en étais si contente.

Le couple Rothenbühler ne veut même pas penser à renoncer. Ils font une nouvelle tentative: traitement hormonal, prélèvement d’ovules, fécondation, réimplantation. Nouvel espoir que cela marche. Et nouvelle désillusion, quand les œufs fécondés n’arrivent pas à s’implanter. Nouvelle phase de vie à frein tiré. Janaina va maintenant sur la quarantaine, elle a peur du jour où elle n’aura plus assez d’ovules.


Janaina: Le désir d’enfants, les fausses couches, cela faisait beaucoup. Personne ne m’avait préparé à vivre ça.

Mike: Et puis, il y avait mon âge. J’ai toujours dit qu’à partir de cinquante ans, il n’y avait plus d’enfant. Si ça n’avait tenu qu’à moi, nous aurions pu vivre sans enfants.

Mais le couple essaie encore une fois: traitement hormonal, prélèvement, fécondation. Sur les dix ovules fécondés, quatre sont utilisables. Nouvel espoir. Et cette fois, l’implantation réussit. Janaina attend des jumelles. Enfin! Après dix ans.


Mike: Ma femme avait si longtemps imaginé à quel point ce serait merveilleux d’être enceinte. Et tout d’un coup, ça n’allait pas.

Janaina: J’étais fatiguée, je me sentais mal, je ne pouvais rien supporter. Pendant longtemps, je n’arrivais pas à croire que j’étais vraiment enceinte. J’avais peur de perdre à nouveau les bébés. Puis, ça a été le choc: une toxémie gravidique à la 28e semaine de grossesse. J’ai fini aux urgences.

Mike: Ils ont pratiqué une césarienne d’urgence. Les deux filles faisaient 750 grammes et 1,1 kilo à la naissance. Elles étaient minuscules, plus petites qu’un kilo de farine. Avec leurs yeux noirs, elles ressemblaient à des extraterrestres, c’était effrayant.

Janaina: Mais au moins, tu as pu aller les voir. Moi, j’ai dû attendre un jour avant de les voir et de les toucher.

Plus tard, Janaina et Mike peuvent emmener les enfants à la maison, l’une après l’autre. Ils sont enfin à quatre, avec leurs deux jumelles.

Famille
© Thomas Kern/swissinfo.ch

«Bien que ce soit merveilleux, j’atteins souvent mes limites»- Janaina

Janaina: Le quotidien est bien plus stressant que ce beaucoup imaginent. Bien que ce soit merveilleux, j’atteins souvent mes limites. Aller à la piscine seule avec deux enfants d’un an – ce n’est guère possible. Maintenant, ça devient lentement plus facile.

Ses expériences faites au fil des ans, Janaina veut les communiquer aux femmes et aux hommes qui veulent des enfants. Elle a participé à plusieurs ateliers et suivi une formation de coach en désir d’enfants.


Janaina: Ce qui m’a le plus aidé, c’est d’échanger avec des femmes dans la même situation sur des blogs et des forums. Maintenant, je veux aider aussi. Je voudrais aussi bien aider à briser le tabou autour de ce thème du désir d’enfant. On ne parle pas assez de ce qui peut arriver quand ce désir n’est pas comblé. En termes de coûts comme en termes de sentiments.

Mike: Oui, maintenant nous en savons tellement plus qu’au début. Il y a des choses que nous aurions fait différemment si nous avions su. Par exemple, nous en serions venus plus tôt à aborder l’insémination artificielle.

Après une longue attente et beaucoup de souffrances, les Rothenbühler ont aujourd’hui deux filles en bonne santé. Et le centre de fertilité d’Olten conserve encore un ovule fécondé au congélateur. Au cas où ils voudraient essayer encore une fois?


Janaina: D’un côté, l’idée de le «tuer» est assez terrible. J’aimerais bien être à nouveau enceinte et en profiter. Mais faire un nouvel essai? Je sens que notre famille est complète maintenant. Si l’on s’en tient à la stricte raison, on doit dire: non.

(Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez)

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision