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«Escroc, un métier en or»

Après un séjour en prison, Bradley Birkenfeld est maintenant récompensé par les autorités américaines. Keystone

La presse suisse déplore les 104 millions de dollars que les autorités fiscales américaines octroient à Bradley Birkenfeld, l’homme qui a dévoilé les fraudes fiscales d’UBS aux Etats-Unis. Mais elle ne peut que constater que la pression s’accentue encore sur les banques helvétiques.

La dénonciation peut parfois rapporter gros, voire même très gros. C’est en tout cas le cas pour Bradley Birkenfeld, qui a obtenu 104 millions de dollars (98,3 millions de francs) des autorités fiscales américaines (IRS).

Cet ancien employé d’UBS avait en effet livré des renseignements sur le système d’évasion fiscale mis en place par le géant bancaire suisse pour ses clients américains. C’était le coup d’envoi d’un litige fiscal sans précédent entre les deux pays.

La pression s’accentue

Pour les commentateurs de la presse suisse, ce nouvel épisode montre une fois encore que la pression reste particulièrement forte sur tous ceux – banques et contribuables – qui veulent soustraire de l’argent au fisc.

«Cette énorme récompense montre que les Etats-Unis accentuent leur engagement dans le conflit fiscal avec la Suisse. En promettant un tel dédommagement, les autorités fiscales espèrent recevoir davantage encore de matériel à charge. Cette récompense pour l’ancien banquier d’UBS marque une étape décisive dans la lutte contre l’évasion fiscale et le crime organisé», note par exemple le commentateur des quotidiens alémaniques Tages-Anzeiger et Der Bund.

Le constat est le même pour Le Temps. «Après les achats de CD volés en Allemagne, la récompense offerte à Bradley Birkenfeld aux Etats-Unis montre enfin, s’il en était encore besoin, à quel point le passage à la transparence fiscale pour l’ensemble de la place financière n’est pas une option, mais une nécessité», écrit le grand quotidien romand.

Des méthodes «absurdes»

Il ne se trouve pas de commentaires pour louer ouvertement la démarche de l’IRS. En Suisse, le fait de récompenser un dénonciateur n’est généralement pas perçu de manière positive.

Quelques quotidiens dénoncent les méthodes employées par les autorités pour faire la chasse aux fraudeurs. Ainsi, la Tribune de Genève, qui titre son commentaire «Escroc, un métier en or» écrit: «Nous nous sommes indignés des pratiques bancaires honteuses qui ont jeté l’opprobre sur toute la Suisse. Mais avouons que cette façon de récompenser l’escroc, de l’adouber, mieux, de le blanchir, comme on blanchissait l’argent sale, n’est pas moins scandaleuse».

La Neue Zürcher Zeitung juge «absurdes» les méthodes américaines. «Le procédé peut valoir la peine d’un point de vue purement pécuniaire. Mais l’Etat se transforme en un receleur qui incite ses citoyens à des actes illégaux et à la trahison. Ce n’est pas seulement l’Etat de droit qui reste sur le carreau, mais avant tout aussi la morale», estime le quotidien zurichois.

Les commentateurs sont également d’avis que cette récompense record peut susciter bien des vocations. «Les 104 millions de dollars pour Birkenfeld vont inciter des banquiers du monde entier à trahir leurs clients. Aucune banque ne paye des bonus aussi élevés que l’IRS», écrit le quotidien populaire alémanique Blick.

La Tribune de Genève ironise même. «Le métier de banquier n’a plus vraiment d’avenir, dit-on. Essayez donc vendeur de CD en Allemagne ou ‘balance’ d’infos sensibles aux Etats-Unis! L’Etat receleur offre toutes sortes de nouveaux business models.»

Peut-être un bienfait

Mais si elle conteste les méthodes américaines, la presse ne se montre pas non plus très tendre pour les banques suisses. «Ce n’est certes pas un mystère que le secret bancaire a été utilisé pour échapper au fisc dans d’autres pays. Comme il n’est pas non plus un mystère que pour la majeure partie des banques, les gains sont plus importants que la morale», écrit notamment la Südostschweiz.

Face aux pressions de l’étranger, quelques commentateurs prônent la fermeté. «Il ne reste maintenant plus de choix au Conseil fédéral: il doit cesser les discussions et, dans le pire des cas, permettre une confrontation avec les Etats-Unis. Peut-être alors, le ministère de la Justice ou des Affaires étrangères pourra-t-il ramener l’IRS à la raison», estime le quotidien bâlois Basler Zeitung.

Mais plusieurs autres journaux sont d’avis que Bradley Birkenfeld a finalement peut-être rendu service à la Suisse. «Pour la place financière suisse, Birkenfeld a finalement été une bénédiction avec une réorientation de l’argent sale vers l’argent propre», note le Blick. «Bradley Birkenfeld a ouvert une brèche décisive. Et pour cela, la Suisse devrait le remercier», affirme pour sa part la Südostschweiz.

Pendant plusieurs années, la banque UBS a utilisé une véritable «système» pour aider des contribuables américains à frauder le fisc de leur pays.


Un ancien employé d’UBS aux Etats-Unis, Bradley Birkenfeld, dénonce l’affaire aux autorités américaines.


En février 2009, les autorités fiscales américaines (IRS) déposent une plainte pour tenter d’obliger UBS à fournir à la liste de 52’000 clients. Les autorités suisses menacent UBS de poursuites, car une telle divulgation est contraire au droit suisse.


Après d’intenses négociations entre le gouvernement suisse, le gouvernement américain et UBS, un accord est signé le 18 août 2009. La banque ne livrera finalement les données «que» de 4450 de ses clients. La banque paye aussi une amende de 780 millions de dollars.

Bradley Birkenfeld est quant à lui condamné à une peine de trois ans et quatre mois de prison en août 2009 pour avoir favorisé l’évasion fiscale. Il sort de prison le 1er août 2012 pour bonne conduite après avoir purgé deux ans et demi. Il est actuellement assigné à résidence et mis à l’épreuve pendant trois ans. Il souhaite demander sa grâce au président des Etats-Unis.

Le quotidien Washington Post rapporte mercredi les déclarations de Stephen Kohn, l’avocat de Bradley Birkenfeld.

Celui-ci a déclaré avoir «104 millions de raisons d’être heureux». Mais le contribuable américain peut, selon lui, l’être également.

Pour l’avocat, l’indemnisation de son client est aussi un message à l’adresse des fraudeurs et des banques.

«Cela envoie 104 millions de messages aux banques dans le monde qui aident des Américains à échapper à l’IRS. Cela envoie 104 millions de messages aux employés de ces banques. Et cela envoie 104 millions de messages aux Américains qui possèdent ces comptes. Cela montre qu’ils seront pris.»

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