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Des vagues à la Mosquée de Genève

Fathy Neamat-Allah dans la cour intérieure de la mosquée de Genève. Keystone

Fathy Neamat-Allah a marqué son arrivée à la tête de la Mosquée de Genève en licenciant du jour au lendemain quatre de ses dirigeants.

La semaine dernière, une Suissesse convertie à l’islam l’a mis gravement en cause, l’accusant de ne s’être marié avec elle que pour obtenir un permis de résident.

La barbe et le cheveu plus blanc que gris, s’exprimant en arabe et en allemand, mais comprenant un peu le français, Fathy Neamat-Allah, 67 ans, ne cache pas qu’il a été envoyé par la Ligue islamique mondiale pour remettre de l’ordre en Europe. Outre la Mosquée de Genève, celle d’Evry, en région parisienne, est aussi sous sa responsabilité.

La Ligue islamique mondiale, une organisation non gouvernementale, a été créée en 1962 en Arabie Saoudite pour défendre les minorités islamiques dans les pays non musulmans.

Elle sert aussi à propager le wahhabisme, une interprétation de l’islam résolument fondamentaliste. L’institution, qui brasserait chaque année 5 milliards de francs, est très proche de la famille royale. Elle est dirigée par Abdullah Turki, un ancien ministre saoudien des affaires religieuses.

Situation catastrophique à Genève



«La Ligue islamique mondiale, dont je suis membre depuis 1989, a longtemps manqué de cadres à l’étranger. Résultat, plusieurs de nos mosquées n’étaient pas gérées comme il le fallait. La Ligue ne m’a pas recruté pour des motifs religieux mais pour mes compétences en gestion. J’étais administrateur d’entreprises», explique Fathy Neamat-Allah.

Dès son arrivée à Genève, le Saoudien – qui possède également un passeport français – a licencié quatre responsables de la Mosquée de Genève, en particulier Hafid Ouardiri, en fonction depuis l’inauguration du bâtiment, en 1978, par le roi Khaled d’Arabie Saoudite. Cette décision a fait les gros titres de la presse romande.

«Ces personnes se sont opposées à ma mission comme ils avaient déjà saboté la mission des directeurs précédents. Il y a longtemps que la Ligue islamique mondiale est au courant de la situation catastrophique de la Fondation culturelle islamique de Genève. La Ligue m’a demandé de trancher, j’ai tranché», assure Fathy Neamat-Allah.

De son côté, Hafid Ouardiri, l’ancien porte-parole de la Mosquée de Genève, conteste totalement les propos du nouveau directeur. Il assure qu’il a été mis à la porte du jour au lendemain, comme ses trois compagnons, sans même avoir été convoqué. «Avant son arrivée, tout se passait correctement. Fathy Neamat-Allah manie le mensonge et la calomnie», lâche Hafid Ouardiri.

Mise en cause conjugale



Une autre affaire, tout aussi embarrassante mais d’une autre nature, touche le directeur de la Mosquée de Genève. Hawwâ-Antje Pastoor, une Suissesse convertie de 59 ans, l’a accusé la semaine dernière de ne l’avoir épousée que pour obtenir un permis de résident dans la Confédération.

Durant la conférence de presse tenue avec Salika Wenger, présidente de la section genevoise de ‘Ni putes ni soumises’, Hawwâ-Antje Pastoor parle de violences psychologiques telles qu’elle a dû quitter le domicile conjugal une semaine à peine après la cérémonie. Elle réclame l’annulation de son mariage.

Pour preuve de sa bonne foi, Fathy Neamat-Allah nous a montré son permis L, obtenu quelques jours après son arrivée. Il rappelle qu’il possède la nationalité française par mariage (il a divorcé depuis) et qu’il n’a donc pas besoin d’épouser une Suissesse pour demeurer en Suisse. Selon Yousouf Ibram, l’imam de la Mosquée de Genève, il y aurait eu des fiançailles, mais pas de mariage.

Où partait l’argent de la quête?

La remise en ordre de la Ligue islamique mondiale sur les mosquées qu’elle contrôle en Europe est confirmée par Bernard Godard, chargé de mission au bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur en France.

«Pendant des décennies, les Saoudiens, réputés fortunés, ont répondu à presque toutes les sollicitations, sans beaucoup de discernement. Ils ont donné pour la construction de centres islamiques à Bruxelles, Madrid, Rome, Copenhague, Evry, Mantes-la-Jolie. A présent, ils ont la très désagréable impression de s’être fait avoir, notamment par certains originaires du Maghreb qui géraient leurs lieux de culte», note l’auteur du livre «Les musulmans en France» (Editions Robert Laffont).

En d’autres termes, de grosses sommes se seraient évaporées dans la nature. Dans certaines mosquées, personne ne savait où l’argent collecté, notamment le vendredi, partait. Venait-il en aide à des nécessiteux? Finançait-il des combattants tchétchènes ou afghans? Ou arrondissait-il les poches de certains dirigeants?

«Je ne peux pas répondre à ces questions maintenant. Je rappelle que la Ligue islamique mondiale a toujours dénoncé le terrorisme. Elle le combat», déclare Fathy Niamat-Allah.

swissinfo, Ian Hamel

La Ligue islamique mondiale (la Rabita en arabe) est créée en 1962 en Arabie Saoudite. Parmi ses fondateurs, Saïd Ramadan, père d’Hani et de Tariq.

Inauguration le 1er juin 1978 d’une des premières mosquées en Europe financées par la Ligue, celle de Genève, en présence du roi Khaled et du conseiller fédéral Pierre Aubert.

La Ligue se substitue à la diplomatie officielle de l’Arabie saoudite. Elle ouvre un bureau à Pékin, avant que le Royaume n’entretienne des relations diplomatiques avec la Chine ou réclame l’indépendance de Djibouti, alors territoire français d’outre-mer.

Après le 11 septembre 2001, la Ligue craint d’être soupçonnée de favoriser le terrorisme. Elle décide de faire le ménage dans ses mosquées en Belgique, en France, en Espagne et en Suisse.

1939: Naissance à Jeddah, en Arabie Saoudite.

Etudes d’agriculture en Egypte et de géologie en Allemagne.

Traducteur pendant 40 ans en Allemagne.

2000: retour en Arabie Saoudite, administrateur d’un levage d’autruches.

2007: directeur des mosquées de Genève et d’Evry.

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