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La Suisse compte ses loups et certains les pleurent

Une dizaine de loups en meute: image rare, prise à fin novembre 2013 près du massif du Calanda, aux Grisons. graubünden.ch

Deux loups abattus en quelques semaines: la polémique sur le retour des prédateurs a de nouveau enflammé la Suisse. Les défenseurs de l’animal se mobilisent pour retrouver le «coupable», tandis que le concept national sera révisé.

Les affiches de style «wanted» n’ont pas plu à tout le monde, c’est le moins que l’on puisse dire. Sur la photo, un tireur pointe son fusil sur le spectateur. «Braconneur du loup du Calanda – 10’000 francs de récompense pour toute indication qui permettra d’arrêter le coupable».

L’affiche a été placardée mi-janvier à Tamins, dans le canton des Grisons, à l’est de la Suisse. Jusqu’ici, la bourgade de quelque 1000 habitants, située à vingt minutes de Coire, au pied du massif du Calanda, n’était connue que pour être le lieu où le Rhin se forme à partir de deux cours d’eau distincts.

Mais depuis qu’on y a retrouvé, le 3 janvier, un jeune loup abattu ayant agonisé pendant quelques jours, Tamins a pris une nouvelle notoriété. «C’est la troisième fois seulement qu’un loup est abattu illégalement en Suisse en vingt ans», déclarait David Gerke, président du Groupe Loup Suisse (GLS).

Ce loup fait partie de la seule meute de Suisse (à titre de comparaison, l’Allemagne en compte 25, selon les derniers comptages). Identifiée en 2012, elle était, en fin d’année dernière, composée de dix à onze animaux.

Attrait touristique

De nombreux habitants de la région sont fiers de leur meute, qui attirerait même les touristes. «Mais il y a de fortes chances que le loup vous voie en train de l’observer bien avant que vous ne le remarquiez», avait averti, en plaisantant, le chef du Service de la chasse et de la pêche des Grisons, Georg Brosi. 

C’est le GLS qui a eu l’idée de la récompense pour retrouver le braconneur. La provocation de la représentation et le montant ont enflammé les esprits. Un chasseur de Tamins ayant affirmé à la télévision qu’il approuvait le geste du tireur a ensuite reçu des menaces à son domicile. David Gerke a également reçu des messages peu aimables. Les extrémistes des deux camps accusent les «hystériques» et «fanatiques» de l’autre bord.

«La récompense de 10’000 francs est contestée, effectivement, admet le président du GLS. Le débat est très émotionnel. Nous avions proposé 5000 francs, mais nous avons reçu énormément de dons, dont une majorité viennent d’ici, du reste, pas de grandes villes éloignées qui ne connaîtraient rien au loup.»

La critique est récurrente, dans la région: «Les protecteurs des animaux n’y connaissent souvent rien», entend-on à Tamins. «Avoir tiré sur un loup n’est vraiment pas un acte héroïque», affirme aussi Jakob Willi, qui rêve d’apercevoir une fois le prédateur lors de ses promenades. «Mais la récompense, c’est idiot, poursuit-il. Il y a assez de gens qui vont mal, dans notre pays.»

Une autre habitante va exactement dans le même sens. Le loup? «Pas de problème». La récompense? «Pas nécessaire.» Seule une joviale septuagénaire lâche: «Parfois il faut les grands moyens pour aboutir à un résultat.»

Méprise

Le GLS a reçu des informations, qu’il a transmises à la police, ce que confirme le porte-parole du ministère public, Maurus Eckert. «L’enquête est en cours, nous ne pouvons rien dire, si ce n’est que le tireur encourt une peine privative de liberté pour avoir abattu un animal protégé.»

Le Ministère public risque en outre bien de devoir ouvrir une deuxième enquête. Le 28 janvier, le Service de la chasse et de la pêche a en effet annoncé la mort, par balle, d’un nouveau loup, un jeune mâle, à Domleschg, à près de 20 kilomètres de Tamins, de l’autre côté du massif de Calanda.

Le cas est toutefois complètement différent. Le tireur s’est lui-même présenté à la police et a expliqué avoir confondu le loup avec un renard. «Le service de la chasse et de la pêche doit porter plainte, précise Maurus Eckert. S’il s’agit d’un acte par négligence, le tireur encourt jusqu’à 10’000 francs d’amende.» 

Selon Jan Boner, responsable de la formation de chiens de troupeaux dans les Grisons, «les loups reviennent en Suisse c’est inéluctable. Les traces se multiplient. Il y a de fortes probabilités que d’autres meutes s’installeront. S’il y a des cerfs, des chamois, des chevreuils et des sangliers – et nous avons énormément de cerfs – les loups reviennent. C’est la quantité de la nourriture qui influence la population.» Nous pouvons vivre avec les loups, mais il faut procéder à quelques investissements pour protéger les troupeaux».

Tandis que les lynx font relativement peu de dégâts et que les ours requièrent des mesures particulières – notamment concernant la gestion des déchets – il y a, selon Jan Boner, un moyen efficace et naturel, utilisé partout en Europe et jusqu’en Asie où le loup est resté présent au 20e siècle et s’est multiplié dès les années 1970 grâce aux mesures de protection: les chiens, notamment de la race Maremme­Abruzzes et le Montagne des Pyrénées.

Il y a beaucoup d’idées fausses sur le loup, précise David Gerke, président du Groupe Loup Suisse. L’une d’entre elle veut que le loup a besoin de nature sauvage et que la Suisse est trop habitée. Or, les Grisons comptent 25 habitants par km2, contre 89 pour le Trentin italien, où même les ours sont bien présents, souligne David Gerke. Dans les Abruzzes, région où les loups n’ont jamais été exterminés, la densité est de 122 personnes par km2.

et ses ennemis

De nombreux parlementaires fédéraux ont tenté, ces dernières années, d’assouplir voire de supprimer la protection du loup, garantie notamment pas la Convention de Berne «relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe», ratifiée par la Suisse.

Le Plan Loup, qui sera révisé en 2014, prévoit déjà la possibilité d’autoriser des abattages de loups, si certaines conditions sont remplies, notamment la mise en danger des troupeaux. Jusqu’ici, huit loups ont été abattus légalement en Suisse: sept en Valais et un dans les Grisons.

Les amis du loup se multiplient

Ursina Marx, une habitante de Coire pour qui le loup est «un peu un symbole de liberté», a créé le groupe «Nos loups du Calanda» sur Facebook après le braconnage. En moins d’un mois, il approche les 10’000 supporters. «Nous ne voulons pas lancer une chasse aux sorcières, mais un tel acte ne doit plus se produire», explique Ursina Marx.

«Attristé» par le tir contre le loup, le chef du Service de la chasse et de la pêche Georg Brosi rappelle que, grâce à des mesures de protection des troupeaux, certes coûteuses mais efficaces (chiens, clôtures électrifiées et retour des bergers), seuls neuf animaux ont été tués par des loups en 2013, entre les Grisons et St-Gall, également territoire de la meute du Calanda.

Justement, le caractère modèle des Grisons rend «le braconnage d’autant plus étonnant et dramatique», note David Gerke. Contrairement à ce que certains lui reprochent d’être, le Soleurois n’est pas un «fanatique du loup», encore moins un «ennemi des chasseurs».

Lui-même chasseur et berger, David Gerke estime qu’il y a «des situations où l’abattage de loups se justifie.» «Je suis tout à fait opposé à une chasse autorisée toute l’année, mais pas à une période de tir évitant les mois du printemps à l’automne, et moyennant des quotas maximaux qui ne mettent pas en danger la population de loups.»

C’est précisément ce que prévoit l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). «Des quotas pourront être fixés, par région, selon des critères précis, explique Reinhard Schnidrig, chef de la section chasse, faune sauvage et, biodiversité en forêt. Mais avant de réguler, il faut avoir des effectifs suffisants. La reproduction doit être assurée. Avec une seule meute dans le massif de Calanda, ce n’est pas encore le cas.»

Actuellement, la présence de 24 loups a été prouvée en Suisse, mais on estime qu’ils sont entre 25 et 30. Selon David Gerke, «la Suisse pourrait bien vivre avec 200 loups, alors qu’il n’y en a que 20 actuellement.»

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