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Le «whistleblower» Rudolf Elmer face à la justice

Six mois de détention semblent avoir dopé la détermination de Rudolf Elmer. Keystone

Considéré comme un héros à l’étranger pour avoir dénoncé des pratiques d’évasion fiscale et comme un traître en Suisse, l’ex-cadre de la Banque Julius Bär Rudolf Elmer comparait jeudi en appel à Zurich. L’étendue du secret bancaire est au centre des débats.

Pour l’auteur Gian Trepp, spécialiste en questions économiques et financières, le procès intenté à Rudolf Elmer ne devrait pas être appelé «l’affaire Elmer», mais «l’affaire de la justice zurichoise». Le journaliste aux sympathies de gauche n’a pas de mots assez durs pour fustiger un parquet s’en prenant durement au lanceur d’alerte Rudolf Elmer, ex-cadre de la banque Julius Bär.

«La justice est impitoyable envers lui, car elle veut montrer symboliquement au monde que la place financière zurichoise continue à défendre le secret bancaire, affirme Gian Trepp. Dans le même temps, elle n’inquiète pas les patrons des grandes banques qui ne se gênent pas de transmettre des données aux Etats-Unis.»

Ce n’est évidemment pas l’avis du Ministère public zurichois, ni du Tribunal de district de Zurich qui a, le 19 janvier, retenu le délit de violation du secret bancaire contre Rudolf Elmer pour avoir divulgué des informations obtenues alors qu’il travaillait aux Iles Caïman dans une filiale de Julius Bär. Le président de la Cour avait en outre insisté sur le fait qu’à ses yeux, l’ex-cadre de la banque n’avait pas agi comme un «whistleblower» dénonçant des malversations, mais comme un employé frustré de ne pas avoir obtenu la promotion qu’il pensait mériter.

Deux versions radicalement différentes s’affronteront à nouveau ce jeudi devant le Tribunal cantonal, saisi des recours tant du procureur que de l’avocate du prévenu. Estimant que Rudolf Elmer avait fait preuve d’une grande «énergie criminelle» dans les menaces proférées contre son ancien employeur (l’accusé en admet certaines), le procureur demande une peine plus sévère.

Il réclame désormais 12 mois de prison avec trois ans de sursis, contre 240 jours-amendes à 30 francs et deux ans de sursis en première instance. L’avocate rejette, notamment, l’application du secret bancaire à une filiale de banque suisse domiciliée à l’étranger, conteste de nombreux points où les délits de contrainte et de menace avaient été retenus et réclame 35 jours-amendes, du même montant.

Le Tribunal fédéral donne raison à Elmer

L’affaire fait l’objet de nombreux chassé-croisé. En 2007, Rudolf Elmer avait lui aussi porté plainte pour contrainte et menaces, de même que pour lésions corporelles, contre… la banque Julius Bär. Il détaillait les filatures agressives dont lui et sa famille avaient été l’objet et les intimidations exercées contre sa petite fille.

La justice zurichoise avait fini par classer la plainte, refusant d’entendre les témoins et n’écoutant que les personnes accusées par Rudolf Elmer. Le 7 mars dernier, le Tribunal fédéral a jugé la procédure «arbitraire» et renvoyé les juges de la Limmat à leur copie.

Dans la procédure en appel, le Tribunal ne semble pas avoir tenu compte de cette injonction à écouter de nouveaux témoins et a rejeté, jusqu’ici, toutes les demandes en ce sens déposées par l’avocate de Rudolf Elmer. Cette dernière peut déposer une nouvelle demande lors de l’audience.

Remise de CD à WikiLeaks

Rudolf Elmer a par ailleurs passé six mois en détention préventive entre le 19 janvier – il avait été arrêté le jour du premier procès – et fin juillet pour avoir remis des CD à Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, à Londres deux jours plus tôt. Là encore, la justice le soupçonne de violation du secret bancaire. Rudolf Elmer, qui a vécu ces six mois en isolement 23 heures sur 24 et n’a jamais pu téléphoner ni voir son épouse, affirme aujourd’hui que les CD étaient vides.

Interrogé sur les raisons d’une si longue détention préventive par le journaliste Lukas Hässig pour le journal 20 Minuten, le juge d’instruction en charge de cette affaire indiquait que «le prévenu risquait d’influencer des tiers et de faire détruire des preuves.» Et il ajoutait que, étant donné que la violation du secret bancaire est passible d’une peine de prison maximale de trois ans, la détention préventive ne lui semblait pas excessivement longue.

De plus, l’avocate de Rudolf Elmer avait fait sceller des documents, ce qui ralentissait le travail de la justice, avait encore révélé Lukas Hässig. Rudolf Elmer, dont la détention préventive avait une nouvelle été prolongée jusqu’en octobre, a fini par être libéré fin juillet. Aucune charge n’a encore été retenue contre lui dans cette procédure. Depuis sa libération, il a été invité par divers mouvements anti-corruption, notamment dans le cadre du G-20 à Cannes, ou parmi les indignés de «Occupy Paradeplatz» à Zurich.

«Tout le monde fait des erreurs, j’en ai fait beaucoup et j’en ai tiré les leçons, explique-t-il à swissinfo.ch dans une interview écrite. Je suis prêt à donner cette chance à d’autres personnes. Mais d’un autre côté, je me bats comme un lion pour que justice soit faite.»

Les six mois de détention semblent avoir dopé sa détermination: «Je suis prêt à aller jusqu’au Tribunal fédéral s’il le faut, car il est nécessaire que la justice donne une réponse sûre à la question des whistleblowers et à celle du domaine de validité du secret bancaire.»

Agé de 56 ans, Rudolf Elmer est «Certified Public Accountant» de formation, soit comptable public certifié, selon les explications qu’il a fournies au site internet «Liberté Info».

Il a travaillé pour Credit Suisse, KPMG, Julius Bär, Chinese Noble Group et Standard Bank for Africa.

Les faits que lui reprochent la justice zurichoise (contrainte répétée, menace répétée et violation du secret bancaire) sont liés à ses activités pour Julius Bär aux Iles Caïman, en dernier lieu comme directeur, de 1994 à 2002, année où il a été licencié.

Mais les délits (notamment divulgation de données) remontent aux années 2004 à 2007. Rudolf Elmer affirme avoir essayé durant des années d’attirer l’attention de ses employeurs sur les pratiques illégales en matière d’évasion fiscale notamment.

Après son licenciement, il dit avoir été l’objet de filatures agressives et d’intimidations de la part d’un bureau de détectives payé par Julius Bär. Lui-même a envoyé des mails de menaces à des employés de Julius Bär. Il en reconnaît certains.

Rudolf Elmer a aussi envoyé des données aux autorités fiscales bâloises, zurichoises et fédérales pour signaler des malversations. Il finit par se tourner vers WikiLeaks, qui a publié ses informations en 2008.

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