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Multilinguisme en Suisse: repli ou progrès?

Les joies du multilinguisme helvétique! Keystone

Certains Romands fustigent la progression du dialecte en Suisse alémanique, signe, selon eux, de repli identitaire et de danger pour la cohésion nationale. Tout le monde n’est pas d’accord.

Le dernier ouvrage du journaliste José Ribeaud, «La Suisse multilingue se déglingue» était encore sous presse lorsque le député écologiste genevois Antonio Hodgers a publié, fin mars, une opinion libre pour dénoncer l’omniprésence du dialecte (du «suisse allemand») en Suisse alémanique.

Selon ces deux personnalités, le fait que les Alémaniques rechignent à parler le bon allemand avec leurs compatriotes romands, tessinois ou romanches est non seulement une offense pour les autres régions linguistiques, mais même un danger pour la cohésion du pays. Les réactions ont fusé, majoritairement en Suisse romande.

Le processus est en cours

La progression du dialecte, notamment dans les médias audiovisuels, est reconnue, mais pas dans les proportions énoncées par les critiques. Certaines radios locales (Radio 24 à Zurich) présentent même leurs informations en bon allemand.

Dans les écoles, tous les cantons alémaniques ont décidé de rendre le bon allemand obligatoire comme langue d’enseignement, après le choc de la comparaison internationale Pisa qui avait montré, en 2000, les difficultés des élèves alémaniques, en lecture surtout, Ceci n’est pas encore établi pour l’école enfantine, mais le processus est en cours.

«Une chimère»

N’empêche, pour José Ribeaud, «le plurilinguisme des Suisses est une chimère», parce que le dialecte a pris trop d’ampleur. «Parler avec eux [les Alémaniques, qualifiés plus loin d’illettrés] en français, en italien ou même en allemand standard est une entreprise laborieuse de plus en plus souvent vouée à l’échec», écrit ce Jurassien ayant longtemps vécu dans le canton de Zurich.

En interview, l’auteur, qui veut lancer un véritable «plaidoyer pour les langues nationales» précise que «les Alémaniques sont en train d’ériger une frontière comme en 1940». Il plébiscite les échanges scolaires et propose deux mesures: une journée en rhéto-romanche et une semaine d’italien au cours de la scolarité obligatoire.

Iwar Werlen, de l’Institut des sciences du langage de l’Université de Berne, ne nie pas que le dialecte a progressé en Suisse alémanique. «Mais ce n’est ni un danger pour la maîtrise de la langue standard, ni la marque d’une crise identitaire», selon lui.

Moins de formalisme

Quant au pourquoi de cette progression, Iwar Werlen formule une hypothèse: selon lui, «la vie sociale a énormément perdu en formalisme ces dernières décennies.»

«La cravate n’est plus strictement obligatoire et on mange dans des endroits où l’on ne mangeait pas autrefois. Globalement, les échanges ne sont plus guidés par l’étiquette stricte qui prévalait et qui dictait le «hochdeutsch». Mais le dialecte n’exclut pas le bon allemand», ajoute-t-il.

Culture d’origine: déterminante

Un problème peut se dessiner chez des personnes qui ne font pas la différence entre bon allemand et dialecte, ajoute le spécialiste, notamment chez des jeunes d’autres cultures.

«On sait que les immigrés de culture n’ayant que peu de liens avec un environnement littéraire ont de toute façon des problèmes. La culture albanaise est plutôt faible de ce côté-là, tandis que les Tamouls ont un rapport plus fort à la lecture et à l’écriture.»

Reste qu’Iwar Werlen ne condamne pas les hauts cris émanant de Suisse romande pour davantage de bon allemand. «Il est nécessaire de corriger de temps en temps la sensibilité lacunaire des majorités vis-à-vis des minorités.»

«La volonté des Zurichois de supprimer le français comme condition pour entrer au gymnase (lycée) est un parfait autogoal, qui réduit beaucoup d’efforts à néant, poursuit le linguiste. A l’inverse, le Valais majoritairement romand avait décidé que la marque de promotion touristique était «VS». Les Alémaniques avaient dû protester…»

Il est frappant de voir à quel point toute la discussion se fait par exemples et anecdotes. Or il faut aussi nuancer entre les régions (les Zurichois auraient moins de problèmes avec le bon allemand que les Bernois), les niveaux de formation et les âges.

En attendant l’ordonnance

Prévue pour le deuxième semestre 2010, l’ordonnance d’application de la nouvelle Loi sur les langues permettra de débattre une nouvelle fois des questions d’équilibres des langues, par exemple au sein de l’administration fédérale. Le choix d’un hymne de football en dialecte pour le Mondial a déjà remis de l’huile sur le feu…

Pourtant, selon Isabelle Chassot, présidente de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), les jalons posés par les nouveaux principes pédagogiques d’enseignement des langues «vont non seulement permettre au multilinguisme de ne pas régresser mais même de progresser! Il faut cependant rester conscient que la Suisse multilingue, c’est la Suisse des dialectes.»

Ariane Gigon, Zurich, swissinfo.ch

Selon le Programme de recherche national «Diversité des langues et compétences linguistiques en Suisse», terminé en 2008:

– Les Suisses connaissent en moyenne 2 langues étrangères (2,2 en Suisse alémanique, 2,2 au Tessin et 1,7 en Suisse romande).

– En Europe, seuls le Luxembourg (3) et les Pays-Bas (2,2) sont au-dessus de la Suisse. La moyenne européenne est de 1,14.

– 71% des Alémaniques parlent le français

– 67% des Alémaniques parlent l’anglais

– 32% des Alémaniques parlent l’italien.

– 47% des francophones parlent l’allemand ou le suisse allemand

– 43% des francophones parlent l’anglais

– valeurs trop faibles pour l’italien

– 74% des italophones parlent le français

– 65% des italophones parlent allemand ou suisse allemand

– 42% des italophones parlent l’anglais.

L’étude montre en outre que le suisse allemand n’est pas considéré comme prestigieux par les Suisses Allemands.

Pour 92% des Alémaniques, l’anglais est la langue étrangère la plus utile. Cette proportion est de 88% chez les francophones et de 77% chez les italophones.

Seuls 9% des francophones considèrent l’italien comme utile, tandis que 46% des Alémaniques voient une utilité dans le français.

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