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Procès Eternit: 16 ans de prison pour Schmidheiny

Les centaines de proches des victimes ont écouté le verdict de condamnation, lu dans un silence de plomb. AFP

Le tribunal de Turin a condamné lundi le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny et le baron belge Jean-Louis de Cartier à seize ans de prison dans le procès de l'amiante. Accusés d'homicide involontaire, les ex- propriétaires du groupe Eternit Gênes devront verser des millions d’indemnisation.

Après plus de deux ans de procédure, le tribunal de Turin a rendu son verdict dans le plus grand procès de l’histoire sur les effets meurtriers de l’amiante, responsable de la mort d’environ 3000 personnes en Italie. Le parquet avait requis vingt ans de prison, alors que la défense avait plaidé l’acquittement de Stephan Schmidheiny et Jean-Louis Marie de Cartier de Marchienne, actionnaires majoritaires de la société Eternit SA à Gênes.

Le verdict est tombé lundi devant des centaines de proches de victimes de l’amiante, les épaules recouvertes d’un drapeau italien sur lequel était inscrit «Eternit Justice». Certains ont éclaté en sanglots en entendant le verdict de condamnation, lu dans un silence de plomb alors que toute l’assistance était debout.

Les deux hommes ont été condamnés à seize ans de prison pour «une catastrophe sanitaire et environnementale permanente» et pour avoir enfreint les règles de la sécurité au travail.

Autrement dit, ils paient pour les morts de l’amiante à Cavagnolo (Turin) et Casale Monferrato (Alexandrie), localités qui abritaient deux des usines du groupe transalpin. Il a en revanche été jugé que les faits étaient prescrits dans les cas de Bagnoli (Naples) et Rubiera (Reggio d’Emilie), où étaient situées les deux autres usines.

Une sentence «équilibrée»

Stephan Schmidheiny, 65 ans, ex-propriétaire du groupe suisse Eternit, a été un important actionnaire d’Eternit Italie de 1976 à 1986 tandis que le baron belge Jean-Louis de Cartier, 90 ans, a été actionnaire et administrateur d’Eternit Italie au début des années 1970. Aucun des deux hommes n’était présent lors du verdict de lundi, pas plus que pendant les audiences.

«C’est une sentence très équilibrée qui reconnaît la responsabilité» des deux accusés, «le problème maintenant est de voir si les condamnés feront face à leurs obligations car nous n’en sommes pas sûrs», a commenté l’un des avocats des parties civiles, Sergio Bonetto.

La verdict du tribunal de Turin est «totalement incompréhensible», pour la défense du milliardaire suisse, qui a annoncé lundi vouloir faire appel. Procédure qui peut durer plusieurs années et aller jusqu’en cassation, ce qui pourrait repousser à très loin un jugement définitif.

Le ministre de la Santé italien Renato Balduzzi a qualifié la sentence «d’historique aussi bien pour les aspects sociaux que pour ses aspects technico-juridiques», soulignant qu’elle «couronne une longue bataille qui a vu l’Etat aux côtés des victimes à tous les niveaux institutionnels».

Des indemnités par millions

Après la sentence, le président du tribunal Giuseppe Casalbore a dressé la longue liste des parties civiles qui recevront des dédommagements qui devraient se monter au total à plusieurs dizaines de millions d’euros.

Ils devront notamment verser 25 millions d’euros à la commune de Casale Monferrato, 20 millions à la région Piémont et 15 millions à l’Inail, la caisse nationale italienne d’assurance en cas d’accidents. M. de Cartier devra également verser 4 millions d’euros à la commune de Cavagnolo.

Messieurs Schmidheiny et de Cartier devront en outre verser entre 70’000 et 100’000 euros à huit associations, dont des syndicats et l’association écologiste WWF. Les victimes de l’amiante et leurs familles recevront quant à elles des indemnités s’élevant pour la plupart entre 30’000 et 35’000 euros, selon la liste lue par le président du tribunal.

Procès historique

Ce maxi-procès, qui s’était ouvert en décembre 2009, est le plus grand jamais organisé sur l’amiante avec plus de 6000 parties civiles (victimes, proches de victimes, syndicats, sécurité sociale italienne…) et le premier au pénal.

Matériau considéré comme miraculeux au départ, l’amiante a été utilisée massivement, en particulier dans le secteur de la construction en raison notamment de sa résistance à la chaleur et au feu, avant son interdiction dans certains pays, notamment européens

«C’est un procès historique, le plus grand au niveau mondial dans l’histoire de la sécurité au travail», s’est félicité le procureur Raffaele Guariniello, qui a enquêté durant plus de cinq ans et dont la détermination a été saluée par les victimes.

Plus de trois générations de la famille Schmidheiny ont travaillé avec l’amiante et, à son apogée, elle contrôlait les usines Eternit dans 16 pays.

1901: l’Autrichien Ludwig Hatschek, prend la patente «Eternit» pour exploiter l’amiante comme isolant.

1903: la production se développe et Eternit Suisse SA ouvre à Niederurnen (Garis). Ernst Schmidheiny senior entre au conseil d’administration en 1920. En 1923, Eternit SA devient la holding Amiantus SA.

1939: la caisse suisse d’assurance Suva reconnaît les maladies pulmonaires provoquées par l’amiante comme maladies professionnelles.

1978: Stephan Schmidheiny devient président du conseil d’administration et annonce la fin de la production. Des milliers de bâtiments en Suisse sont assainis et l’amiante est interdite dès 1995.

1980: Amiantus SA possède 76% d’Eternit S.p.a. à Gênes (Italie), qui part en faillite en 1986.

1992: débuts des procès en Italie pour homicide involontaire.

2008: Le Tribunal fédéral rejette la plainte de trois Glaronnais contre Schmidheiny en concluant à la prescription.

10 décembre 2009: Début du procès à Milan contre Stephan Schmidheiny et le baron belge Jean-Louis de Cartier de Marchienne.

13 février 2012: La cour condamne les deux accusés à seize ans de prison et des millions d‘indemnités. Schmidheiny annonce qu’il fera appel.

Le pic de production de l’amiante a été atteint dans la seconde moitié des années 70, avec plus de 5 millions de tonnes annuelles. En Suisse, les importations ont atteint 22’700 tonnes à la fin des années 70.

En 2007, selon les données de l’Institut d’études géologiques des États-Unis, plus de 2 millions de tonnes de cette fibre minérale ont été consommés dans le monde.

La Chine est le principal consommateur d’amiante (30%), suivie de l’Inde (15%), de la Russie (13%).

Selon l’Organisation internationale du travail, 100’000 à 140’000 personnes meurent dans le monde chaque année. Selon une étude de l’UE, cette fibre aura causé d’ici 2030 la mort d’un demi-million de personnes en Europe.

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