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Promenade dans le temple genevois des papyrus

La Fondation Bodmer héberge une des plus importantes collections de papyrus au monde. Keystone

Evadés d’un congrès international organisé à Genève, des «papyrologues» des quatre coins de la planète se sont rendus à Cologny pour y découvrir l’extraordinaire collection de la Fondation Bodmer. swissinfo.ch les a rejoints…

«Quelqu’un a-t-il vu des Ménandre?», lance une voix curieuse parmi le chahut des écoliers excités qui cherchent des trésors d’un autre temps dans les sous-sols peu éclairés du musée.

«Ah, voilà… on y est!», s’exclame Peter Preston, un professeur de grec à la retraite de l’Université d’Oxford, en se frayant un passage parmi ses collègues pour atteindre la vitrine.

On y découvre des feuilles de papyrus, couleur tabac, du «Dyskolos», l’une des trois comédies «perdues» du Grec Ménandre, célèbre auteur de théâtre du quatrième siècle avant J.-C. «On dirait que quelqu’un a percé un des coins avec une lame et l’a un peu endommagé, mais il est presque parfait», constate Peter Preston.

On décrit parfois Ménandre comme… «le père des sitcoms»! Il a été redécouvert au siècle dernier, après que des fragments de papyrus contenant ses écrits ont été déterrés en Egypte, puis réassemblés par des spécialistes en papyrus, pour ensuite être publiés dans les années 50-60. «Il était un des plus grands auteurs de l’époque, puis a soudainement disparu», explique Peter Preston. «Notre travail consiste à retrouver des auteurs parmi les morts».

Les comédies de Ménandre ne forment qu’une petite partie des 27 papyrus de la collection de la Fondation Bodmer, parmi lesquels des textes de l’Ancien et du Nouveau testament, de la littérature chrétienne des débuts et de l’Iliade d’Homère – tous découverts en Egypte en 1952. Selon Charles Méla, directeur du musée, cette collection de papyrus est «la troisième plus grande au monde, après les manuscrits de la Mer Morte et la bibliothèque de Nag Hammadi».

«Nous avons exceptionnellement rassemblé pour vous une sélection des plus beaux spécimens de notre collection», dit-il en montrant deux autres vitrines, contenant un extrait de l’Evangile de St-Jean en grec, datant de 200 après J.-C. Un des plus anciens manuscrits de l’Ancien Testament connu à ce jour. «C’est incroyable, tout ce qu’ils ont ici», chuchote un spécialiste à son collègue.

A grande échelle

La visite de la Fondation Bodmer, située à Cologny, le Beverly Hills genevois, est un programme d’accompagnement pour les quelque 300 experts qui participent au 26ème Congrès International de Papyrologie.

La papyrologie est l’étude de la littérature antique et des documents conservés sur papyrus. Des manuscrits rédigés principalement en grec, puisque cette langue a été la langue de communication officielle en Egypte durant plus de 1000 ans. Mais ces manuscrits existent aussi en copte, en araméen, en arabe et en égyptien.

«C’est un vaste congrès qui couvre l’archéologie, l’histoire, la littérature et la religion», explique Paul Schubert, professeur de grec à l’Université de Genève et organisateur de cet évènement qui a lieu tous les trois ans. Cette année un accent particulier a été mis sur l’archéologie. «Nous avons maintenant des textes dont le contenu nous permet de reconstituer ce à quoi ressemblaient les villes et les villages de l’époque, et nous pouvons ainsi les confronter aux résultats des fouilles en cours actuellement», dit-il.

Techniques modernes

Durant une semaine, des universitaires du monde entier ont présenté de nouvelles recherches et échangé de nouvelles idées, de nouvelles techniques, visant toutes à étendre notre connaissance des anciennes civilisations égyptienne, grecque et romaine.

«On nous a présenté des fragments de papyrus de tragédies écrites durant la période hellénique sur des sujets religieux, chose très inhabituelle: en général, ce sont des tragédies classiques du genre de Sophocle ou d’Euripide», explique Paul Schubert.

Les techniques modernes telles qu’Internet sont d’une grande aide pour les papyrologues, pour se plonger dans travers la masse de matériel existant ou pour trouver des réseaux. Dans le futur, il sera même vraisemblablement possible de scanner l’ensemble d’un rouleau pour le dérouler ensuite virtuellement, ajoute-t-il.

Même si les experts utilisent de plus en plus l’image numérique pour assembler différents fragments sur leur écran, ils utilisent aussi, encore, les techniques traditionnelles: le papyrus original et un simple microscope.

De bons yeux

«Il faut bien maîtriser le grec, avoir une bonne vue afin d’être capable de dater le manuscrit en fonction de l’écriture, et ainsi voir comment les différentes pièces s’articulent pour ensuite pouvoir imaginer le texte qui manque dans les trous», explique Paul Schubert.

Peter Preston acquiesce: «Il faut avoir des yeux perçants, de par le simple fait que le papyrus est tordu, endommagé ou recouvert de vieilles feuilles de choux. Il faut penser en grec et s’imaginer que tout cela provient d’un peuple bien réel – on tient peut-être une copie d’Homère qui appartenait à un élève, ou la liste de ce qu’un boucher va manger en rentrant chez lui!»

«Grâce à la grande quantité de documents retrouvés – lettres, contrats, factures etc. – l’Egypte est la région méditerranéenne qui nous a fourni le plus de détails sur la vie quotidienne», constate Paul Schubert. Mais la papyrologie nous a aussi apporté des renseignements précieux sur la littérature grecque, telle que la poésie lyrique de Sapho ou d’Ibycus, des auteurs que nous ne connaissions que très peu, dit-il.

De nouvelles découvertes

Alors que d’autres papyrus continuent d’être découverts dans des milliers de sites aux frontières du désert, au centre de l’Egypte, une course contre le temps à commencé dans les zones irriguées par les indigènes.

Les fouilles actuelles n’entraînent la découverte que d’une infime quantité de papyrus, comparé à ce qui a été mis à jour en Egypte à la fin du 19ème siècle, à Oxyrhynchos par exemple, un lieu situé à environ 160 kilomètres au sud-ouest du Caire. Là-bas, les archéologues avaient découvert la déchetterie d’une ville, déchetterie qui contenait des milliers de papyrus très bien conservés dans les sables.

D’autres documents proviennent également des musées, relève Peter Preston. «A Oxford, ils ont 50.000 papyrus qui n’attendent que d’être déchiffrés.»

D’autres sources sont cependant moins habituelles, comme les sarcophages de momies égyptiennes, faites en carton à base de papyrus. «En les trempant dans un détergent biologique, la colle se dissout et les papyrus apparaissent. Il suffit ensuite de les réassembler», explique-t-il.

Simon Bradley, Genève, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Philippe Varrin)

1971. La Fondation Bodmer a vu le jour en 1971 grâce à des universitaires et au collectionneur Martin Bodmer.

2003. Le musée actuel a ouvert en 2003.

160.000. Elle compte plus de 160’000 manuscrits et livres, datant de l’Antiquité jusqu’aux Temps modernes.

Vertigineux. La collection comprend les premières éditions d’œuvres majeures, tel que le Papyrus 66, un des plus ancien manuscrit presque complet de l’Evangile de Jean, l’original de certains contes de Grimm, la seule copie de la Bible de Gutenberg en Suisse, un quintet pour cordes de Mozart, Madame Bovary de Gustave Flaubert, le manuscrit des 120 jours de Sodome du Marquis de Sade et les éditions originales de Don Quichotte et Faust, entre autres.

Papyrus de Bodmer. La collection «Papyrus de Bodmer» inclut des passages de l’Ancien et du Nouveau Testament, les textes des débuts de la littérature chrétienne, d’Homère et de Ménandre.

Botta. Conçu par l’architecte tessinois Mario Botta, le musée est public et présente une exposition permanente ainsi que quatre parcours temporaires par année.

Soutiens. La Fondation est soutenue par le canton de Genève (500’000 francs par année), par la commune de Cologny et par des donateurs privés

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