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Dans la peau un jour, mais pas forcément pour toujours

L’élimination d’un tatouage nécessite généralement plusieurs séances de traitement au laser. AFP

Devenu presque banal, le tatouage s’accompagne d’un autre phénomène en pleine expansion: le détatouage. Les lasers de dernière génération permettent d’effacer certaines bêtises de jeunesse. Mais la pratique prend du temps, fait mal et n’est pas encore réglementée en Suisse. Visite dans un salon zurichois.

Les rayons de soleil s’infiltrent dans la pièce pour venir illuminer les murs jaunes, le plancher de pin bleu et les serviettes vertes et marron roulées de façon artistique. Suspendu au mur, l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci semble contempler les clients qui franchissent à intervalles régulières la porte du salon de détatouage de Dietlikon, en banlieue zurichoise.

Une femme âgée de 30 et vêtue d’une veste en cuir noir feuillette un magazine de mode dans le hall d’entrée. Elle est venue pour une consultation, dans l’espoir que le nouveau laser «QX MAX four-wave» sera en mesure d’éliminer le tatouage rouge et violet qu’elle porte depuis 12 ans sur son mollet.

Patrick Aeberli, l’un des deux employés, explique que le salon a procédé à plus de 1000 séances de détatouage lors de sa première année d’exploitation, en 2012. Cette année, le nombre de séances a «augmenté de manière phénoménale», pour atteindre près de 350 par mois. Le marché est en pleine expansion et le salon prévoit d’engager un troisième collaborateur en janvier 2014.

Aux Etats-Unis, 21% des adultes portent au moins un tatouage, selon une étude réalisée l’an dernier par le cabinet d’études Harris. Un chiffre en forte augmentation, puisqu’ils n’étaient que 14% en 2008 et 16% en 2003. Le groupe des 30 à 39 ans (38%) est le plus tatoué. 86% des personnes tatouées affirment qu’elles ne l’ont jamais regretté.

Un sondage mené en 2012 par le magazine BILD am Sonntag a révélé que 10% des Allemands sont tatoués. Alors que 23% des 30-39 ans ont indiqué qu’ils portaient un tatouage, ils n’étaient que 2% chez les plus de 60 ans. 16% des personnes gagnant moins de 1000 euros ont un tatouage en Allemagne, alors qu’ils ne sont que 8% dans la catégorie des revenus de plus de 2500 euros.

Sur son site Internet, la société de Dietlikon s’affiche comme le leader du détatouage en Suisse et en Europe. Le laser qu’elle loue est l’un des seuls modèles capables d’éliminer toute la palette des couleurs. Sa valeur est estimée à 150’000 francs. Dietikon serait le seul endroit en Suisse où l’on trouverait ce type de laser.

Informer le patient

Bien installée dans un fauteuil en cuir en face du bureau de Patrick Aeberli, la cliente explique qu’elle est employée au département des ressources humaines d’une grande multinationale et qu’elle aimerait pouvoir porter des jupes au travail.

Deux cliniques de détatouage allemandes ont déjà échoué à éliminer les pigments de son mollet. Des éléments blancs de son tatouage ont par ailleurs viré au gris suite à ces traitements. Patrick Aeberli inspecte le tatouage depuis l’autre côté du bureau. Son laser ne peut rien contre les taches grises, mais elles disparaîtront peut-être d’elles-mêmes, explique-t-il. Eliminer le rouge, le pourpre et le noir ne devrait en revanche poser aucun problème. «Quand souhaitez-vous commencer?», lui demande-t-il.

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La consultation s’est déroulée à une vitesse éclair. Le consentement éclairé du client n’est pas exigé avant de procéder à l’élimination du tatouage. Une information «correcte, honnête et complète» des patients revêt toutefois «une grande importance», selon un rapport de recherche publié cette année par Der Hautarzt, un journal professionnel international destiné aux dermatologues.

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Risqué et cher

L’anxiété monte au moment de passer sur le «billard». La chaise s’incline, la jeune femme se couche sur le ventre à côté d’une petite machine blanche, le mollet bien visible. Patrick Aeberli enfile ses gants noirs, désinfecte le tatouage et prend le laser en mains. Le travail peut commencer. Des bruits semblables à de petits craquellements accompagnent le passage du laser sur le tatouage. La femme se tend, sa jambe restée libre s’agite de haut en bas. «C’est plus douloureux que de se faire tatouer», dit-elle, avant d’enfouir sa tête dans ses bras.

Le temps nécessaire à l’élimination dépend de nombreux facteurs, dont la taille du tatouage, l’âge, le type d’encre, des couleurs et le fait que le tatouage ait été réalisé par un amateur ou un professionnel. Douze visites, parfois plus, sont nécessaires, avec une pause de six à huit semaines entre les traitements pour permettre à la peau de se régénérer. Cela revient beaucoup plus cher que le tatouage en soi et il faut souvent débourser plusieurs milliers de francs pour effacer les stigmates d’une bêtise de jeunesse.

L’opération n’est par ailleurs pas sans risques: brûlures, cicatrices ou encore détection tardive d’un cancer de la peau en raison d’une ablation potentielle d’une partie de la tumeur figurent parmi les possibles conséquences néfastes. L’effet des pigments et des colorants sur le corps humain est par ailleurs encore très peu connu, relève l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).

«Si le tatouage est clairement visible, nous en discutons avec le candidat», affirme le responsable d’une entreprise de recrutement zurichoise spécialisée dans le secteur commercial.

«Selon le poste qui intéresse le candidat, un tatouage très visible peut représenter un obstacle. C’est clairement le cas pour des emplois en contact intensif avec la clientèle – par exemple des dirigeants d’entreprise ou des banquiers. A l’inverse, les tatouages sont bien mieux acceptés dans les professions artistiques et dans les postes moins exposés à la clientèle».

«Il n’est plus rare de voir des gens tatoués sur son lieu de travail. Néanmoins, certains milieux professionnels exigent des employés qu’ils se présentent sous une certaine apparence. Si les tatouages sont situés dans des endroits discrets et peu visibles et qu’ils reflètent la personnalité, ils ne devraient pas constituer un frein à l’embauche».

«Nous demandons expressément à nos clients si une personne tatouée entre en ligne de compte. La décision finale incombe au client, c’est lui qui connaît le mieux son environnement».

Le représentant d’un cabinet bâlois spécialisé dans le recrutement de cadres et de spécialistes pour plusieurs entreprises nationales et internationales, affirme quant à lui:

«Ce n’est pas le secteur d’activité qui importe, mais la fonction. Une personne en contact avec la clientèle ne sera peut-être pas autorisée à porter un tatouage (par exemple dans une banque), mais le fait que le directeur financier de la société en arbore un ne pose pas de problème».

«D’un signe distinctif des rock stars, le tatouage s’est banalisé chez les jeunes, quelles que soient leur provenance ou leur origine sociale. Les tatouages sont aujourd’hui acceptés par la société, avec bien sûr des différences selon le motif ou la grandeur. Une règle qui est tout aussi valable pour le choix des vêtements».

Absence de réglementation

Certes, l’OFSP fixe des normes en matière de colorants qui peuvent être utilisés dans l’encre des tatouages. Il en va de même pour la stérilisation des instruments de tatouage. Mais l’usage de lasers par des non-professionnels à des fins cosmétiques n’est pas réglementé, même s’il s’agit pratiquement des mêmes lasers que ceux employés par le corps médical.

«A l’heure actuelle, tout le monde peut acheter un petit laser peu performant sur Internet. Pratiquement tous les salons de beauté et les studios de tatouage ont acquis un de ces appareils», affirme Patrik Aeberli. Swissmedic, l’organisme en chargé du contrôle de la qualité, de l’efficacité et de la sûreté des moyens thérapeutiques utilisés en Suisse, souligne que le marché de la beauté et celui du détatouage sont en plein essor depuis quelques années, mais qu’ils ne tombent pas sous le coup de la loi.

La régulation fait cependant son chemin. L’OFSP travaille sur un projet de loi visant à réglementer l’utilisation des rayons non-ionisants et des lasers cosmétiques. L’OFSP espère pouvoir présenter ses recommandations au Conseil fédéral en 2014, comme il l’a fait savoir à swissinfo.ch

En attendant, l’OFSP publie quelques avertissements sur son site internet. Il recommande ainsi aux clients de se faire traiter «exclusivement par un médecin ou par un spécialiste disposant d’un certificat fédéral conforme et opérant sous le contrôle et la responsabilité d’un médecin».

Connaissances insuffisantes

Patrik Aeberli a appris à utilise un laser dans une institution privée, la Swiss Laser Academy, qui lui a remis un certificat. Les auteurs de la recherche publiée dans Der Hautarzt – qui sont affiliés à des cliniques universitaires allemandes – se montrent sceptiques quant à ces qualifications non-médicales. «Les ateliers destinés aux entreprises et qui donnent l’impression aux étudiants d’avoir acquis suffisamment d’expérience en un week-end de cours sont tout aussi contestables», écrivent les auteurs. «Les participants reçoivent généralement un certificat imprimé qui est conçu pour offrir un certain degré de confiance aux patients».

Patrik Aeberli reconnaît qu’un niveau minimal de connaissances devrait être exigé pour pratiquer le détatouage. Il estime également que seuls des lasers médicaux, dont on est «certain de la qualité et de l’exactitude des longueurs d’onde», devraient être utilisés. Des changements sont d’après lui indispensables. «Mais à partir de quand les contrôles sont-ils insuffisants ou deviennent-ils trop envahissants? Il est difficile de fixer une limite».

(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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