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Comment connaître les désirs de ses clients à l’ère du commerce en ligne

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Une scène de plus en plus rare: la numérisation croissante du secteur bancaire et des autres services a créé un grand fossé physique entre les entreprises et leurs clients. Keystone / Martin Ruetschi

Avec la mondialisation et le commerce électronique, les fournisseurs de biens et services sont toujours plus éloignés physiquement des consommateurs. Une start-up zurichoise a créé le plus grand marché européen de participants à des tests pour permettre aux entreprises de connaître les besoins et les attentes de leurs clients.

«En 2004, alors que je me trouvais dans la Silicon Valley pour finaliser mon travail de master, j’ai cherché des gens pour expérimenter une application auprès d’une société de design, raconte Reto Lämmler, directeur général de la start-up TestingTimeLien externe. J’ai passé une annonce et toutes sortes de personnes se sont présentées, mais elles ne correspondaient pas au profil recherché et n’étaient intéressées que par l’argent. Il y avait même une famille entière avec les enfants, les oncles et les tantes. Je me suis demandé: comment est-ce possible qu’aujourd’hui il y ait un service en ligne pour tout et que rien n’existe encore afin de trouver cinq personnes pour tester un produit?»

De retour en Suisse après avoir obtenu un master en design de l’interaction homme – ordinateur, l’informaticien saint-gallois décide alors de combler cette lacune. En l’espace de quelques semaines, il lance la première version d’une plateforme capable de proposer à des entreprises des personnes disposées à participer rapidement à des tests.

Reto Lämmler
Le fondateur et directeur de TestingTime, Reto Lämmler. swissinfo.ch

«En peu de temps plusieurs sociétés, dont Swisscom et les CFF, ont commencé à utiliser ce service. Je me suis dit que j’avais visé juste et j’ai démarré cette start-up.» Fondée en 2015 à Zurich, TestingTime compte aujourd’hui un millier de clients, surtout en Suisse, en Allemagne, en Autriche, en Grande-Bretagne et en France. Pour leurs tests, ceux-ci peuvent compter sur un éventail de plus de 300’000 personnes de toutes les tranches d’âge. La start-up zurichoise est le numéro un en Europe dans la médiation des participants à des tests.

Applications désastreuses

Avec internet et la numérisation croissante des services et de l’industrie, le nombre de produits complètement nouveaux créés dans le monde et devant être testés avant d’être mis sur le marché augmente sans cesse.

«Jusqu’à quelques années en arrière, les entreprises faisaient éventuellement un sondage en ligne, après quoi elles croyaient savoir ce que voulaient leurs clients. Elles laissaient leurs ingénieurs informatiques s’activer autour d’un produit, en oubliant complètement que c’étaient les clients qui devaient l’utiliser ensuite, explique Reto Lämmler. Cela donnait souvent des applications désastreuses du point de vue de l’utilisation par le client. Nous tous avons été confrontés, par exemple, à des sites internet ou à des applications mal conçues, difficilement utilisables et qui n’apportent aucun plaisir.»

«Aujourd’hui, quand on élabore des idées et des prototypes, on essaie de plus en plus souvent de les faire expérimenter d’abord par des utilisateurs. On observe comment ils utilisent le produit, s’ils comprennent ou pas ce qu’on veut offrir. Et si ce n’est pas le cas, on recommence à travailler et on propose de nouveau à des personnes de le tester. De cette façon on apprend vraiment ce que veulent les gens et le produit est adapté aux besoins du client.»

Le recours croissant à des utilisateurs pour tester des produits est aussi lié à l’avènement du commerce électronique, qui connaît une forte expansion, même en Suisse. Au cours des 20 dernières années, de nombreuses entreprises ont cherché à réduire le personnel en mettant en place des processus numériques pour vendre des produits en ligne. Mais elles ont fini par se rendre compte qu’elles s’étaient trop éloignées de leurs clients et elles cherchent maintenant à s’en approcher de nouveau par ces tests, mais aussi par des services d’assistance et des contacts via les réseaux sociaux.

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L’expérience suivie pas à pas

TestingTime met à disposition d’entreprises et d’agences spécialisées dans les recherches de marché des utilisateurs ayant le profil requis pour des études quantitatives, menées par exemple via une interview téléphonique ou une plateforme en ligne, et surtout pour des tests qualitatifs, réalisés habituellement avec seulement 5 à 10 participants. Ce dernier type de tests prend toujours plus d’importance pour la mise au point et la vente d’un produit.

Parmi les clients de la start-up zurichoise on trouve, par exemple, des entreprises qui veulent faire expérimenter une nouvelle fonction de leur application, des banques intéressées à savoir si leurs clients arrivent à ouvrir facilement un compte électronique, des opérateurs téléphoniques qui souhaitent vérifier si les utilisateurs sont à l’aise sur leur site internet et s’ils arrivent à choisir le bon abonnement. Les tests sont effectués auprès des entreprises elles-mêmes ou dans le cadre de vie quotidien des participants, voire chez eux.

«De nombreuses entreprises veulent suivre pas à pas l’expérience d’acquisition du client pour savoir s’il a l’impression d’être traité avec soin à chaque instant. Nous pensons par exemple au commerce en ligne, où la fragmentation du processus d’achat devient de plus en plus extrême. A celui qui commande un produit, on envoie d’abord une confirmation d’ordre, un avis que l’envoi est parti et qu’il est en train d’arriver. Ensuite il s’agit de contrôler comment le paquet est acheminé: lorsqu’il arrive, souvent le client n’est pas à la maison et il doit aller le chercher quelque part. Et pour finir il faut vérifier comment le client ouvre le paquet, comment il teste le produit reçu et comment il peut le renvoyer s’il n’est pas content», indique Reto Lämmler.

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Selon lui, aujourd’hui presque plus aucun secteur ne peut échapper à cette approche de la clientèle. «Prenons les banques, qui ont longtemps vécu dans leur zone de confort. Elles ont ouvert l’e-banking en pensant pouvoir recréer ni plus ni moins un guichet traditionnel sur internet. Ces dernières années, on a vu arriver de nouveaux concurrents exclusivement en ligne qui misent sur l’expérience de l’utilisateur et sont en croissance rapide. Les banques traditionnelles commencent à avoir peur et elles sont toutes en train de créer des laboratoires d’innovation. Elles viennent chez nous en disant: nous sommes en train de rater le train. Et elles sont tout le temps à la recherche de personnes pour tester leurs produits.»

Inscriptions spontanées

Ces prochaines années, la start-up zurichoise veut s’implanter dans d’autres pays européens et pouvoir offrir un éventail de 1 million de personnes disposées à participer aux tests – leur nombre croît chaque année de 15’000 à 20’000 unités. Une partie de ces personnes sont recrutées grâce à des campagnes sur les réseaux sociaux, mais la plupart s’annoncent spontanément en ligne. Elles sont rémunérées en fonction de la durée et du type de tests auxquels elles participent.

«Pour répondre aux besoins et aux profils recherchés par nos clients, nous faisons un screening des gens qui s’annoncent en fonction de l’âge, du genre, de la formation, de l’activité professionnelle, du lieu de résidence, des intérêts et ainsi de suite. Ce profil est ensuite constamment amélioré avec des informations collectées à chaque test auquel elles participent, de façon à réduire le risque d’erreur. Nous essayons aussi de comprendre, sur la base de ces données, si une personne ment, si elle affirme exercer un métier qu’elle ne fait pas, ou être quelqu’un qu’elle n’est pas.»

Mais qu’est-ce qui pousse ces gens à servir de souris pour permettre à des entreprises parfois inconnues de tester leurs produits? «Il y a différentes raisons de participer, nous explique Reto Lämmler, les jeunes, par exemple les étudiants, le font d’habitude pour l’argent. Les personnes d’un certain âge par curiosité, pour voir comment fonctionne une autre entreprise ou pour sortir de la routine de leur travail. Les plus de 60 ans veulent mettre à disposition leur expérience, faire en sorte que leur classe d’âge soit aussi représentée ou ne pas être mis de côté.»

Traduction de l’italien: Isolda Agazzi

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