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«Je ne suis pas un petit canard suisse terrorisé par des célébrités»

Pierre Mifsud, comédien
Pierre Mifsud: un humour discret, qui saute sans arrêt du coq à l'âne. Christian Lutz

Depuis quatre ans, le comédien genevois Pierre Mifsud donne devant un public enthousiaste sa «Conférence de choses». Avec ce solo devenu phénomène, il a parcouru plusieurs fois la France et est allé jusqu’au Québec. Il joue ces jours à Paris. Portrait.

Comique, profondément comique, voilà ce qu’est Pierre Mifsud. Vingt-cinq ans de théâtre ont forgé son image de comédien équilibriste qui se prend souvent les pieds dans le tapis mais finit toujours par se redresser, retrouvant, tel Charlot, sa joie de bateleur. Pierre Mifsud n’est pas une star, mais une vedette du rire, de ce rire à la suisse, qui ne fait pas de bruit, ne part pas en éclats, mais vous agite par petites secousses.

Les one-man-show, Pierre Mifsud les connaît bien, pas les stand up qui cherchent à amuser la galerie, mais les spectacles qui donnent à réfléchir sur la condition humaine, sur l’ambition contrariée et la gloire futile.

En 2000, il joue, à Genève, «Les arbres sous marins», un solo où il tente un dialogue avec des êtres qu’il côtoie dans sa tête. Délire? Non, plutôt lutte pour cerner une vérité toujours impalpable. Le revoilà 17 ans après avec le même désir de vérité, et une énergie quintuplée, dans Conférence de chosesLien externe un solo là aussi, réparti sur plusieurs épisodes, créé en 2013 par François Gremaud. Sous la direction du metteur en scène romand, Pierre Mifsud a interprété cette «Conférence», devenue culte, des centaines de fois: en Suisse, en France et même à Montréal, en mai dernier, dans le cadre du célèbre festival TransAmériques.

Pas de forme tapageuse

Le spectacle a bénéficié du bouche à oreille, mais surtout du choix de la Sélection suisse en Avignon (SCH), en juillet 2016. C’est de là que la flamme est partie. Partout et toujours le même succès, et aujourd’hui encore à Paris. Pierre y donne sa «Conférence» au Théâtre du Rond-Point, sis au coeur des Champs-Elysées. La prestigieuse institution parisienne, qui compte plusieurs salles, met souvent à son affiche des stars de la scène internationale, dont Yasmina Reza programmée jusqu’à fin décembre, en même temps que Mifsud. Mais cela n’éblouit pas Pierre: «Je ne suis pas le petit canard suisse terrorisé par des célébrités, mon théâtre reste discret, je l’assume».   

«Ce qui m’impressionne en revanche, ajoute-t-il, c’est cette foule incroyable qui attend tous les soirs dans le hall du Rond-Point avant de rejoindre les salles. Moi, je joue au dernier étage. Tranquillement, je monte et entre dans une salle magnifique d’une centaine de places. L’autre soir, des spectateurs sont venus me retrouver après la représentation. Ils m’ont dit le plaisir qu’ils ont eu à m’écouter et m’ont affirmé qu’ils reviendraient voir l’intégrale».

Un marathon

Chaque soir de semaine, le comédien joue un épisode de la «Conférence», qui dure très exactement 53 minutes et 33 secondes. L’intégrale en compte neuf; elle est donnée sur une journée entière, le week-end. Autant dire un marathon, qui demande un entraînement de sportif de haut niveau. Pourtant, ce ne sont pas les muscles qui forment l’enjeu de cette «Conférence», mais le cerveau. Il s’agit ici d’une traversée du savoir, façon Wikipédia. Le comédien passe du coq à l’âne, d’une idée à une autre, comme lorsqu’on clique sur un lien qui vous emmène vers un autre lien. Le savoir est infini, l’ignorance de l’homme aussi.

Le rire est au rendez-vous, comme souvent chez Pierre Mifsud. Lui qui joua avec une prodigieuse dextérité Louis de Funès (c’était en 2011 au Théâtre de Vidy-Lausanne) sait comment surprendre le public, ne jamais le laisser deviner à l’avance le tour de folie qui va suivre. La réception de son solo diffère néanmoins d’un pays à l’autre et d’une culture à l’autre.

«Le public français met 10 à 15 minutes avant d’entrer vraiment dans cette «Conférence», peut-être parce qu’il est habitué à la rapidité de ses propres humoristes qui vous balancent un gag par seconde, raconte le comédien. En Suisse, c’est autre chose. Quand je joue chez moi, je me rends compte que le public adhère tout de suite à mon propos. La discipline y est sans doute pour beaucoup: en Suisse, lorsque quelqu’un parle, on prend le temps de l’écouter».

Le plus épatant fut le séjour à Montréal. «Nous avons été accueillis comme des rois, déjà par les organisateurs, d’un professionnalisme exemplaire, confie-t-il. Quant au public, nous l’avons fidélisé très vite».

Une seule chaussure et grosse pointure

François Gremaud voit son comédien comme un «virtuose, qui jouit d’une force de concentration rare dans le métier d’acteur». Pierre, lui, reste modeste. Il rappelle ses débuts difficiles dans ce métier, quand il faisait des études d’art dramatique à Genève. Venu du sud de la France où il est né, il partageait alors son logis avec deux autres comédiens.

«Pour arrondir nos fins de mois, on travaillait comme garçons de café. Il nous fallait pour cela une chaussure noire. On n’en avait qu’une seule, on se la passait». Depuis, la chaussure a perdu de son vernis, mais ceux qui l’ont portée sont devenus des pointures.  

Acteur suisse, né il y a 54 ans à Marseille. Après une formation d’instituteur en France, il débarque à Genève, vers l’âge de 24 ans, pour y suivre des études d’art dramatique à l’école Serge Martin. Il y noue des amitiés avec notamment Oscar Gomez Mata, metteur en scène hispano-suisse pour lequel il deviendra un fidèle interprète. Il travaille également sous la direction d’autres metteurs en scène en Suisse romande, en France et en Espagne.

Il a signé de nombreux spectacles parmi lesquels «Le Portrait de Madame Mélo» et «Cuche & Barbezat». Il joue dans diverses séries pour la télévision. Il enseigne à la Haute Ecole de Théâtre de Suisse romande, à Lausanne. Depuis 2009, il participe à différents projets de la 2b Companie dirigée par le Lausannois François Gremaud.

Conférence de choses est à voir au Théâtre du Rond-Point, Paris, jusqu’au 31 décembre. 

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