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En août 1939, la paisible Suisse face à l’imminence de la guerre

1er septembre 1939: Hitler envahit la Pologne. C'est le début de la Seconde Guerre mondiale. La photo, prise le 6 septembre, montre des chars d'assaut allemands qui ont participé à la Guerre éclair. Certains véhicules portaient des croix blanches, ce qui suscita des protestations de la part de la Suisse. Ap1939

Le 1er septembre 1939 débutait officiellement la Seconde Guerre mondiale. Quatre-vingt ans plus tard, nous nous sommes replongés dans nos archives. La chronique que nous y avons dénichée exprime toute l’angoisse du journaliste face au conflit meurtrier qui s’annonce.  

De retour à Berne après ses vacances, le journaliste Pierre Béguin retombe vite dans le bain de l’actualité tragique de l’époque. Ce 21 août 1939, au micro du Service suisse des ondes courtes, il fait part de ses craintes face au déclenchement imminent de la guerre. Les bruits de botte en Europe de l’est contrastent dramatiquement avec la douceur de vivre et l’harmonie qui règnent en Suisse, écrit-il dans sa chronique du jour.

Pierre Béguin, journaliste et témoin de son temps. DR

«Cette angoisse, je vous l’assure, on la ressent tragiquement, quand on retrouve les craintes et les appréhensions de la politique internationale, après s’être laissé aller au plaisir de vivre au sein d’une population qui ne rêve que de paix, qui en a trouvé le secret pour sa part et qui, si sa modestie l’y autorise, voudrait faire partager ce privilège à tout le monde», affirme sur un ton très personnel le journaliste de 35 ans.

Selon le Dictionnaire historique de la Suisse,Lien externe Pierre Béguin (1903-1978) fut un des meilleurs éditorialistes de Suisse romande et un défenseur énergique de la liberté de presse à l’époque. Il travailla notamment entre 1934 et 1940 au Service suisse des ondes courtes, l’ancêtre de swissinfo.ch, où il fournit une Chronique quotidienne du Palais fédéral. Il fut également correspondant à Berne pour La Liberté et le Journal de Genève.

Nommé rédacteur en chef de la Gazette de Lausanne en 1946, il en assuma la direction de 1959 à 1966. Il publia en 1950 une histoire de la Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale: Le Balcon sur l’Europe. Dans cette vidéo de 1964Lien externe, Pierre Béguin s’exprime sur les sujets tabous en Suisse. 

Voici l’intégralité de sa chronique du 21 août 1939, dont nous n’avons retrouvé que la version manuscrite:

Mesdames, Messieurs,

Peut-être que vous me permettrez de vous faire ce soir quelques confidences. Je m’y sens autorisé par le plaisir que j’éprouve à vous retrouver après une absence de plusieurs semaines. Maintenant, les vacances sont terminées. Il faut reprendre sa tâche. Il faut oublier les montagnes et les lacs, le soleil et les vents réparateurs, pour observer de nouveau l’horizon international. Après avoir trouvé le calme et le repos dans la contemplation des belles lignes apaisées de nos paysages suisses, il faut de nouveau à tout instant se demander si l’on ne verra pas soudain apparaître à quelque coin du ciel la lueur d’un incendie et – chose grave! – d’un incendie que les hommes seraient impardonnables de laisser s’embraser, parce qu’ils savent que le feu couve et parce qu’ils connaissent les moyens d’empêcher une catastrophe.

Je sais bien qu’il ne faut pas tomber dans le travers des pédagogues et qu’il ne faut pas vouloir faire la leçon au monde entier. Outre que pareille attitude a pour effet de rendre ridicule celui qui l’adopte, elle indispose ceux que l’on essaye de convaincre. Toutefois, quand on a passé ses vacances en Suisse, quand on s’est permis en dépit de la gravité des temps de ne point lire de journaux, quand on a osé se laisser aller à la joie de faire partie d’un peuple qui vit en bonne harmonie et qui serait heureux, s’il n’y avait pas de dangereux trouble-fête de par le grand monde, quand on a joui de pareils privilèges pendant un mois, on ne peut s’empêcher de faire des comparaisons.

En effet – toute notre vie nationale en donne l’exemple à chaque instant – les moyens de conjurer les catastrophes et d’aplanir les conflits, nous les possédons pour notre part. Nous savons comment l’on doit et comment l’on peut faire vivre en paix et dans la concorde la plus profonde des hommes de langue, de race, de religion et de coutumes diverses. Nous avons éprouvé et reconnu cette vérité au terme d’une longue histoire fertile en incidents. Aujourd’hui, quand nous voyons que les hommes pourraient encore et de nouveau entre-tuer – sans raisons valables, mais pour d’assez pauvres prétextes -, notre angoisse redouble à l’idée que le monde ne se dirige pas sur cette voie de la paix que nous avons suivie nous-mêmes et qui nous a mené à notre équilibre actuel, mais qu’il semble prendre plaisir à se ruer dans la direction contraire, dans celle qui mène aux catastrophes et aux destructions.

Cette angoisse, je vous l’assure, on la ressent tragiquement, quand on retrouve les craintes et les appréhensions de la politique internationale, après s’être laissé aller au plaisir de vivre au sein d’une population qui ne rêve que de paix, qui en a trouvé le secret pour sa part et qui, si sa modestie l’y autorise, voudrait faire partager ce privilège à tout le monde.

Certes, il ne faut jamais assumer de rôle qui ne soit pas à sa propre mesure. C’est bien pourquoi nous évitons, nous autres Suisses, de trop élever la voix et de donner des conseils à droite et à gauche, au nord, au sud ou à l’ouest. Plus simplement, nous persévérons dans l’attitude que nous avons adoptée une fois pour toutes, avec l’espoir que notre exemple fera école tôt ou tard. Et, vraiment, nous ne pouvons pas dire, au terme d’un été qui nous a amené beaucoup de visiteurs étrangers, que cet espoir ne soit pas du tout fondé. J’en veux pour preuve ces quelques lignes que je tire d’un article publié naguère par l’excellent écrivain français, Émile Henriot, et que je voudrais vous lire pour terminer:

«Le patriotisme suisse, dit-il, est paisible. A ce titre, il satisfait deux fois le sentiment et la raison. Ici, tout le monde est d’accord en quatre langues et chacun, pensant en français, en allemand, en italien ou en romanche, trouve son unité supérieure dans le fait de sa nationalité suisse, garante des particularismes locaux dans l’indépendance de tous. Le bel exemple! Il est donc possible à des hommes de vivre en commun, sous un seul drapeau frissonnant aux vents confondues, venus du nord, du sud et de l’est, pour brasser et rendre respirables à tous les apports du monde latin et de la Germanie! Voilà le charme de la Suisse et la leçon d’équilibre qu’elle donne: elle montre ce qu’un pays libre peut accepter de ses voisins, sans rien perdre de son génie propre, harmonieux et conciliateur».

Vous l’avouerez, mes chers auditeurs, on voudrait que ces lignes n’aient pas été écrites par un Français au retour d’un voyage en Suisse, mais par un Américain au lendemain d’un séjour en Europe. Hélas! Il est encore trop tôt pour que s’opère pareil miracle…

Ces dernières années, swissinfo.ch s’est penché de manière approfondie sur le rôle complexe de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Voici quelques articles qui pourraient vous intéresser:

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Les images et les explications ci-dessous montrent comment le Service suisse des ondes courtes a rendu compte de la Seconde Guerre mondiale tout au long du conflit. Un dossier plus complet peut également être consulté ici

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