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Toujours plus de requérants d’asile vivent dans des bunkers

Le 28 octobre à Lausanne, une manifestation de demandeurs d'asile organisée par le collectif "Droit de rester". Keystone

Après avoir fui des régimes répressifs et risqué leur vie pour se rendre en Suisse, les demandeurs d'asile sont loin d’imaginer qu’ils se retrouveront dans des abris antinucléaires souterrains. C’est la solution trouvée par un nombre croissant de cantons surchargés par les demandes d’asile.


Un soleil d’automne se couche lentement sur le lac Léman. Près de 200 personnes entonnent un chant de défi: «Arrêtez les bunkers! Nous avons besoin d’air frais!»

Constitué principalement de demandeurs d’asile d’Erythrée, mais aussi d’autres pays d’Afrique et de Syrie, le groupe défile lentement, flambeau à la main, dans le centre de Lausanne, bloquant la circulation et provoquant l’étonnement des passants.

En tête du cortège, deux personnes portent une banderole sur laquelle est écrit: «Nous ne sommes pas en guerre. Ne nous logez pas dans des bunkers.»

Depuis août, un groupe de demandeurs d’asile dans le canton de Vaud, soutenu par une demi-douzaine d’associations suisses, se bat pour améliorer les conditions de vie dans leurs nouveaux abris, des anciens bunkers antinucléaires souterrains qui parsèment la région.

«J’ai été choqué d’apprendre que j’allais rester dans un bunker. Les Érythréens ont des membres de leur famille qui ont été emprisonnés sous terre. Cela rappelle donc de très mauvais souvenirs», témoigne Hussein *, un Erythréen qui a vécu pendant quatre mois dans un abri de la protection civile à Lausanne.

Agé de 28 ans, il est l’un des 400 demandeurs d’asile logés dans huit abris souterrains gérés par l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAMLien externe). Dans chaque site, 50 à 60 migrants dorment dans des dortoirs collectifs sans fenêtres. La vie intime est limitée. Ils doivent quitter leur bunker tous les jours à 10h pour ne revenir que le soir. La durée moyenne de séjour varie de quelques mois à un an.

Dans ces conditions, leur santé mentale et physique se détériore, disent les ONG qui soutiennent leur mouvement de protestation.

«Je n’arrive pas à dormir la nuit. C’est toujours bruyant et la gale que j’ai attrapée en Libye me démange terriblement. J’ai été soigné, mais le bunker est très sale et je l’ai de nouveau attrapée. La nuit, je n’arrête pas de penser à la prison et au désert. Je me sens mal», témoigne Efrem *, âgé de 19 ans.

Épuisés par leur condition de vie, les manifestants veulent un logement au-dessus du sol.

«Pour le moment, le seul moyen de sortir du bunker est d’avoir un problème de santé», relève Ibrahim *.

Dans l’immédiat, le groupe réclame l’ouverture des abris 24h par jour. Ils veulent aussi avoir accès à une cuisine et être moins nombreux dans chaque refuge. Ils ajoutent que leurs demandes faites par écrit au président du gouvernement cantonal et au chef de l’EVAM n’ont eu que peu d’impact.

Pierre-Yves Maillard, le président socialiste du gouvernement du canton de Vaud, a déclaré être au courant de ces demandes et les prendre au sérieux. Un débat sur la question est prévu au parlement cantonal.

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En Suisse, les autorités fédérales sont responsables de la procédure d’asile. Mais c’est aux autorités cantonales – qui jouissent d’une autonomie considérable – de mettre en œuvre la politique fédérale et de superviser des questions telles que l’hébergement.

L’article 12 de la Constitution suisse stipule que «quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine.»

En décembre 2013, le Tribunal fédéral a rejeté une plainte d’un demandeur d’asile de 34 ans qui voulait être transféré d’un abri antiatomique du canton de Vaud. Selon la plus haute autorité judiciaire suisse, passer une nuit dans un hébergement collectif n’est pas dégradant ou contraire aux exigences minimales de la Constitution.

Alors que les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de choisir leur logement, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSARLien externe) estime, elle, que les cantons doivent s’assurer que le logement soit convenable.

Face à l’augmentation récente du nombre de demandeurs d’asile en Suisse, venus principalement de l’Érythrée et de Syrie, les communes, les cantons et les organismes en charge des migrants ont eu du mal à trouver un logement adéquat. Beaucoup utilisent des anciens bâtiments, des écoles désaffectées, des abris anti-aériens (voir la vidéo).

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Avec huit bunkers reconvertis et d’autres prévus à cet effet, Vaud est le canton qui a le plus recours à ces abris antiatomiques. Genève a récemment ouvert un deuxième bunker, le canton de Berne en a cinq, le canton de Neuchâtel deux et le canton de Fribourg un. Le Jura et le Valais parviennent, eux, à se passer des bunkers.

Les responsables de l’EVAM se justifient en disant qu’ils doivent à la fois faire face à une forte augmentation du nombre de requérants et à une pénurie de logements.

«Les demandeurs d’asile et les candidats rejetées ne devraient pas être logés sous terre. Mais nous préférons cette solution plutôt que de laisser les gens dormir dans la rue», déclare la porte-parole de l’EVAM Sylvie Makela.

«Vaud est un des cantons qui reçoit le plus de demandeurs d’asile, 8% du nombre total des demandes en Suisse. Vaud est également l’un des cantons où le manque de logements est le plus aigu. Nous sommes soumis aux lois du marché du logement et au manque d’appartements comme tout le monde.»

L’EVAM dit qu’il est constamment à la recherche de solutions de logement, mais qu’il n’y a pour l’heure pas d’autre choix que d’utiliser des abris nucléaires.

De son coté, Beat Meiner, secrétaire général de l’OSAR, critique leur utilisation excessive: «Nous ne sommes pas des taupes. Nous avons besoin d’air et de lumière. Les êtres humains ne sont pas faits pour vivre dans la clandestinité. Alors que pour les adultes qui n’ont pas obtenu l’asile, les bunkers peuvent être une solution, pour les demandeurs d’asile, cette option est totalement inacceptable. Exceptionnellement, s’il n’y a pas d’autre moyen de les empêcher de devenir des sans-abri, les bunkers peuvent être utilisés comme une solution temporaire pour une très courte période de temps. En général, nous devrions essayer d’éviter de les utiliser.»

L’avocat Jean-Michel Dolivo, qui soutient les manifestants et qui a déposé une question formelle sur le sujet au parlement vaudois, estime que l’utilisation des bunkers est symptomatique d’une ligne généralement dure l’égard des demandeurs d’asile.

«Le but de la politique d’asile suisse n’est pas d’accueillir les gens, mais de les renvoyer le plus rapidement possible. S’ils vivent dans de mauvaises conditions, la pression est maintenue pour qu’ils quittent la Suisse», assure l’avocat.

Sylvie Makela reconnait que l’usage des bunkers pour les demandeurs d’asile n’est pas très bon pour l’image humanitaire de la Suisse. «Mais au moins, nous les logeons quelque part», relève-t-elle, avant de pointer la responsabilité des communes et de leurs habitants.

«Chaque fois que nous proposons aux communes de construire des logements pour accueillir les demandeurs d’asile, la population locale s’y oppose», souligne Sylvie Makela.

* prénom fictif

Contenu externe

Entre Juillet et Septembre 2014, 18’103 nouveaux demandeurs d’asile ont atteint la Suisse, soit une augmentation de 45% par rapport au trimestre précédent. Parmi eux, 5721 Erythréens, 3059 Syriens et 845 Sri Lankais.

Office fédéral de la statisitiqueLien externe

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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