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Les fourmis ont conquis le globe en deux grandes vagues

Laurent Keller, directeur du Département d’écologie et évolution de l’Université de Lausanne, étudie les fourmis sous leurs coutures depuis plus de vingt ans (archives). KEYSTONE/STR sda-ats

(Keystone-ATS) Les fourmis se sont dispersées sur le globe en suivant deux grandes vagues du commerce international, soit de 1850 à 1914 et de 1970 à nos jours. Une étude internationale avec participation lausannoise révèle les liens entre ces insectes et la mondialisation.

Parmi les 13’000 espèces de fourmis connues, 241 ont été accidentellement introduites par l’homme sur de nouveaux territoires dont elles n’étaient pas originaires, a indiqué l’Université de Lausanne (UNIL) jeudi dans un communiqué.

Cleo Bertelsmeier, postdoctorante, et Laurent Keller, directeur du Département d’écologie et évolution, ont étudié la manière dont les activités induites par la mondialisation, les échanges internationaux de marchandises en particulier, ont marqué la dispersion actuelle des fourmis dans la monde.

Quatre dynamiques de dispersion

En collaboration avec des chercheurs américains et français, les biologistes de l’UNIL ont analysé la distribution spatiale actuelle des 241 espèces de fourmis non indigènes.

En fonction du nombre de pays colonisés et de l’éloignement entre ceux-ci, les spécialistes ont réparti les espèces dans quatre groupes: il y a celles qui ont peu bougé (groupe local), celles qui se sont aventurées dans les pays avoisinants (groupe régional) et celles qui ont traversé les océans pour coloniser de nombreuses régions sur différents continents (groupe global).

Le quatrième groupe est constitué des espèces dont les membres se sont dispersés sur plusieurs continents, mais, une fois sur place, sont restés confinés à des espaces relativement restreints (groupe transcontinental).

Les chercheurs ont ensuite étudié la manière dont 36 espèces ont bougé à travers le globe de 1750 à 2010. En corrélant ces 260 ans de données spatio-temporelles avec un indice mesurant les échanges économiques entre pays, ils ont révélé que les fourmis ont traversé les frontières, voire les océans, en suivant deux grandes vagues de mondialisation et d’essor du commerce international.

Deux vagues

La première court du milieu du XIXe siècle jusqu’en 1914, période durant laquelle les échanges de marchandises, entre autres, se sont multipliés avant d’être freinés par le krach boursier de 1929 et les deux guerres mondiales. La seconde vague de globalisation, qui se poursuit aujourd’hui, a débuté à la reprise des activités économiques à l’échelle mondiale dans les années 1970.

“Cette relation, largement ignorée dans la littérature au sujet des invasions biologiques, témoigne des liens étroits qui existent entre la mondialisation et la biogéographie des fourmis”, affirme Cleo Bertelsmeier, première auteure de l’article publié dans Nature Ecology&Evolution, citée dans le communiqué.

L’impact de l’activité humaine a cependant varié selon les époques et les espèces. Les fourmis aujourd’hui les plus répandues et les plus invasives (groupe global), ont par exemple été fortement dispersées durant les deux vagues de mondialisation. D’autres (groupe transcontinental), n’ont quasiment pas bougé jusque dans les années 1970 et subissent actuellement de forts déplacements.

Traits biologiques

Les différences dans les dynamiques spatio-temporelles sont en grande partie déterminées par les traits biologiques et morphologiques des animaux. Les espèces de petite taille et dont les colonies comportent plusieurs reines, sont plus enclines à se répandre.

De plus, il est probable que les fourmis du groupe transcontinental bénéficient actuellement d’opportunités de transports auxquelles elles n’avaient pas accès par le passé, la mondialisation n’ayant pas atteint les pays de manière uniforme.

“Il s’agit de la première étape vers une expansion beaucoup plus large et potentiellement problématique”, estime Laurent Keller. Certaines fourmis introduites hors de leur habitat naturel peuvent en effet porter préjudice aux espèces et aux écosystèmes locaux, aux cultures et à l’être humain. Ces travaux pourraient aider à les identifier.

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