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Les locataires peu nombreux à les contester

Les locataires hésitent souvent à contester leurs loyers, fussent-ils abusifs (archives). KEYSTONE/LAURENT GILLIERON sda-ats

(Keystone-ATS) Ce n’est pas un “scoop”: les locataires sont nombreux à payer des loyers trop élevés. Pourtant, par peur de perdre leur logement ou découragés par la charge administrative, ils sont rares à les contester.

Alexandra a 30 ans et vit à Lausanne. Elle vient d’emménager dans un appartement, dont le loyer a été augmenté de 30% par rapport à celui que payait la locataire précédente, sans que des travaux de rénovation aient été réalisés.

Dans ce cas, il s’agit clairement d’un loyer abusif. Le rendement obtenu par le bailleur dépasse largement le rendement net admissible, fixé à 2,25%, explique Cipriano Alvarez, chef du secteur droit à l’Office fédéral du logement.

Le bailleur se base peut-être sur les loyers usuels du quartier pour imposer une augmentation, nuance le président de l’Association suisse des locataires (Asloca) Carlo Sommaruga. Un argument régulièrement utilisé.

En Suisse, il n’y a pas de contrôle systématique de loyer, poursuit le conseiller national socialiste genevois. Il incombe en principe au locataire de prouver le caractère abusif du loyer.

30 jours

Celui-ci dispose de trente jours pour contester le loyer initial – fixé par le contrat de bail – dès lors qu’il a pris possession des locaux, rappelle Cipriano Alvarez. Encore faut-il se lancer dans ces démarches.

Malgré une hausse abusive du loyer, Alexandra ne contestera pas. Ayant été recommandée auprès de sa gérance par un ami, elle ne souhaite pas que ce dernier s’attire des ennuis. Un cas parmi tant d’autres.

D’après Carlo Sommaruga, 10’000 changements de locataire ont lieu chaque année à Genève. Or sur ce chiffre, seules 600 contestations du loyer initial sont recensées. Dans le canton de Vaud, sur 23’500 appartements qui changent de locataires, 330 oppositions sont recensées, soit 1,4%.

Ce n’est pas dans l’esprit des Suisses de contester un contrat qu’ils viennent à peine de signer, analyse le socialiste. Les nouveaux locataires ont également peur d’entamer une action, craignant que leur contrat soit résilié.

Locataires protégés

Or “ceux qui font prévaloir leurs droits sont protégés”, insiste l’élu. Le propriétaire ne peut pas les mettre à la porte au motif qu’une baisse de loyer a été demandée. Dès que la procédure est lancée, le titulaire du bail est à l’abri pendant trois ans.

D’autres ont peur d’être fichés, de se retrouver dans le collimateur des régies. “Il n’y a pas de liste noire”, assure Didier Golay, président de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI) Vaud.

Mais les gérances n’aiment pas les contestations, note Nathalie Poot, chasseur d’appartements chez Homequest. “Nous encourageons nos clients à ne pas contester le loyer”, admet-elle.

Les honoraires des gérances proviennent à hauteur de 3 à 5% des loyers de l’immeuble. “Elles ont donc tout intérêt à trouver des locataires qui n’embêtent pas”, relève Daniel Buchs, chasseur d’appartement pour Chasseur Immo.

Contrat à durée déterminée

Certaines agences de chasseurs d’appartements affirment même travailler de mèche avec les gérances. D’autres assurent que des gérances font signer des contrats au locataire pour qu’il s’engage à ne pas contester le loyer.

Des accusations balayées en bloc par Didier Golay: “C’est aberrant. Je ne vois pas quelle pression on peut mettre en faisant signer un contrat pour que la personne renonce à ses droits. Le droit du bail doit être respecté autant par le bailleur que par le locataire”.

“Ces pratiques existent peut-être, mais elles n’ont aucune valeur juridique. Je pense qu’elles sont rares”, analyse Cipriano Alvarez. Selon l’expert, c’est plutôt un autre phénomène qui prend de l’ampleur, notamment dans le canton de Genève: le bail à durée déterminée, le plus souvent un an.

Pour l’Asloca, de tels baux visent surtout à éviter les contestations de loyer. Dans le contexte de pénurie que connaissent l’Arc lémanique et le canton de Zurich par exemple, les locataires préfèrent se taire, par crainte de perdre leur logement à l’issue du bail.

La loi du marché

Dans l’Arc lémanique, une soixantaine d’intéressés se ruent sur un appartement qui se libère, illustre Daniel Buchs. Ici, comme à Zurich par exemple, la demande est bien plus élevée que l’offre, résume Sebastien Troutot, membre du comité de l’Association suisse de l’économie immobilière (SVIT Romandie).

Par conséquent “les loyers sont aussi plus élevés dans l’Arc lémanique qu’à Fribourg ou en Valais”. Ce sont les règles du marché, conclut-il.

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