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La Suisse peut-elle aider Julian Assange?

Julian Assange lors de son arrestation à Londres
Julian Assange lors de son arrestation à Londres le 11 avril. Keystone / Victoria Jones

La Ville de Genève demande au gouvernement suisse d’intervenir pour sauvegarder la vie et l’intégrité corporelle de Julian Assange, le fondateur de Wikileaks. Mais les démarches pour obtenir l’asile ou un visa humanitaire en Suisse sont complexes et très réglementées.

Le sort de Julian Assange préoccupe les politiciens genevois. Le parlement de la ville a adopté une résolutionLien externe début février pour demander au gouvernement suisse d’aider le fondateur de WikileaksLien externe. Hasard du calendrier, cette requête est parvenue la semaine dernière au Département fédéral des Affaires étrangères (DFAELien externe), alors que Julian Assange était arrêté dans l’ambassade de l’Equateur à Londres, où il était réfugié depuis 2012.

La résolution genevoise, déposée par l’élu de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) Eric Bertinat, demande au Conseil fédéral de «concrétiser sa politique de protection des défenseurs des droits de l’homme en offrant ses bons offices et en entreprenant toutes les démarches nécessaires à la sauvegarde de la vie et de l’intégrité corporelle de M. Julian Assange».

Procédures complexes

La marge de manœuvre des autorités suisses est toutefois assez mince pour intervenir dans ce genre d’affaire. Le gouvernement pourrait éventuellement proposer ses «bons officesLien externe» et agir en tant que médiateur, si les parties en conflit acceptent son aide. La Suisse pourrait aussi accueillir Julian Assange sur son territoire, mais les conditions sont strictement réglementées.

L ambassade d Equateur à Londres
L’ambassade de l’Equateur à Londres, juste après l’arrestation de Julian Assange. Copyright 2019 The Associated Press. All Rights Reserved

Depuis 2012, plus aucune demandeLien externe d’asile ne peut être déposée auprès des représentations diplomatiques suisses à l’étranger. Le fondateur de Wikileaks devrait donc se déplacer en Suisse et faire sa requête dans un poste frontière, dans un aéroport ou directement dans un centre fédéral pour requérants d’asile. La procédureLien externe peut ensuite durer entre 140 jours et une année environ.

Toutefois, si la vie ou l’intégrité physique de Julian Assange sont directement, sérieusement et concrètement mises en danger, il pourrait déposer une demande de visa humanitaireLien externe dans une représentation suisse à l’étranger. Ce genre d’autorisation de séjour est généralement délivré lors de conflits armés particulièrement aigus ou de menace personnelle, réelle et imminente, dans le pays d’origine ou de provenance. Si la personne concernée se trouve déjà dans un États tiers, la Suisse la considère d’habitude comme n’étant plus menacée.

Contenu externe

En 2016, le conseiller national (Chambre basse du Parlement suisse) UDC Jean-Luc Addor avait demandé au gouvernementLien externe si Julian Assange pouvait être considéré comme un défenseur des droits de l’homme bénéficiant d’une protection particulière. «Non», avait clairement répondu le Conseil fédéral: «Julian Assange est considéré comme un expert en informatique, un journaliste d’investigation ainsi qu’un activiste politique, (…) il n’avait pas l’intention de lier ses révélations directement à la promotion et la protection des droits de l’homme.» Le gouvernement suisse estime donc que le fondateur de Wikileaks ne respecte pas les critères des Lignes directricesLien externe de la Suisse concernant la protection des défenseurs des droits de l’homme.

En détention

«C’est actuellement la justice anglaise qui est maître de son destin»
Alain Bovard, Amnesty

Reste que pour demander à la Suisse un visa, l’asile ou une quelconque protection, Julian Assange devrait se rendre en personne auprès des autorités helvétiques. Une démarche qui semblait déjà difficile, vu son confinement dans l’ambassade de l’Equateur, et qui paraît désormais impossible avec son arrestation par la police britannique. «Théoriquement, la Suisse pourrait annoncer sa volonté d’accueillir M. Assange, mais c’est actuellement la justice anglaise qui est maître de son destin et qui doit décider si elle prononce ou non son extradition», réagit Alain Bovard, chargé de plaidoyer à la section suisse d’Amnesty InternationalLien externe

Les États-Unis demandent au Royaume-Uni d’extrader Julian Assange afin de pouvoir le poursuivre en justice pour piratage informatique. Une requête pourrait également émaner de la Suède, où le fondateur de Wikileaks était accusé de viol et agression sexuelle. Les poursuites ont été abandonnées, mais avec l’arrestation de la semaine dernière, l’avocate d’une des plaignantes a annoncé son intention de demander la réouverture de l’enquête.

«Nous craignons qu’il soit détenu dans des conditions extrêmement dures et soumis à des mauvais traitements»
Alain Bovard, Amnesty

De nombreuses organisations internationales, dont les Nations UniesLien externe et Reporters Sans FrontièresLien externe, exhortent le gouvernement britannique à ne pas répondre à la demande des États-Unis. «Amnesty International considère Julian Assange comme un lanceur d’alerte et demande qu’il ne soit pas extradé vers les Etats-Unis, explique Alain Bovard. Là-bas, nous craignons qu’il soit détenu dans des conditions extrêmement dures et soumis à des mauvais traitements. De plus, une condamnation à mort consécutive à un procès inéquitable ne peut être exclue.» La justice du Royaume-Uni a prévu de se prononcer sur la requête américaine le 2 mai.

On ignore en revanche à quel moment le gouvernement suisse prendra position sur cette affaire. Sollicité par la SonntagszeitungLien externe, le DFAE a répondu qu’il avait pris connaissance de la résolution genevoise et qu’il y répondrait après évaluation du dossier. «La Suisse a déjà accueilli plusieurs défenseurs des droits humains menacés dans leur pays, conclut Alain Bovard, mais j’ai personnellement l’impression qu’elle a tendance à ne pas prendre position dès que les affaires deviennent publiques et sont fortement médiatisées.»

La question s’était posée pour Snowden

En 2013, des politiciens suissesLien externe avaient demandé au gouvernement d’accueillir et de protéger un autre lanceur d’alerte, Edward Snowden. L’ex-consultant du renseignement américain était en fuite après avoir révélé à des journalistes des informations confidentielles de la NSA sur des programmes de surveillance de masse. Edward Snowden a finalement obtenu l’asile en Russie, où il se trouve encore aujourd’hui. En 2014, la professeure de droit à l’Université de Fribourg Sarah Progin-TheuerkaufLien externe avait évalué le besoin de protection du lanceur d’alerte. Dans son articleLien externe publié dans la revue sui generis, elle avait alors conclu qu’Edward Snowden remplissait les critères du statut de réfugié et devrait recevoir l’asile, ou tout au moins bénéficier d’une admission provisoire en Suisse.

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