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A Genève, deux camps s’écharpent autour d’un projet de tunnel

Le centre-ville de Genève est en proie à des embouteillages endémiques depuis de nombreuses années. Keystone

La construction d'un tunnel sous la rade de Genève permettra-t-elle de mettre fin aux embouteillages? Les citoyens du canton se prononcent le 28 septembre sur une initiative qui prévoit un boyau de 1,5 kilomètre de long à deux pas du jet d'eau.

La traversée de la rade genevoise agite les esprits depuis des années. Faut-il construire un tunnel ou un nouveau pont ou rien du tout, pour permettre aux habitants des deux rives de traverser le lac et résoudre le problème des bouchons endémiques?

La question sera à nouveau débattue dans les urnes fin septembre. Les citoyens du canton de Genève devront alors se prononcer sur une initiative de l’UDCLien externe, le parti de la droite conservatrice, soutenue par le Mouvement citoyens genevois (MCG), une formation populiste, et le Touring Club Suisse (TCS), une association d’automobilistes. Celle-ci propose de construire un tunnel à l’extrémité ouest du lac, dans la zone de La Rade.

Genève a de graves soucis de mobilité et a urgemment besoin d’un nouveau tunnel routier sous le lac, soulignent les partisans du texte. La question est d’autant plus pressante que la région va accueillir quelque 100’000 nouveaux habitants durant les 15 prochaines années, selon les prévisions.

Un débat ancien

L’initiative soumise au vote le 28 septembre propose de construire un tunnel sous le lac comprenant deux voies dans chaque sens. Il relierait l’Avenue de France, sur la rive droite, au Port Noir, sur la rive gauche. Le canton débat depuis des années de la nécessité de se doter d’un pont supplémentaire ou d’un tunnel pour améliorer la traversée de la rade et régler le problème récurent des embouteillages.

En 1896 déjà, le peintre et architecte Albert Trachsel avait présenté un projet de tunnel sous la rade, destiné à préserver la vue sur le lac. En 1943, l’architecte Emile-Albert Favre a pour sa part publié une étude qui proposait la construction d’un pont surélevé. Il a par la suite révisé ses plans, plaidant dès 1945 pour la destruction du pont du Mont-Blanc et son remplacement par deux tunnels.

En juin 1988, 68% des citoyens genevois ont voté en faveur d’une nouvelle traversée de la rade. Mais en juin 1996, deux tiers des votants ont dit non à la fois à un nouveau pont et à un tunnel.

25’000 heures de travail perdues

«Les autorités n’ont aucune solution à proposer pour réduire les  embouteillages au centre-ville ou pour fournir une alternative aux conducteurs durant les prochains travaux de rénovation du pont du Mont-Blanc», déplore Céline Amaudruz, la présidente de la section genevoise de l’UDC.

La deuxième plus grande ville de Suisse se trouve au carrefour de la France et des Alpes, le long de voies de circulation très empruntées. En plus de ses 450’000 résidents, elle doit faire face aux 109’000 pendulaires qui traversent chaque jour la frontière avec la France ou avec le canton de Vaud pour venir travailler à Genève.

Le centre-ville et l’un des ponts qui permettent de traverser le lac – le Mont-Blanc – sont souvent immobilisés par le trafic. Cette mauvaise gestion des routes cantonales affecte l’économie locale, argumentent les partisans du tunnel sous la rade. Les embouteillages provoquent la perte de quelque 25’000 heures de travail quotidiennes, a calculé le TCS.

Goulet d’étranglement

Mais la plupart des autres partis politiques, ainsi que des organisations environnementales et des associations de résidents locaux, rejettent l’initiativeLien externe. Ils la jugent dépassée, trop chère et anti-écologique.

Ils ont commandité leur propre étude qui montre, statistiques à l’appui, que le tunnel de la Rade empirerait les choses en créant un appel d’air, un goulet d’étranglement et de la pollution à l’entrée de l’ouvrage, qui se trouve près du centre-ville.

Le projet pourrait également causer des dommages irréversibles à un parc situé non loin de là et aux rives du lac, mettent-ils en garde. Il pourrait même contaminer une nappe phréatique qui fournit 20% des besoins en eau potable de la cité, selon eux.

«Ce tunnel accroîtrait sans l’ombre d’un doute les problèmes de circulation qu’il affirme vouloir régler, tout en allongeant les embouteillages au détriment des résidents locaux, note le maire de Genève Sami Kanaan, qui appartient au parti socialiste. Aucune autre ville ne songerait à lancer un tel projet en plein centre-ville.»

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Second projet

Les deux camps s’affrontent à coup d’estimations chiffrées quant au coût du projet. Celles-ci oscillent entre 660 millions et 1,5 milliard de francs. Les opposants affirment que le canton – déjà en difficultés financières – ne peut pas assumer une telle somme à lui tout seul et que cela aurait un impact négatif sur les plans d’infrastructures pour la prochaine décennie.

Pour ajouter à la confusion, le parti radical et le parti démocrate-chrétien, deux formations du centre-droit, ont récemment annoncé leur propre projet d’initiative cantonale. Celle-ci prévoit un tunnel de quatre kilomètres de long, situé plus haut sur le lac, qui relierait le périphérique cantonal au réseau autoroutier franco-suisse.

Ce projet coûterait 3,5 milliards de francs, mais il serait éligible pour obtenir des fonds fédéraux. Reste que sa réalisation n’interviendrait pas avant 2030 au plus tôt, voire peut-être même 2050, selon les voix les plus critiques.

L’UDC estime que les deux projets sont complémentaires. Mais les défenseurs du second disent que la variante courte du tunnel aurait pour effet d’annihiler les chances de voir Berne mettre la main au porte-monnaie pour subventionner son homologue plus long.

“Le tunnel de la rade ne va rien résoudre. Il va seulement créer de nouveaux embouteillages.”

«Une souricière»

Le débat s’est envenimé ces dernières semaines. Les deux camps se sont livrés à des échanges de vues acérés et les journaux locaux ont publié des courriers de lecteurs outrés.

«Une nouvelle traversée de la rade, oui, et vite! Qu’elle soit petite ou grande, financée par des fonds publics ou privés, gratuite ou payante, peu importe, écrit une habitante du cru, Françoise Buffat, dans le quotidien La Tribune de Genève. Car Genève devient une souricière pour quiconque veut passer d’une rive à l’autre, à n’importe quelle heure du jour.»

Mais la construction d’un nouveau pont ou d’un tunnel permettra-t-elle vraiment de désengorger les routes genevoises? Vincent Kaufmann, spécialiste de la mobilité urbaine à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), n’en est pas convaincu. «Le tunnel de la rade ne va rien résoudre, dit-il. Il va seulement créer de nouveaux embouteillages. Il va aussi coûter très cher et mènera à une baisse de l’usage des transports publics.»

 Débat statique

«La variante du tunnel long ne représente pas non plus une solution, poursuit-il. Ces 15 dernières années, la part des foyers genevois possédant un véhicule est passé de 500 sur 1000 à environ 420 sur 1000. Si le nombre de personnes qui renoncent à la voiture continue d’augmenter, si la croissance de la population poursuit son ralentissement actuel et si le réseau de transports régionaux du CEVA voit le jour avant 2020, je ne suis pas sûr que nous ayons besoin de toutes ces traversées.»

Le vrai problème, estime le professeur, c’est la politique du cantonLien externe envers les voitures et les positions des uns et des autres dans le débat sur la traversée de la rade, qui n’ont pas bougé depuis 20 ans. «Le monde a changé, fait-il remarquer. Mais à Genève, on a voulu améliorer les transports publics tout en préservant l’accès au centre-ville pour les voitures. On ne peut pas faire les deux choses à la fois. A un moment donné, il faut faire des choix clairs, comme Bordeaux, Strasbourg et de nombreuses villes en Allemagne l’ont fait.»

(Traduction de l’anglais: Julie Zaugg)

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