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Les premières élections locales favorisent les femmes et les jeunes

Elections en Tunisie
En 2014, près de 70% des Tunisiennes et des Tunisiens s’étaient rendus aux urnes pour les législatives. Pour ces premières élections municipales, les observateurs s’attendent plutôt à un fort taux d’abstention. Keystone

Les Tunisiens vivent ce week-end un des grands moments de leur histoire, depuis l'accès à l'indépendance en 1956. Pour la première fois, le pays connaît des élections municipales libres et démocratiques.

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Cette échéance, en dépit des cogitations, du reste naturelles, sur la qualité des résultats attendus va marquer une avancée significative et majeure sur la voie de la démocratisation du pays depuis le départ du dictateur Zine El Abidine ben Ali en 2011. L’essentiel est d’entamer le processus de mise en place d’un pouvoir local et d’initier les Tunisiens à la démocratie de proximité.

Les premières élections municipales de l’ère postrévolutionnaire interviennent après de très grandes avancées démocratiques: élection d’une Constituante en octobre 2011, adoption d’une nouvelle constitution en janvier 2014, élections présidentielles et législatives libres au cours de la même année.

Mais cette démocratisation du pays et de la société n’est pas allée sans difficultés. Loin s’en faut.

Est-il besoin de rappeler qu’une crise politique avait secoué le gouvernement de la Troïka (2012-2014), coalition gouvernementale groupant le parti islamiste Ennahdha et deux partis dits laïcs (le Congrès pour la république et Ettakatol)? On était alors passé près du scénario égyptien, la prise du pouvoir par l’armée. Sauf que l’armée tunisienne, républicaine et apolitique, est restée dans sa neutralité.

La Tunisie, qui a vu naître la première constitution du monde arabe en 1861, s’est dotée en 2014 de la première constitution démocratique dans toute la région, ce qui lui a valu en 2015, un prix Nobel de la paix.

Les turbulences de la transition

L’article 130 de la nouvelle constitution prévoit l’institution, aux côtés des quatre autres pouvoirs (législatif, juridique, exécutif et pouvoir des instances constitutionnelles), d’un pouvoir local, avec comme corollaire la décentralisation et une démocratie locale.

Néanmoins, beaucoup de Tunisiens pensent comme le Dr. Riadh Zeghal, ex-doyenne de la faculté d’économie et de gestion de Sfax (sud du pays) et relèvent la difficulté de réussir une démocratie locale, alors qu’on n’est pas encore parvenu à sortir des turbulences de la transition dite démocratique à l’échelle nationale.

Pour Riadh Zeghal, la participation réussie et durable dans les sociétés modernes «est celle qui est soutenue par un tissu solide de coopération et de partenariat entre les institutions publiques et les structures du privé, à but lucratif et non lucratif». Et de rappeler que la démocratie délibérative et la bonne gouvernance «reposent sur les valeurs de participation et de crédibilité». On ne peut en effet espérer des élections crédibles suivies de bonne gouvernance tant que la corruption continue à ronger tous les rouages de l’économie et à gangrener la vie sociale.

L’enjeu est de taille pour les Tunisiens: il s’agit de réussir des élections crédibles dans un environnement souffrant de moult maux. Au nombre de ceux ci, figure le manque de confiance – relevé par plusieurs enquêtes et sondages – dans les partis, les politiques et les organisations d’encadrement nationales.

Le grand problème, c’est cette incapacité du système politique à créer la confiance et à valoriser les compétences. Car le milieu politique est actuellement davantage préoccupé par des calculs inspirés par le passé que par les défis du présent et du futur.

Il y a également le contexte général, marqué par une crise économique et financière aigue qui a miné le pouvoir d’achat du commun des Tunisiens.

Parité totale

En dépit de ces zones d’ombre, les gens placent beaucoup d’espoir dans ces élections locales pour améliorer leur quotidien, et ce pour deux raisons principales.

La première, c’est que ces élections, plus que les trois précédentes, consacrent obligatoirement la parité entre hommes et femmes. La seconde, c’est qu’elles prévoient en amont et légalement une présence significative des jeunes aux futurs conseils municipaux.

Ainsi, en dépit des querelles et chamailleries entre dirigeants de partis, un pas important a été franchi, comme le rappelle la constituante Najla Bouriel: le nombre de candidates dépasse les 49%, alors que les jeunes de moins de 35 ans représentent plus de 52% des candidats (et 76% ont moins de 45 ans). D’après l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), qui supervise le processus électoral, 13 hommes handicapés et 5 femmes ont même réussi à être têtes de liste.

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La Suisse partenaire de la transition démocratique

Fortement engagée en Tunisie depuis le début de la transition politique en 2011, la Suisse a contribué et contribue encore de manière significative au processus démocratique.

Elle s’est affirmée comme partenaire fiable et respecté. C’est que la stabilité en Afrique du Nord est dans l’intérêt de la Suisse comme l’affirme l’ambassadrice suisse Rita Adam: «la coopération internationale suisse s’est engagée dans le renforcement des institutions en Tunisie, dans le respect de ses objectifs de politique étrangère». Elle cherche ainsi à contribuer à la consolidation de la démocratie et de l’état de droit, ainsi qu’à la mise en place de mécanismes favorisant la participation citoyenne à la vie publique.

En octobre 2017, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a visité la Tunisie ou elle a donné le coup d’envoi à la deuxième phase de coopération couvrant les années 2017-2020. La coopération migratoire fait l’objet d’un partenariat particulièrement intense avec des pays du sud de la Méditerranée dont la Tunisie. Cela s’est traduit concrètement par l’institution d’un cadre de dialogue qui se réunit une fois par an entre spécialistes migratoires. Il contribue beaucoup à échanger les informations, à mieux s’entendre, à mieux comprendre les risques et à être à l’écoute des préoccupations des uns et des autres, comme le souligne l’ambassadrice Adam.

La stratégie de coopération va de l’offre des urnes utilisées lors des élections de 2014 (et qui seront réutilisées cette année), jusqu’à l’assistance aux agriculteurs afin de les aider à exporter les produits du terroir.

Guerre idéologique

Dans le camp tunisien, on assiste à une guerre idéologique entre les conservateurs du parti Ennahdha et les modernistes des partis laïcs et de gauche, dont Nida Tounes (L’Appel de Tunis), fruit d’un recyclage du parti de Ben Ali, qui dirige la coalition au pouvoir depuis 2014. Cette coexistence contre nature entre deux courants considérés jadis par le fondateur de Nida et actuel président de la République Béji Caid Essebsi, comme «deux lignes parallèles qui ne se croisent jamais», inquiète beaucoup de Tunisiens. Notamment les femmes, comme la journaliste Essia Atrous qui estime que les nouvelles élites politiques sont incapables de donner de l’espoir aux jeunes.

Essia Atrous met en garde contre les risques de détournement du processus de démocratie locale en faveur d’intérêts personnels ou partisans avec son lot de corruption et de malversations. Elle se demande si la jeune démocratie tunisienne demeure encore un modèle de transition pacifique pour toute la région.

Malgré cela, elle se dit confiante. Cette expérience, bien qu’encore balbutiante, a montré qu’il existe bel et bien une troisième voie entre la dictature militaire et la théocratie.

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