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Un «non» symbolique dans les urnes selon la presse

Le vote sur les armes fait les gros titres de la presse suisse de lundi. swissinfo.ch

La presse prend acte du net rejet de l’initiative sur les armes. Ce résultat s’explique du fait que le débat a quitté les arguments techniques pour entrer dans l’émotionnel. Pour bon nombre de commentateurs, le vote a toutefois permis de faire évoluer la question des armes.

Dans leurs commentaires, les éditorialistes identifient clairement les vainqueurs du scrutin de dimanche. Ce sont les défenseurs d’une Suisse traditionnelle et de culture rurale. «La Suisse des campagnes, des stands de tir, des journées de chasse a gagné», note par exemple le grand quotidien populaire romand Le Matin.

La presse alémanique voit également dans ce scrutin la victoire d’une Suisse traditionnelle et rurale sur la Suisse des grandes villes. C’est ainsi que, par exemple, la Basler Zeitung n’hésite pas à titrer «Victoire de la vieille Suisse».

S’ils sont d’accord sur l’existence d’un clivage entre villes et campagnes, les commentateurs ne sont en revanche pas à l’unisson en ce qui concerne le clivage linguistique. Contrairement à la presse francophone, la presse germanophone ne s’attarde en effet pas spécialement sur le fait que l’initiative a bénéficié d’un plus large soutien en Suisse romande qu’en Suisse alémanique.

Il convient cependant de noter qu’en Suisse romande également, même s’il est évoqué, ce clivage linguistique se révèle moins important que celui existant entre villes et campagnes. «Sur la classique opposition ville-campagne se dessine, au léger fusain, la non moins habituelle différence de perception de l’Etat de part et d’autre de la Sarine», note ainsi La Liberté, le quotidien du canton bilingue de Fribourg.

Un «marketing génial»

Au niveau de l’explication du résultat, les commentateurs sont à nouveau unanimes pour souligner la très grande habileté des adversaires de l’initiative. Ceux-ci ont su faire glisser le débat d’un niveau technique à un plan beaucoup plus général et émotionnel. Le St. Galler Tagblatt n’hésite d’ailleurs pas à qualifier cette tactique de «machinerie de marketing géniale».

«Une mesure technique, qui aurait sans doute pu être réglée par l’armée elle-même, est devenu un débat national sur la tradition, les étrangers criminels, le tir sportif, la chasse, voire l’existence de l’armée» note Le Temps.

Même son de cloche en Suisse alémanique. «Pour une large partie de la population, il s’agissait d’une question d’identité nationale, de défense de la liberté et de l’autodétermination. Il est facile d’organiser la résistance en agitant de tels spectres», écrit le quotidien zurichois Tages Anzeiger.

Sur un ton beaucoup plus critique, le Bund de Berne souligne que «quelques symboles pathétiques peuvent être plus forts que la froide raison». Moins virulente, la très réputée Neue Zürcher Zeitung note pour sa part que «la sécurité et la défense sont des valeurs très profondément ancrées» et qu’au fil des différents scrutins, les attaques contre l’armée ne font pas recette.

Une défaite socialiste

Mais si les adversaires de l’initiative ont tactiquement bien joué, il n’en est pas de même pour ses partisans, au premier rang desquels le Parti socialiste. La presse constate que la gauche perd le seul vote de l’année, un signe de mauvais augure avant les élections fédérales de l’automne.

Et pour bon nombre d’analystes, cette gauche ne peut s’en prendre qu’à elle-même. «Les socialistes, entravés par leurs tabous, n’osaient affirmer haut et clair qu’ils lançaient la première initiative sécuritaire de leur histoire. Au lieu de la vendre comme telle, ils se sont égarés dans une morne et timide campagne. Un raté de plus pour la gauche en cette année d’élections fédérales», juge la Tribune de Genève.

La Liberté est tout aussi sévère: «En inscrivant la suppression de l’armée à son programme, le Parti socialiste a, sur ce champ de bataille, offert un bazooka aux contempteurs de l’initiative. De l’art de se tirer dans le pied…»

Une initiative utile

Malgré le résultat négatif de dimanche, la presse juge que l’initiative n’a pas été inutile. Elle a en effet permis de faire avancer quelque peu le débat sur les armes en Suisse.

«A son corps défendant, l’armée a dû admettre que l’arme à la maison ne pouvait être un dogme absolu. Que des contrôles beaucoup plus stricts s’imposaient. Et que le besoin hypothétique de courir aux frontières armé de son fusil d’assaut ne passait pas avant l’exigence, immédiate et bien réelle, d’assurer la sécurité publique. Tout le monde ne peut se voir confier un fusil d’assaut, et encore moins avec les cartouches qui vont avec. Ce message-là, les initiants ont su le faire passer jusque dans les travées du parlement», estime le quotidien vaudois 24 heures.

La Regione insiste également sur cette évolution. «Suite à la récolte des signatures, la législation a été durcie. A son tour, l’armée a introduit au cours des dernières années quelques correctifs tels que l’obligation de laisser la munition  de poche à l’arsenal et, pour les soldats qui le veulent, la possibilité d’y déposer leur arme personnelle entre deux périodes de service militaire», écrit le quotidien tessinois.

Mais si une certaine évolution a pu être d’ores et déjà constatée, plusieurs commentateurs estiment qu’il y a encore du chemin à faire. «Ce vote ne règle rien, car le régime actuel reste bancal, note Le Temps. Les soldats conservent leur arme à la maison, sans les cartouches. Lesquelles seraient faciles à trouver. De plus, les dispositions suisses sur le commerce des armes, plutôt libérales, restent susceptibles d’être améliorées.»

Et Le Matin, beaucoup plus pessimiste de conclure: «D’autres tragédie sanglantes surviendront à coup sûr demain, dans six mois, dans un an. Avec ou sans arme de service. Nous devons vivre avec cette terrible tragédie.»

L’initiative a été refusée par 56,3% des citoyens.

Au niveau des cantons, 20 ont dit “non” et 6 ont dit “oui”.

Le taux de participation s’est élevé à 49%.

L’initiative avait été remise à la Chancellerie fédérale le 22 février 2009, munie de 106’037 signatures valables.

  

Elle émanait d’une coalition regroupant quelque 70 organisations: défense des droits de l’homme, syndicats, prévention du suicide, Eglises, associations de lutte contre la violence faite aux femmes, mouvements pacifistes, etc.

  

Principales exigences: établissement d’un registre national des armes, justification d’un besoin et de compétences pour posséder une arme, stockage des armes militaires dans des lieux sécurisés, interdiction de posséder des armes particulièrement dangereuses (armes automatiques, fusil à pompe) à titre privé.

  

Au niveau politique, l’initiative a reçu le soutien de la gauche. Le gouvernement et la majorité de droite du Parlement ont en revanche recommandé au peuple de la rejeter.

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