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Un monde sans déchets, une utopie?

Keystone

Tous les objets ou presque peuvent être recyclés, affirme la société américaine TerraCycle, qui entend récupérer en Suisse des brosses à dents usagées et des mégots de cigarettes. Mais le boom du recyclage peut parfois mener à des aberrations écologiques, mettent en garde bon nombre d’experts.

«Chaque type de déchet peut être valorisé et notre objectif est d’éliminer le concept d’ordures». Wolfram Schnelle, 34 ans, en est convaincu: les déchets sans valeur apparente peuvent être réutilisés pour créer de nouveau produits de consommation et des matériaux de construction.

Wolfram Schnelle est le responsable des projets TerraCycle pour la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche. «Nous sommes intéressés par tous les déchets qui finissent dans les décharges ou les incinérateurs», annonce-t-il. La société basée à Trenton, dans le New Jersey, s’appuie sur des programmes volontaires de collecte des déchets.

TerraCycle est fondée en 2001 à l’initiative de Tom Szaki, un jeune étudiant de l’Université de Princeton, dans le New Jersey.

Avec ses économies, il achète 20 millions de vers de terre pour produire des engrais à partir des restes alimentaires de la cafétéria de l’université. Il engage également des boy-scouts, à qui il propose deux centimes de dollar pour chaque bouteille en plastique rapportée.  

Tom Szaki conçoit ainsi un produit fait de déchets (engrais) et emballé dans des matériaux recyclés. L’idée évolue lorsqu’une grande entreprise alimentaire américaine lui propose de réutiliser les emballages de barres chocolatées.

En 2006, alors qu’il n’a que 24 ans, il est nommé «Meilleur administrateur délégué de moins de 30 ans aux Etats-Unis» par la revue économique Inc.

TerraCycle emploie 110 personnes et est active dans 21 pays, y compris la Suisse depuis 2011. Jusqu’ici, elle a récolté 2,4 milliards d’objets et distribué près de 5 millions de dollars à des organismes à but non lucratif.

En 2012, elle a enregistré un chiffre d’affaires de 14,8 millions de dollars.

Ces «brigades», comme les nomme la société américaine, collectent certains types précis d’objets ou d’emballages, comme des stylos vides, des sacs de pommes de terre, des gobelets en plastique, des capsules de café, des téléphones portables ou même des couches ou de vieilles chaussures. «C’est très simple: il suffit de mettre un conteneur dans une école, une entreprise ou un bureau. Lorsque celui-ci est plein, les brigades nous le renvoient», explique Wolfram Schnelle.

Deux centimes pour un stylo vide

Les déchets qui circulent dans les dépôts de TerraCycle – celui pour la Suisse est basé à Zurich – sont issus de centres de recyclage locaux. «Nous obtenons ainsi des matières premières secondaires [matériaux dérivés du recyclage des ordures] que nous pouvons revendre aux fabricants. Le plastique est souvent hétérogène et le recyclage implique donc une certaine perte de qualité. Mais il peut néanmoins être réutilisé pour fabriquer des chaises, des poubelles ou d’autres accessoires».

Pour financer ses programmes, la société nord-américaine, qui compte 110 collaborateurs, a besoin du soutien d’entreprises partenaires, notamment des multinationales. Celles-ci supportent le coût de l’expédition et du recyclage, en plus de rémunérer les «brigades» qui ont collecté les objets.

«Deux centimes sont payés pour chaque stylo», illustre Wolfram Schnelle. L’argent est ensuite reversé à des associations à but non lucratif. Une école d’Einigen, dans le canton de Berne, soutient par exemple la Fondation Théodora, qui apporte du réconfort aux enfants hospitalisés.

Les entreprises partenaires considèrent le recyclage comme une stratégie de marketing, affirme Wolfram Schnelle: «Elles peuvent ainsi montrer à leurs clients qu’elles assument leurs responsabilités en matière de recyclage. Pour notre part, nous entendons réduire l’impact environnemental de l’extraction et de l’élimination des matières premières et promouvoir la solidarité sociale. La recherche de profits vient ensuite».

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Ne jetez pas vos mégots!

Le premier programme de collecte en Suisse, qui concernait du matériel d’écriture, a été lancé en juillet 2011. A l’heure actuelle, plus de 180 écoles, entreprises et institutions organisent des collectes volontaires de stylos et de marqueurs.

En mai sera lancé un programme de collecte de vieilles brosses à dents et de tubes de dentifrice vides. Suite à des expériences menées aux Etats-Unis et au Canada, les mégots de cigarettes seront également récupérés en Suisse. Chaque année, 1000 à 2000 milliards de mégots sont jetés de par le monde, relève TerraCycle.

Dans le filtre des cigarettes, composé pour l’essentiel d’acétate de cellulose, il est possible de récupérer de la matière plastique. «Les mégots peuvent être transformés en bancs ou cendriers», indique Wolfram Schnelle. Les résidus de tabac, les cendres et le papier qui entourent le filtre finissent pour leur part au compost.

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Le recyclage n’est pas éternel

Le recyclage est sans aucun doute positif et doit être encouragé en tant qu’activité économique, commente Sylvie Lupton, experte en économie de l’environnement et du développement durable à la Novancia Business School de Paris: «Cela permet de réduire l’extraction de matières premières et contribue à préserver les ressources non renouvelables. Par ailleurs, le recyclage réduit les coûts des entreprises puisque les matières premières secondaires sont réintégrées dans le processus industriel».

Le recyclage a toutefois ses limites, souligne l’ex-professeure de l’Université de Neuchâtel. «Les matériaux ne sont pas recyclables à l’infini. Après deux ou trois cycles, il peut y avoir une perte de qualité. A ce stade, il ne reste plus d’autre choix que de les incinérer ou de les entreposer dans une décharge».

Dans certains cas, le recyclage peut s’avérer gourmand en énergie, observe Sylvie Lupton, rappelant que la fonte du verre nécessite une température supérieure à 1500 degrés. «Cela peut également être une source de pollution. Pour enlever l’encre du papier, on utilise du chlore, une substance toxique. Certains appareils électriques contiennent des matériaux dangereux, qui doivent être traités avec précaution».

En général, le recyclage présente un écobilan meilleur que la destruction, affirme Sebastien Humbert, directeur scientifique de Quantis, une société spécialisée dans l’évaluation des impacts environnementaux. «Toutefois, il n’en est pas toujours ainsi dans la pratique: si le matériau est présent en petites quantités et si cela nécessite une logistique importante, il ne vaut pas la peine de le recycler».

Près de 5,5 millions de tonnes de déchets urbains sont produits chaque année en Suisse. La moitié environ est collectée et traitée séparément.

L’augmentation de la part du recyclage – qui a doublé en vingt ans – est due principalement à l’introduction de la taxe sur les sacs poubelles. Saint-Gall a été la première municipalité à adopter cette mesure en 1975.

En 2011, 92% des contenants de boissons en aluminium, PET et verre ont été récupérés. Il existe près de 60’000 points de récolte prévus à cet effet en Suisse.

Plus de 85% des appareils électriques et électroniques vendus en Suisse sont retournés dans les centres de collecte. Le financement de ce système est rendu possible grâce à une taxe anticipée de recyclage, payée par le consommateur au moment de l’achat.

Source: Office fédéral de l’environnement, Swiss Recycling

Réduire la quantité de déchets

Sylvie Lupton note que les intérêts économiques l’emportent souvent sur les considérations écologiques. «Idéalement, le recyclage devrait se baser sur le principe de proximité, qui veut que les déchets soient valorisés à l’intérieur du pays. Dans la réalité, une partie des déchets atterrit à l’autre bout de la planète, engendrant d’importantes émissions de CO2».

En 2010, 45% du papier récolté en Suisse (590’000 tonnes) a été exporté, indique l’Office fédéral de l’environnement. D’après Sylvie Lupton, la solution numéro un se trouve en amont: «Il est nécessaire de réduire la quantité de déchets et leur potentiel de nuisances».

Pour atteindre cet objectif, les fabricants doivent également y mettre du leur, ajoute Mirjam Hauser, chercheuse à l’Institut Gottlieb Duttweiler de Rüschlikon, près de Zurich, et auteure d’une étude sur l’avenir du recyclage. «Certains produits, comme les smartphones, sont fabriqués d’une manière tellement complexe qu’il n’est pas possible de décortiquer tous leurs composants». C’est un problème, insiste Mirjam Hauser: «Au cours de leur fabrication, on ne réfléchit pas suffisamment à comment réintégrer les matériaux dans leur cycle de vie».

Pour TerraCycle, la collecte de déchets plus insolites présente néanmoins un grand avantage, qui va au-delà des considérations des experts. «Si les citoyens apprennent qu’il est possible de recycler les cigarettes, ils penseront que d’autres choses sont également récupérables. Cela changera la perception qu’ils ont des déchets», observe Wolfram Schnelle.

(Traduction de l’italien: Samuel Jaberg)

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