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Un Suisse au chevet du système de santé US

Le président Obama a appelé le Congrès à «passer à l'action» Keystone

Très contesté sur le plan intérieur, le système de santé suisse passe pour exemplaire aux Etats-Unis. C'est ce qu'affirme Thomas Zeltner, directeur démissionnaire de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), engagé comme expert par l'Université de Harvard.

Après dix-neuf ans passés à la tête de l’OFSP, Thomas Zeltner quittera ses fonctions à la fin de l’année. Pas pour des vacances, puisqu’il a été sollicité pour enseigner pendant une année dans le cadre d’une «Advanced Leadership Initiative» à l’Université américaine de Harvard, en tant que spécialiste de politique de la santé.

Cette nomination s’inscrit dans le cadre d’un rapprochement entre fonctionnaires de la santé américains et suisses amorcé depuis l’élection de Barack Obama. Le président américain se bat pour faire passer sa réforme du système de santé et créer une assurance de base pour les 46 millions d’Américains qui en sont dépourvus: on se souvient de son discours devant le Congrès, en septembre, pour répliquer à ses opposants, dont il critique la «tactique de la peur».

Thomas Zeltner répond aux questions de swissinfo.

swissinfo.ch: Pouvez-vous expliquer l’intérêt grandissant des Américains pour le système de santé suisse?

Thomas Zeltner: Il y a un intérêt de la part des médias et du monde politique. En août, une délégation du Congrès américain a rencontré des experts de mon office. J’ai été en contact avec l’administration Obama et je connais le secrétaire d’Etat américain à la santé. Nous avons eu un échange de vues. Les médias ont alors manifesté leur intérêt et ont cherché à nous rencontrer.

En fait, les premiers contacts remontent à cinq ou six ans, à l’occasion d’articles de la professeure Regina Herzlinger de Harvard. Elle y expliquait que le système de santé suisse était le plus intéressant, du point de vue américain.

Les interactions se sont multipliées ces deux dernières années entre l’Université de Harvard et les experts suisses. Les Américains sont très intéressés par notre modèle régulé par le marché. La Hollande a un système similaire.

swissinfo.ch: Quels éléments les Américains pourraient-ils reprendre du système suisse?

T.Z.: La Suisse a réussi à instaurer une assurance maladie universelle. Près de 99% de la population sont couverts, même les immigrés illégaux sont assurés lorsqu’ils ont besoin de soins.

Les Etats-Unis sont confrontés à plusieurs problèmes qui se posaient également à la Suisse avant l’introduction de la Loi sur l’assurance maladie (LAMal) en 1996, date avant laquelle l’assurance maladie n’était pas obligatoire. Les compagnies d’assurance pouvaient trier leurs assurés, les programmes de rentes n’étaient pas complets et certains secteurs de l’assurance n’étaient accessibles qu’aux salariés.

Les Américains ont analysé plusieurs systèmes et se sont arrêtés sur le nôtre, qui fonctionne via des compagnies d’assurance privées.

swissinfo.ch: Mais n’est-il pas présomptueux d’exporter un modèle qui est tellement critiqué à l’intérieur du pays, surtout parce qu’il a provoqué une explosion des coûts de la santé et des primes en augmentation constante?

T.Z.: Nous ne cachons pas que le système suisse connaît aussi des difficultés. Nous avons par exemple expliqué les résultats, critiques, de l’audit externe réalisé par l’OCDE et l’OMS en 2006. Notre système est loin d’être parfait.

Les coûts sont assurément un problème. Mais si on regarde dans les autres pays, la Suisse ne s’en sort pas aussi mal que beaucoup de gens le croient. Les coûts globaux de la santé ont augmenté de 2,1% par année ces dix dernières années. C’est moins que la moyenne de l’OCDE. Et en matière de contrôle des coûts, nous faisons aussi bien que les autres pays de l’OCDE, mais à un niveau plus élevé.

Nos dépenses pour la santé représentent 11% du PIB, ce qui est beaucoup. Mais si l’on pense aux soins qui sont assurés et au niveau de satisfaction du public par rapport aux soins, nous ne sommes pas si mal placés.

swissinfo.ch: Pourquoi le système américain ne fonctionne-t-il pas?

T.Z.: Tout est cher: les médicaments, les salaires des médecins et les séjours à l’hôpital. Certaines lacunes substantielles du système sont partiellement dues au fait que la couverture n’est pas universelle. Les personnes qui n’ont pas d’assurance ne vont pas chez le médecin et y vont tard, ce qui génère des coûts plus élevés.

La prévention doit aussi être une priorité. Un des plus grands défis à relever par la société américaine est celui de l’obésité. Les cas de diabètes et de maladies cardiovasculaires font peser une charge très lourde sur le système.

swissinfo.ch: Pensez-vous que l’idée de solidarité, qui est à la base de la LAMal, puisse avoir du sens aux Etats-Unis?

T.Z.: Il est vrai que la solidarité et l’idée de ce que devrait faire la communauté lorsqu’un de ses membres tombe malade sont perçues de façon très différente ici et là-bas. Chaque fois que l’on parle de solidarité, nos interlocuteurs américains nous regardent avec étonnement. Ils n’ont pas le même sens, profondément ancré dans nos sociétés, de ce que cela signifie.

Aux Etats-Unis, personne ne parle de solidarité, à part les personnes très pauvres et très âgées, qui sont prises en charge par des programmes Medicare et Medicaid.

En Suisse, l’accès au système de santé est garanti par la loi. Du coup, les gouvernements cantonaux et la Confédération ont une grande responsabilité. Aux Etats-Unis, il revient aux citoyens de rester en bonne santé. Les employeurs ont aussi une obligation. Le rôle de l’Etat est donc beaucoup plus petit.

swissinfo.ch: Pensez-vous qu’Obama réussira à faire passer sa réforme?

T.Z.: Nos visiteurs, même républicains, disent que ce dossier est trop grand pour échouer. Il en ressortira quelque chose, mais de quelle envergure et de quelle nature, on ne le sait pas encore. Laisser tomber le projet d’assurance nationale pourrait aider à convaincre les républicains d’accepter la réforme. Obama a besoin d’un projet soutenu par les deux camps.

Ce dossier est en tête des priorités aux Etats-Unis actuellement, avec une énorme couverture médiatique. Vous ne pouvez pas ouvrir un journal ou allumer un poste de télévision sans en entendre parler. Le défi est donc énorme pour l’administration Obama, qui a urgemment besoin de résultats.

Simon Bradley, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

La Suisse arrive au 3e rang des pays industrialisés dans le domaine des dépenses de santé, soit 10,8% du produit intérieur but (PIB). Les Etats-Unis affichent 165 et la France 11%.
La Suisse est également au-dessus de la moyenne de l’OCDE quant aux dépenses par personne, avec 4760 francs (4417 dollars), moins que les Etats-Unis (7290 dollars) et la Norvège (4763 dollars).
Le secteur suisse de la santé occupe 3,9 médecins et 14,9 infirmières pour 1000 habitants.
L’espérance de vie atteint 81,7 ans en Suisse et 78,1 ans aux Etats-Unis.

Le président Barack Obama a proposé au Congrès une refonte du système de santé car les primes ont augmenté trois fois plus que les salaires depuis 2000.

Les coûts médicaux sont la première raison de faillite personnelle aux Etats-Unis.

Au taux actuel, les coûts de la réforme Obama consommeront plus de 20% du produit national brut d’ici 2018.

Le 13 octobre, la Commission des finances du Sénat a accepté hier soir par 14 voix contre 9 un projet de loi réformant l’assurance maladie. Une étape clé pour le président Obama.

1899: la Suisse conçoit une couverture d’assurance santé sur un modèle allemand mais elle est rejetée en votation, selon l’Observatoire européen des systèmes d’assurance maladie.

1911: un nouveau projet a passé la rampe.

Pour avoir droit à des subsides fédéraux, les «fonds de santé» devaient présenter une liste d’allocations et permettre aux consommateurs de changer leurs plans d’assurance. Les cantons pouvaient décider de rendre l’assurance obligatoire ou non.

1958 et 1964: réformes partielles avec des mesures qui soutiennent les subsides fédéraux.

1987: le législateur lance une vaste réforme pour contrôler les coûts en augmentation, en vain.

18 mars 1994: les Suisses acceptent la nouvelle Loi sur l’assurance maladie (LAMal) rendant l’assurance obligatoire. Depuis, les réformes se multiplient face à l’explosion des coûts. La réforme actuelle vise les hôpitaux.

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