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Une Suisse nerveuse face à la cherté du franc

La valeur actuelle du franc suscite le sourire des touristes suisses, nettement moins celui des exportateurs. Keystone

La force de la monnaie nationale, face à l’euro surtout, alarme les exportateurs suisses et pose la question des mesures à prendre. Le ministre de l’économie a convoqué pour vendredi une réunion au plus haut niveau avec les partenaires concernés.

L’inquiétude est donc réelle pour de nombreux exportateurs suisses. Surtout pour ceux qui vendent leurs produits – toujours plus chèrement en raison de la hausse de la valeur extérieure du franc – dans la zone euro.

Autour de la table, lors de la réunion organisée par le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), on verra notamment vendredi les représentants de l’Union patronale suisse, ceux de la fédération des entreprises Economiesuisse, de l’Union suisse des arts et métiers (USAM) et de l’Union syndicale suisse (USS).

Les secteurs pharmaceutique, bancaire, horloger, ceux des machines et du tourisme participeront aussi à cette rencontre que les médias ont déjà assimilée à une «réunion de crise». Le Seco parle pour sa part d’une «évaluation de la situation». La discussion portera selon lui sur «les risques et opportunités» liés à la situation actuelle.

«Un thème chaud»

«Ceci montre qu’il s’agit d’un thème chaud dans l’arène politique. Du point du vue du Seco, réunir les différents groupes d’intérêt est sans doute une bonne idée. Mais je pense qu’il n’en sortira rien de concret», indique Felix Brill, économiste sénior auprès de la firme de consulting Wellershoff & Partners.

Un indice de l’urgence de la situation réside peut-être dans la courte note du Seco indiquant que le Secrétaire d’Etat Jean-Daniel Gerber n’accorde aucune interview en l’état.

Nouveau ministre de l’économie, Johann Schneider-Ammann n’est évidemment pas insensible aux fortes fluctuations du franc, sachant qu’il était l’an dernier encore patron du fabricant bernois de machines Ammann. A ce titre, il s’est trouvé confronté à plusieurs reprises à un franc fort en période d’instabilité monétaire.

Avant de rejoindre le gouvernement, Johann Schneider-Ammann présidait aussi Swissmem, organisation qui chapeaute une branche clé de l’économie suisse, celle des machines, des équipements électriques et des métaux.

Ce secteur est le plus gros employeur industriel du pays avec quelque 330’000 collaborateurs. Ses exportations ont atteint 63 milliards de francs en 2009. Dans ce registre, les membres de Swissmem exportent 80% de leur production, deux-tiers de cette part gagnant les pays de la zone euro.

«Une situation qui fait mal»

«La situation actuelle fait terriblement mal à toute entreprise exportatrice», assure Ivo Zimmermann, porte-parole de Swissmem.

«Quantifier reste difficile, mais nous avons enregistré une reprise des entrées de commandes de 12,2% sur les neuf premiers mois de 2010. Ceci dit, nous partions de niveaux très bas. Ce qui signifie que nous sommes encore très loin de ceux d’avant la crise. Nous en sommes aujourd’hui à la situation de 2005/2006.»

Ivo Zimmermann précise aussi que «le niveau actuel du taux de change, qui érode les marges, fait que l’amélioration des entrées de commandes ne permet pas forcément de gagner plus.»

Si Felix Brill n’attend pas de mesures concrètes de la réunion de vendredi, de nombreuses idées ont fusé ces derniers temps. Nick Hayek, CEO de Swatch Group et Paul Rechsteiner, président de l’USS ont par exemple proposé d’ancrer le franc à l’euro.

«Bulle d’air»

Illustrant la division qui existe au sein même de l’économie, le président d’Economiesuisse Gerold Bührer a qualifié l’idée de «bulle d’air». Pour Felix Brill, «la chose serait possible sur le principe, mais il faudrait vivre avec ses conséquences. Elles seraient coûteuses pour la Banque nationale suisse (BNS), qui perdrait son indépendance monétaire».

«Il s’agirait en effet d’adopter la politique monétaire de la Banque centrale européenne, ce qui pourrait conduire à un surcroît d’inflation en Suisse. Et qui serait peut-être un premier pas dans l’union monétaire européenne.»

Felix Brill voit bien la pression à laquelle la BNS est soumise afin qu’elle garde sous contrôle la montée du franc. Mais selon l’économiste, elle ne peut pas faire grand-chose de plus.

«La BNS a beaucoup agi en 2009 et jusqu’en mai 2010, en achetant de grandes quantités d’euros. Pour un résultat faible. La question des dettes souveraines fait beaucoup parler dans la zone euro, le franc suisse n’est qu’un problème parmi d’autres… et il est impossible d’agir unilatéralement.»

Pas de baguette magique

Gerold Bührer est aussi de cet avis, estimant que la banque centrale a fait tout ce qu’elle pouvait mais «qu’elle ne peut pas contrer le courant». Sur les ondes de la radio alémanique, le président d’Economiesuisse a précisé qu’il n’existe pas de baguette magique et qu’aucun moyen technique n’est à même de régler le problème.

Une autre idée appuyée par les syndicats et les PME consisterait à réintroduire le Gentlemen’s agreement passé entre la banque nationale et les banques. Cet accord entré en vigueur en 1976 visait à dissuader ces dernières d’effectuer des transactions spéculatives sur les devises.

«Tout à fait concevable», juge Hans-Ulrich Bigler. Le directeur de l’USAM ajoute que les banques n’ont aucun intérêt à une croissance économique faible. Mais la pièce a son revers, rétorque Felix Brill. Cette solution «participerait à réduire un peu la pression, mais d’un autre côté, la spéculation n’est pas la seule cause de la hausse du franc ces derniers temps».

Protéger la monnaie

Felix Brill pose d’ailleurs la question suivante: la notion de spéculation engloberait-elle aussi les mesures de couvertures prises par les grandes entreprises suisses contre les risques de change?

«Comment juger? Plus une entreprise est grande, plus elle est active à l’échelle internationale, plus il lui faut d’outils pour se protéger, sachant qu’elle doit faire avec les risques de change face à l’euro et une quantité d’autres monnaies.»

D’autres mesures possibles encore sont sur la table avant la réunion de vendredi. La vente d’or par exemple, une mesure inflationniste. Mais aussi la fixation de taux d’intérêts négatifs visant à limiter l’afflux de capitaux, et la rémunération des travailleurs frontaliers en euros.

Selon le ministère de l’économie, le gouvernement est en contact étroit avec la banque nationale sur cette question du franc fort. Mais le Conseil fédéral respecte l’indépendance de la BNS en matière de politique monétaire. C’est pour lui, en effet, «un facteur de succès de l’économie suisse.»

Le franc suisse est une valeur refuge. Investisseurs et spéculateurs l’achètent notamment lorsque d’autres monnaies comme l’euro ou le dollar américain sont sous pression.

La hausse de valeur du franc est source de frustration pour les exportateurs dont les produits vendus hors de Suisse, et en particulier dans la zone euro, deviennent plus chers.

Il en coûte actuellement 1,25 franc pour acheter un euro. Il y a un an, il fallait 1,48 franc. La hausse de la valeur extérieure du franc en douze mois atteint 15%.

La Banque nationale suisse souligne qu’elle ne poursuit pas une politique de taux de change ciblé mais qu’elle fonde sa politique monétaire sur son mandat légal.

Ce mandat stipule qu’elle doit «donner la priorité à la stabilité des prix et, ce faisant, tenir compte de la conjoncture. Elle établit ainsi une condition-cadre fondamentale pour l’évolution de l’économie.»

Il s’agit de la monnaie officielle de la zone euro, qui inclut 17 des 27 pays membres de l’Union européenne.

La zone euro comprend l’Autriche, la Belgique, Chypre, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, Malte, la Hollande, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie et l’Espagne. L’euro est aussi utilisé dans de nombreux autres pays européens.

Cette monnaie est utilisée quotidiennement par bien plus de 300 millions d’Européens. Elle l’est aussi par plus de 150 millions d’Africains.

L’euro est la deuxième monnaie de réserve et la deuxième monnaie la plus échangée dans le monde après le dollar américain.

Les billets et pièces de monnaies en euro sont entrés en circulation le 1er janvier 2002.

(Traduction de l’anglais: Pierre-François Besson)

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