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Venise à Bâle, grâce à la Fondation Beyeler

Edouard Manet, «Le Grand Canal à Venise», huile sur toile de 1874. Shelburne Museum, Vermont

L'histoire d'une ville, indissociable, de par ses richesses, de l'histoire de l'art: la Fondation Beyeler expose les lumières et les «vedute» de la Sérénissime, qui a toujours inspiré les artistes, parfois malgré eux, comme Monet...

«Personne n’entre à Venise en étranger», disait un guide de voyage en 1842. «Et personne n’entre chez Beyeler sans connaître Venise», pourrait-on ajouter.

La magie de la nouvelle exposition de la fondation de Riehen, dans la campagne bâloise, n’en est que plus saisissante: tout le monde a en mémoire un Canaletto ou un Turner, un Monet ou un Guardi inspiré par la célèbre cité. Mais l’éclairage donné par le commissaire d’exposition Martin Schwander leur (re)donne une beauté et un sens particuliers.

L’exposition «Venise, de Canaletto et Turner à Monet», à voir jusqu’au 25 janvier 2009, est, de fait, un retour sur mythe. Le mythe d’une cité qui a attiré les artistes du monde entier, artistes qui, en retour, ont nourri ce mythe en diffusant de la ville force images poétiques.

«Trop beau pour être peint», avait décrété Claude Monet, qui s’était longtemps refusé au voyage vénitien avant d’y séjourner deux mois, en 1908, à l’âge de 68 ans. La série de 37 tableaux qu’il commença à y réaliser (il les a terminés dans son atelier de Giverny les années suivantes) lui donnent tort. La peinture sait très bien que faire des excès de beauté.

Grande époque finissante

De façon pertinente, l’exposition commence avec les derniers peintres vénitiens de la grande époque de Venise, Canaletto (1697-1768) et Francesco Guardi (1712-1793). Nés après les luttes permanentes contre les Turcs au 17e siècle, les deux artistes mourront juste avant l’abolition de la République de Venise par Bonaparte en 1797.

Nul Véronèse, Tintoret ou Tiepolo dans l’exposition. Mais cela donne au parcours davantage d’unité. Des deux grands «védutistes» (les vedute sont les vues de villes, typiquement celles de Venise) au Monet d’il y a un siècle, le fil rouge est évident.

Le Grand Canal («la plus belle rue qui soit en tout le monde et la mieux maisonnée», avait écrit le chroniqueur français Philippe de Commines en 1495), le Palais ducal et la lumière si particulière fondant terre, mer et ciel se retrouvent d’une époque à l’autre, d’un style à l’autre. Mais ils ne sont jamais aussi clairs et transparents que chez Canaletto, qui ouvre l’exposition.

Pour l’historien d’art André Chastel («L’art italien»), Canaletto et Guardi sont ceux «qui iront le plus loin possible vers une peinture pure, sans thèmes antiques ou religieux, ce qui annonce déjà le 19e siècle.» Il n’est donc pas étonnant de retrouver ces deux maîtres au début de l’exposition bâloise.

Centre culturel

Deux maîtres bien différents. A la netteté cristalline de Canaletto, Guardi oppose des vues plus «floues», où la touche est plus présente. Comme si l’impressionnisme n’était pas loin.

Mais, avant cela, il y aura encore d’autres voyageurs. Centre artistique, culturel et intellectuel au 16e siècle, Venise a commencé à attirer des pèlerins de toutes sortes au plus tard au 17e siècle. Ce flot ne s’interrompra jamais.

La lumière de Turner

Après Guardi, le visiteur plonge dans une presque pénombre qui met encore plus en valeur les tableaux de William Turner (1775-1851), qui y fit trois voyages (1819, 1833 et 1840).

Les deux tableaux «En allant au bal» et «En retournant du bal» (1846) laissent éclater la lumière de façon abstraite. Le ciel est comme déchiré par la lumière du peintre.

Puis viennent Manet, Renoir et surtout Monet, qui a droit à un des plus grands ensembles de cette exposition. L’obsession du Français pour la «ville-nénuphar» (expression de Paul Morand) le pousse à explorer les matières comme nul autre.

L’eau d’abord, les palazzi ensuite

Sa série du Palais Contarini coupe systématiquement le bâtiment au deux tiers de sa hauteur, pour donner tout le premier plan aux miroitements de la lagune, bleue, verte ou violette. Magnifiquement mise en valeur, seule au milieu d’une paroi, la «Gondole à Venise» est une intrigante tache beige au milieu de l’eau.

L’autre grand ensemble de l’exposition est consacré à James McNeill Whistler (1834-1903), qui avait ramené de Venise 100 pastels et 52 eaux-fortes. Les sujets moins glorieux l’intéressent, les arrières-cours, les passants, pas forcément riches.

En cela, il montre la voie à un artiste moins connu, John Singer Sargent (1856-1925), un Américain hôte régulier de Venise, comme nombre de ses compatriotes à la fin du 19e siècle. A grands traits expressifs, le peintre dessine un monde moins glorieux, choisissant souvent de surprenants angles de vues.

Intéressant contre-point, un choix de la collection de photographies historiques Herzog, de Bâle, permet de voir Venise «telle qu’elle était» dans les années 1870, sous l’objectif de Carlo Ponti et de Carlo Naya. Eux aussi ont contribué au succès désormais pleinement touristique de la Venise italienne depuis 1866. La première Biennale ouvrira ses portes en 1895.

Autre photographe, mais contemporain, le Belge David Claerbout propose une expérience sensorielle intéressante: ses clichés architecturaux de Venise sont projetés dans le noir et il faut un moment à l’œil pour commencer à distinguer les contours des bâtiments. Des ombres que les peintres des siècles passés ont heureusement depuis longtemps immortalisés.

swissinfo, Ariane Gigon à Reihen (Bâle)

«Dans cette ville, voluptueuse et riche, cosmopolite, sensible à l’exotisme, et habile à l’utiliser pour sa parure, l’humanisme ne pouvait que s’assouplir en un sens différent de l’intellectualisme florentin et de la pompe romaine.» (André Chastel, «L’art italien»)

Fondée en 810, Venise s’est assurée dès les années 1000 de grands avantages maritimes sur les routes vers l’Orient. Riche et puissante, elle ne cessera d’être en guerre avec ses voisins, proches ou lointains.

La Sérénissime a régné jusqu’à Bergame et la Vallée du Pô. Son indépendance tomba en 1797, lorsque Napoléon la céda à l’Autriche. Elle entra dans le Royaume d’Italie en 1866.

Venise a attiré les voyageurs dès le 16e siècle. Dürer y a séjourné en 1505 et 1506. Au 19e siècle, George Sand, Marcel Proust, Henry James, Thomas Mann, Lord Byron, Rilke, Wagner, Chopin ou encore Nietzsche, entre autres, sont passés par Venise. Le mythe n’est pas prêt de s’éteindre.

«Venise, de Canaletto et Turner à Monet» présente jusqu’au 25 janvier 2009 150 œuvres réalisées du 18e siècle au début du 20e siècle.

Douze artistes européens et américains sont exposés:
Canaletto (1697 – 1768), Francesco Guardi (1712 – 1793), J. M. William Turner (1775 – 1851), James McNeill Whistler (1834 – 1903), John Singer Sargent (1856 – 1925), Anders Zorn (1860 – 1920), Edouard Manet (1832 – 1883), Pierre-Auguste Renoir (1841 – 1919), Pietro Fragiacomo (1856 – 1922), Odilon Redon (1840 – 1916), Paul Signac (1863 – 1935), Claude Monet (1840 – 1926).

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