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Les nouveaux avions de combat à l’épreuve des urnes

Le Gripen et le chef de l'armée suisse André Blattmann affronteront un test décisif lors de la votation du 18 mai prochain. Keystone

Au cours des années 1990, les pacifistes et la gauche n’avaient pas réussi à empêcher l’achat de nouveaux avions de combat pour l’armée de l’air suisse. Vingt ans plus tard, ils repartent au combat pour tenter de faire capoter l’acquisition de 22 Gripen suédois.

Les électeurs se prononceront le 18 mai sur une enveloppe de 3,1 milliards de francs destinée à acquérir au cours de la prochaine décennie les avions légers JAS-39 du constructeur aéronautique Saab. Toujours en phase de construction, les jets doivent remplacer la flotte vieillissante des F-5 Tiger dans le but de protéger l’espace aérien suisse jusqu’en 2050.

Le résultat du scrutin devrait mettre fin à dix ans d’évaluations techniques et de débats politiques qui ont marqué le renouvellement partiel des Forces aériennes suisses. En septembre 2013, les deux chambres du Parlement ont finalement accordé leur feu vert à cet achat controversé, en dépit de l’opposition de la gauche et des Verts.

Une alliance composée du Parti socialiste, des Verts, des Verts libéraux et du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) a décidé de lancer un référendum, collectant près de 66’000 signatures, suffisamment pour que l’objet soit soumis au vote à l’échelon national.

Jo Lang, député écologiste

Les risques réels, les dangers et les menaces sont de nature civile. La sécurité devrait passer par la sortie du nucléaire et une politique climatique plutôt que par l’achat coûteux des Gripen

Gaspillage d’argent public

Cette acquisition représente un gaspillage inutile des deniers publics, dénonce la députée socialiste Evi Allemann. «Il en coûtera plus de 10 milliards de francs pour acheter et entretenir la flotte. Mieux vaudrait dépenser cette somme dans l’éducation, les transports publics ou le régime d’assurance vieillesse», dit-elle.

Evi Allemann soutient que la Suisse n’a pas besoin de nouveaux avions de combat pour assurer la police du ciel puisqu’elle est entourée de pays amis. Par ailleurs, la députée socialiste pointe le risque sérieux consistant à acheter un avion de combat qui est encore au stade du prototype et dont les performances sont inférieures au F/A-18 Hornet, épine dorsale de l’armée de l’air suisse.

A l’heure actuelle, le modèle du Gripen que la Suisse entend acheter n’existe que sur le papier. Il est censé être développé sur la base d’un avion de combat déjà existant. Le député écologiste Jo Lang, co-fondateur du GSsA, estime que le parlement et le gouvernement ont fixé les mauvaises priorités. «Les risques réels, les dangers et les menaces sont de nature civile. La sécurité devrait passer par la sortie du nucléaire et une politique climatique plutôt que par l’achat coûteux des Gripen», avance-t-il.

L’armée de l’air suisse se compose actuellement de 32 F/A 18 Hornet et de 54 F-5 Tiger.

La flotte des Tiger doit être remplacée par 22 JAS-39 Gripen.

Les Forces aériennes suisses comprennent également des avions Pilatus d’entraînement et plus de 40 hélicoptères Eurocopter, ainsi que des drones et des avions de transport spéciaux.

Le Gripen suédois était en concurrence avec le Rafale du français Dassault et l’Eurofighter du consortium européen EADS.

La sécurité avant tout

Les partisans du Gripen affirment pour leur part que la sécurité de la Suisse est la raison principale justifiant la mise à jour des Forces aériennes suisses. Le député démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) Jakob Büchler préside le comité interpartis en faveur de l’achat des nouveaux jets. «La sécurité de notre pays et la protection de notre population au cours des 30 prochaines années sont en jeu», affirme-t-il.   

Personne ne sait de quoi l’avenir sera fait, poursuit Jakob Büchler. La Suisse pourrait très bien être affectée par un conflit pour le contrôle des ressources naturelles – l’eau notamment – ou impliquée dans un conflit majeur ayant pour enjeu l’énergie, l’alimentation, le travail ou le contrôle des données. Composé de représentants de l’Union démocratique du centre, du Parti démocrate-chrétien, du Parti radical, du Parti bourgeois démocratique et de membres de l’industrie, le comité affirme que la Suisse a besoin des jets suédois pour une défense aérienne crédible et abordable.

Députée du Parti libéral-radical, Corina Eichenberger rejette les allégations d’une acquisition luxueuse: «Le Gripen n’est pas une Rolls-Royce. Il s’agit d’un 4×4 moderne et fiable». Deux autres types de jets militaires ont été écartés au cours de la procédure d’évaluation approfondie menée par les autorités suisses.

Jakob Büchler, député démocrate-chrétien

La sécurité de notre pays et la protection de notre population au cours des 30 prochaines années sont en jeu.

Prospérité et sécurité

Le ministre de la Défense Ueli Maurer est un ardent défenseur des Gripen. Il estime que la Suisse peut se permettre de dépenser une telle somme et ainsi contribuer à la sécurité en Europe. Pour lui, le Gripen est l’avion qui offre le meilleur rapport qualité-prix. La Suède, pays neutre tout comme la Suisse, est par ailleurs un partenaire d’affaires idéal.

Saab offre des «compensations intéressantes» aux entreprises suisses, à hauteur de 2,5 milliards de francs, affirme Ueli Maurer. Au mois de mars, la société technologique RUAG, en mains de la Confédération, a signé un contrat d’environ 68 millions de francs avec Saab pour produire des éléments de suspension de charge pour le Gripen – des mécanismes servant à porter les armes, les nacelles de reconnaissance et les réservoirs de carburant externes.

Les entreprises helvétiques actives dans les industries de l’ingénierie, des machines et de l’horlogerie ainsi que des chercheurs universitaires de tout le pays bénéficieraient de ces mesures compensatoires. Près de 1000 postes de travail pourraient ainsi être créés ces dix prochaines années en Suisse.

Ueli Maurer précise que l’achat des Gripen est un compromis politique et le résultat d’années de débats. Il souligne également que les Forces aériennes suisses ont réduit leur flotte au cours des années 1990. Celle-ci est passée de 300 à 90 appareils.

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Une histoire mouvementée

Ce n’est pas la première fois que la gauche et les mouvements pacifistes s’opposent à un tel projet. En juin 1993, les électeurs suisses avaient ainsi rejeté un moratoire sur l’acquisition de nouveaux jets de combat après une campagne émotionnelle et intense qui avait vu s’affronter le GSsA et le ministère de la Défense. La décision avait ouvert la voie à l’acquisition de 34 F/A 18 Hornets.

C’était la seconde fois que les milieux pacifistes lançaient une initiative frontale contre l’armée suisse. En 1989, ils avaient créé un petit séisme politique en ralliant un électeur sur trois à leur initiative exigeant l’abolition de l’armée suisse.

En 2009, le GSsA avait remis l’ouvrage sur le métier, récoltant suffisamment de signatures pour demander l’arrêt de la procédure d’achat de nouveaux avions de combat. L’initiative avait ensuite été retirée, le gouvernement ayant entretemps fait marche arrière.

Fin 2013, le mouvement pacifiste a immédiatement réagi à la décision du Parlement de valider l’achat des Gripen, récoltant le nombre de signatures nécessaires pour l’organisation d’un nouveau vote national sur le sujet.

(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)

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