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Comment le Japon a survécu avec “zéro centrale nucléaire”

La centrale Mega Solar de Wakkanai, dans l’extrême nord du Japon. Construite pour la recherche solaire en 2006, elle continue aujourd’hui à fournir de l’énergie à 1700 foyers de la ville. Wakkanai est aussi active dans la promotion de l’énergie éolienne. 稚内市役所

L’initiative «Sortir du nucléaire», soumise au vote le 27 novembre 2016, demande l’arrêt à terme des centrales, mais aussi la promotion du renouvelable et des économies d’énergie. Au Japon, l’accident de Fukushima a obligé le pays à se passer du nucléaire pratiquement du jour au lendemain. Et il y est parvenu, réduisant notamment sa consommation d’électricité de 20%. Explications avec un expert.

Avant l’accident du 11 mars 2011, 54 centrales nucléaires tournaient au Japon. Touchés par le tremblement de terre et le tsunami, quatre réacteurs à Fukushima ont été immédiatement mis hors service. Puis, petit à petit, les 50 autres centrales se sont toutes arrêtées pour être soumises à des contrôles. En mai 2012, le Japon a ainsi vécu ce moment extraordinaire à «zéro centrale nucléaire», une première après 42 ans d’exploitation de l’énergie atomique.

A la même occasion, une nouvelle Commission pour la sécurité nucléaire a été établie pour élaborer une réglementation beaucoup plus stricte qu’auparavant. Plus question dès lors de faire redémarrer une centrale sans l’autorisation de la Commission. Et dans les faits, ce n’est qu’après la victoire aux élections du parti libéral-démocrate (pro-atome), que le premier réacteur de la centrale de Sendai a redémarré, en août 2015, suivi du deuxième trois mois plus tard.

Diplômé en physique de l’université de Kyoto, Tetsunari Iida a travaillé dans l’industrie nucléaire, ainsi que dans la Commission gouvernementale de la sécurité nucléaire. En 2000, il est allé étudier la production d’énergie éolienne par les citoyens au Danemark. De retour au Japon, il a créé l’institut ISEP (Institute for Sustainable Energy Policies) et travaille à promouvoir la production renouvelable de façon démocratique et décentralisée en créant des réseaux de citoyens, de nouveaux modèles sociaux et de nouvelles réglementations. 環境エネルギー政策研究所

Aujourd’hui, trois centrales nucléaires fonctionnement dans le pays, malgré les protestations constantes de la population. Rien qu’à Tokyo, entre 4000 et 10’000 personnes manifestent tous les vendredis soirs depuis avril 2011. Un sondage réalisé en mars 2016 par le quotidien Asahi Shimbun, a montré que cinq ans après Fukushima, 60% de la population veut en rester à zéro centrale nucléaire.

Et pour cela, il existe des solutions, d’ailleurs déjà largement mises en œuvre dans l’archipel, comme l’explique Tetsunari Iida, physicien, expert en énergie, tant nucléaire que renouvelable, et partisan d’un virage énergétique pour son pays.

swissinfo.chComment le Japon a-t-il remplacé l’énergie nucléaire?

Tetsunari Iida: C’est l’énergie provenant surtout du gaz (LNG) et un peu du pétrole qui a contribué à couvrir la soudaine disparition du nucléaire qui, avant la catastrophe, fournissait au pays 30% de son électricité.

Mais la production d’énergie renouvelable, ainsi que les économies d’électricité ont aussi joué un rôle important durant ces cinq dernières années. Les économies d’électricité, en particulier, représentent la meilleure alternative au nucléaire.

swissinfo.ch: Concrètement, comment le Japon est-il parvenu à économiser autant d’électricité?

T.I.: Durant les deux premières années, il a fallu consentir de très gros efforts. Comme nous n’avions pas encore le savoir-faire, tous les Japonais ont souffert pour économiser l’électricité. Ainsi, le gouvernement a ordonné aux entreprises consommant plus de 500 kW d’électricité de diminuer leur consommation de 15% par rapport à l’année précédente durant la tranche horaire de 8 à 18h.

Certaines usines ont été complètement arrêtées, l’éclairage des bureaux a été diminué et de nombreux escalators ou ascenseurs sont restées à l’arrêt. Les grandes compagnies d’électricité diffusaient même une «Météo de l’électricité», pour informer les gens de la quantité de courant consommée par chaque établissement.

En 2011, dans la région de Tokyo, qui est le fief de la compagnie Tepco [propriétaire de Fukushima], on est arrivé à économiser 20% d’électricité durant l’été, qui est la saison où la consommation est la plus élevée.

Dès l’année suivante, le Japon s’est habitué à économiser l’électricité et a compris que cela pouvait se faire facilement, avec des moyens simples. Dans la préfecture de Tokyo par exemple, le gouvernement et les propriétaires de grands immeubles de bureaux, qui sont responsables de 60 à 70% de la consommation électrique durant le journée, ont élaboré des solutions ensemble.

La carte du solaire au Japon montre que l’archipel est littéralement couvert de sites de production. Electrical Japan

La première consiste à augmenter la température de la climatisation à 28 degrés au lieu de 26-27. La deuxième prévoit une baisse de la luminosité: l’éclairage de tous les bureaux de Tokyo a été baissé de 1500 lux à 300 lux, norme inscrite dans la loi mais généralement pas respectée avant l’accident. Pour y arriver, on a supprimé des tubes de néon superflus. Et ces deux mesures ont déjà fait baisser la consommation de 40 à 50%. La cerise sur le gâteau, c’est que cette économie d’énergie va de pair avec une économie d’argent! Cependant depuis 2015, le Japon est devenu moins ambitieux dans ses objectifs d’économie d’électricité.

Parallèlement, nous avons aussi augmenté massivement notre production d’énergie solaire: aux alentours de midi en été, on peut compter sur 20 millions de kW d’énergie solaire, ce qui correspond à 10% de la capacité énergétique totale du pays.

Donc, depuis l’été 2011 jusqu’à l’été 2016, le Japon a réussi à économiser chaque année 20% d’électricité par rapport à 2010. En 2015 et 2016, ces économies ont baissé de 10%, mais on a pu compenser cela par la production d’énergie solaire.

swissinfo.ch: Plus généralement, quelle est la situation des énergies renouvelables au Japon?

T.I.Les énergies renouvelables couvrent 14,5% de toute la production d’électricité du pays. 8% provient de l’hydraulique, 6% du solaire et le reste du vent et de la biomasse.

Cependant, les grandes compagnies d’électricité, qui possèdent le réseau de distribution électrique, ne sont pas favorables à la production d’énergie renouvelable. Et c’est une difficulté majeure au Japon. La population, quant à elle, a commencé à produire de l’énergie solaire et à la consommer elle-même. C’est un système «off grid» et je pense que son avenir est très prometteur.

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