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Quand les chercheurs suisses font de la politique

Un groupe de scientifiques prône de nouvelles solutions pour remplacer les anciens systèmes de chauffage. Premier pas dans ce sens: un immeuble zurichois en cours de rénovation va devenir une maison photovoltaïque, avec ses façades en verre qui produisent du courant solaire. Stephanie Hess

Dans le canton de Zurich, des scientifiques en vue dans le domaine de l’énergie demandent le remplacement des vieux chauffages au mazout ou au gaz par des systèmes plus durables. Pour faire entendre leur cause au parlement, ils disposent d’un instrument de démocratie de base – l’initiative individuelle, qui n’existe que dans 3 des 26 cantons suisses.

Cet article fait partie de #DearDemocracy, la plateforme de swissinfo.ch sur la démocratie directe.

Généralement brillants dans les domaines de la recherche et de l’innovation, les scientifiques suisses sont par contre plutôt discrets dans celui de la politique. A Zurich pourtant, le doctorant en architecture Niklaus Haller a fondé un groupe qui entend faire de la politique active. A 36 ans, il est convaincu que la science fait aussi partie de la société et que les expertes et les experts doivent y apporter leur savoir.

Soutiens de haut niveau

Niklaus Haller a le soutien de 42 spécialistes, dont plusieurs professeurs de renom dans différents domaines, ainsi que de Sarah Springman, rectrice de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), la plus prestigieuses des Hautes Ecoles suisses. Le groupe demande que d’ici le milieu du siècle, le canton de Zurich se débarrasse progressivement des chauffages à mazout et à gaz et les remplace par des systèmes qui n’émettent pas de CO2 provenant des énergies fossiles.

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«Les efforts pour la protection du climat sont insuffisants, en Suisse également», affirme le professeur et climatologue Reto Knutti, un de ceux qui soutiennent l’idée. Dans le secteur de la construction, les technologies qui permettent de se passer complètement d’énergies fossiles sont disponibles depuis longtemps. Un exemple: le bâtiment rénové par le bureau d’architectes Viridén+Partner à Zurich, dont la façade est faite entièrement d’éléments photovoltaïques.

Pour mettre son idée à l’agenda politique, Niklaus Haller a recouru à un des instruments démocratiques les plus simples: il a lancé une initiative individuelle. Dans le canton de Zurich, chaque citoyenne ou citoyen peut demander au parlement cantonal de modifier une loi, voire même la constitution, pour autant que son idée parvienne à convaincre les élus.

Avec Appenzell Rhodes-Intérieures et Glaris, Zurich fait partie des trois cantons suisses qui connaissent cet instrument. Comme le rappelle le politologue Thomas Widmer, il est apparu à Zurich au milieu du 19e siècle avec la montée du mouvement démocratique, qui cherchait à contrer le pouvoir élitiste de quelques grandes familles. En 1869, l’initiative populaire et l’initiative individuelle ont été finalement inscrites dans la constitution cantonale.

Pour l’architecte Niklaus Haller, la science fait partie de la société. Stephanie Hess

Très direct, très rapide, mais le plus souvent sans aucune chance

Qui veut déposer une initiative individuelleLien externe à Zurich doit déposer sa demande par écrit au bureau du parlement cantonal. Celle-ci ne sera pas examinée préalablement, mais transmise directement au plénum. Si elle reçoit le soutien d’un tiers des 180 députées et députés, elle passe au gouvernement, qui devra donner son avis et proposer une solution.

Mais si la demande n’obtient pas le soutien d’au moins 60 députés, l’initiative est considérée comme ayant échoué. Un sort qui dans les dernières décennies aura été celui de la majorité des initiatives individuelles. Sur 10 à 20 qui sont présentées chaque année, une à quatre seulement sont effectivement transmises. Ce fut le cas de la proposition de Niklaus Haller, qui avait obtenu 73 voix à l’automne 2015. Le gouvernement travaille à un possible modèle de mise en œuvre, sur lequel le parlement devra à nouveau se prononcer, probablement dès l’été prochain.

Une des raisons principales du faible taux de succès des initiatives individuelles à Zurich, c’est que les propositions tournent souvent autour de problèmes individuels. Ou alors, elles touchent à des domaines qui sont réglementés au niveau fédéral et qui échappent à la compétence du parlement cantonal.

Ainsi, l’an dernier, le parlement zurichois a dû, par exemple, se prononcer sur la demande d’un citoyen qui voulait que les cloches des églises sonnent moins souvent et moins fort, et sur celle d’un autre qui voulait abolir le secret bancaire, en Suisse comme à l’étranger.

L’initiative individuelle

L’initiative individuelle est un instrument très particulier de la démocratie directe en Suisse. Elle permet à un(e) seul(e) citoyen(ne) de déclencher un processus législatif.

Elle n’existe que dans les cantons de Zurich, d’Appenzell Rhodes-Intérieures et de Glaris.

Dans ces deux derniers, la demande est déposée à la Landsgemeinde et doit être approuvée par une majorité des citoyens présents avant d’être transmise au gouvernement. A Zurich par contre, un tiers des voix au parlement suffit. La procédure est ensuite relativement semblable (et classique) dans les trois cantons: dépôt d’un projet de loi ou de modification de la constitution, débat puis vote au parlement et le plus souvent vote populaire.

Indépendamment du volume de travail qu’occasionnent ces initiatives individuelles pour le parlement et pour ses services, la question se pose: cet instrument démocratique si rapide et si direct a-t-il vraiment un sens, sachant que la plupart des propositions passent finalement à la poubelle?

Un effet indirect et «durable»

«Si l’on considère uniquement le résultat direct, l’efficacité de l’initiative individuelle est effectivement très limitée», admet Thomas Widmer. La dernière ayant amené à une modification de la constitution cantonale remonte à 15 ans.

Mais le politologue souligne aussi les effets indirects des instruments démocratiques. Une initiative peut faire monter de la société profonde des problèmes non encore reconnus, les amener sur la place publique et ainsi lancer un débat. Il n’est pas rare que les députés cantonaux réagissent quelque temps après le refus d’une initiative individuelle avec une sorte de contre-projet indirect, capable de réunir une majorité.

Thomas Widmer souligne aussi le rôle de soupape que peut jouer l’initiative individuelle. Cet instrument de démocratie instantanée offre aux citoyens un moyen simple d’obtenir de l’audience – et de l’air. «De plus, la simple existence d’une possibilité de participation a en soi un effet positif», note le politologue.

L’initiative individuelle sert aussi à promouvoir des idées qu’aucun réseau ni groupe de pression ne défend au parlement. C’est le cas de la proposition de Niklaus Haller, qui ne se fait pourtant guère d’illusions à court terme. «Il faut toujours plusieurs essais pour faire passer une idée visionnaire», prévient l’architecte, qui se dit prêt à mener ces essais.

Ainsi, en cas de non du parlement à la proposition de mise en œuvre de son initiative individuelle que fera le gouvernement, il se voit bien lancer une initiative populaire, qui reste le vrai instrument numéro un de la démocratie directe. Car pour lui, «il faut prendre notre avenir en mains, et maintenant».

(Adaptation de l’allemand: Marc-André Miserez)

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